8.1.11

Noël à hauteur de museau

« L’incarnation se joue toujours à même la glèbe.»

La neige a pris dans son étau les marches de pierre. Plusieurs vigoureux coup de pelle ont fini par ouvrir un passage. En tournant, la clef forgée a fait résonner la voûte. Il a fallu un franc coup d’épaule pour libérer le vantail. L’humidité glaciale a fouetté le visage du visiteur. Etrangement esseulée dans l’ombre froide, la frêle lampe du tabernacle a semblée presque incongrue. Comme si, en partant, le dernier visiteur avait oublié d’éteindre. Ou pas bien su comment s’y prendre. Pas si facile d’interrompre la petite veilleuse du « bon Dieu » !
Reprendre souffle, se poser un instant… Oublier Paris, la fébrilité professionnelle et ses tensions parfois mesquines, les embouteillages, sur l’autoroute et dans le cœur… Quelques secondes à s’asseoir sur les bancs polis par les ans. On dit que ce sont les Chartreux qui les auraient façonnés, que les villageois les auraient soustraits à la spoliation. Harassant périple à dos d’âne par delà le col qui domine le monastère. Solidarité virile des montagnards de l’époque pour qui la foi était aussi affaire de muscles et de sueur…
Enfin quelques jours sans agenda, sans programme, sans image de soi à endosser comme un costume qui gêne aux entournures. On appelle cela le « temps libre », étrange expression qui en dit long sur la manière dont nous habitons nos jours…
Esquisse spontanée d’une prière mutique : rien à dire, tout à entendre; enfin peut-être, si « le grand silence » daigne venir murmurer son secret à l’oreille engourdie de l’âme… Dans sa statue de plâtre bouffée d’humidité, saint Bruno veille…
Combien seront-ils ce prochain Noël dans cette paroisse reculée de montagne ? Cinq, dix, quinze ? Peut importe : Dieu n’est pas un comptable ! Et ceux qui ne viendront pas n’en resteront pas moins aimés du locataire du tabernacle qui toujours préfère une âme bourrue et mécréante à son étroit « placard » recouvert de dentelle défraîchie.
Il a fallut encore batailler avec la serrure de la sacristie : odeur de renfermé et de tissu moisi. Les vieilles frusques liturgiques et tout le saint frusquin du temps d’avant achèvent leur naufrage…
La caisse est là, rangée sans doute par le dernier curé résident ou par une pieuse paroissienne. Il manque une patte à l’âne, et le « petit Jésus » n’est, vu sa taille dépareillée, sans doute pas d’origine. Une pièce rapportée ! « Cela lui va plutôt bien », sourit le visiteur qui commence à installer la crèche désuette au pieds de l’autel. Il faut s’agenouiller sur le parquet usé, se mettre à hauteur de bergers, de brebis bêlantes et d’étable crottée. Noël ne se renifle qu’à hauteur de museau, à raz de foin. L’incarnation se joue toujours à même la glèbe.
Joseph a son air ahuri habituel. Il n’en revient pas de voir sa douce et tendre Marie donner le jour à l’enfant de la divine Promesse. Il est comme nous Joseph : voici que l’ange du Très Haut le presse d’adopter le propre Fils de Dieu !
Vite il lui faut réchauffer – et nous avec lui – son cœur de voyageur exténué comme on ramène un peu d’air dans le chœur d’une vieille église quelque part en montagne, sur la terre des hommes... Noël, parabole de notre avenir !

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