29.11.14

Le syndrome de l'édredon...

Méditation pour le 1er dimanche de l'Avent



Il nous faut, en ce temps de l’Avent, essayer de lutter contre ce que nous pourrions appeler le…  « syndrome de l’édredon » !

Vous savez, cette énorme couette sous laquelle nous rêvons parfois de nous enfouir pour ne plus voir ni entendre les avis de tempête du monde…

Cette tentation du repli qui nous guette : repli dans l’entre soi  de nos milieux, de nos familles, de nos sensibilités religieuses, de nos opinions et de nos certitudes…

Repli loin des différences qui nous inquiètent, des choix qui nous dérangent, des façons de vivre qui nous déroutent.

Repli sur nos vies à nous, nos soucis à nous, notre job à nous, notre famille à nous, notre communauté chrétienne à nous, notre quête à nous d’un petit bonheur tranquille. Peinard !
Loin, si possible, très loin des cris du monde, de tous ces « Lampedusa » où tant de fragiles barques humaines craquent, tanguent et se noient. Presque sous nos yeux. Presque à nos portes.

« Prenez garde et restez éveillés » nous dit le Christ dans l’Évangile que nous venons d’entendre.

Oui, l’Avent qui s’offre à nous est une école où nous pouvons apprendre l’art de l’éveil et de la garde.

Comme on apprend à un marin à prendre son quart, à tenir la barre, à maintenir le cap vers Bonne Espérance !

Et la première manière d’apprendre à veiller, c’est de retrouver le sens de l’attente !

Oui, vivre l’Avent,
c’est oser vivre enfin le temps des lentes maturations, des fécondes gestations,
c’est réapprendre à marcher, pas à pas, vers notre humanité,
c’est briser l’enchaînement frénétique du temps trop vide parce que trop plein,
c’est faire, en soi, au plus intime de son mystère d’homme,
de la place à l’avènement de l’Inattendu.

Vivre l’Avent,
c’est laisser les douces mains du « Dieu potier », qu’évoque si bien le prophète Isaïe dans notre première lecture, façonner l’argile de nos vies.

Il nous faut, pour cela, Frères et Sœurs, laisser du temps à Dieu pour qu’il mette la glaise rêche et rebelle de notre cœur sur son tour de potier, pour que, de ses mains douces et fermes, il nous façonne l’âme, comme on façonne un vase d’argile pour y mettre un précieux parfum !

Oui, entrer dans l’Avent, c’est veiller à redevenir  argile souple sous les mains de Dieu.

Et cette « souplesse » peut et doit se travailler !

Nous sommes conviés à une « gymnastique de l’âme » qui comporte au moins deux exercices :

-      Veiller, c’est d’abord mesurer l’urgence qu’il y a pour nos vies à s’arrêter enfin devant Dieu. L’Avent nous convoque impérieusement à trouver, dans nos agendas, du temps « pour rien », du temps apparemment sans efficacité, du temps enfin « gratuit », « vide », un vide que Dieu pourra enfin emplir de sa présence. Veiller, c’est donc d’abord trouver le temps de la prière, le temps de se re-cueillir, de se « cueillir à nouveau », de se re-centrer sur l’essentiel.

-      Veiller, c’est aussi se faire « bien-veillant » aux êtres et au monde qui nous entourent. Veiller, c’est « sur-veiller » la douleur du monde, comme le lait sur le feu, afin qu’elle ne déborde pas…Veiller, c’est « veiller au grain », faire en sorte que celles et ceux que nous croisons ne « crèvent » pas de faim, de solitude, d’injustice, d’oubli, de racisme, d’exclusion sociale, de manque d’amour…

A quoi bon la douce lueur de la crèche  :
-      Si chez nous, nous sommes indisponibles à celles et ceux que nous prétendons aimer ?
-      Si,  à deux pas de chez nous, les banlieues s’embrasent, les sans abris meurent de froid ?
-      Si, à des milliers de kilomètres de chez nous, des peuples s’enfoncent chaque jour un peu plus dans la misère, sous les coups de boutoirs aveugles de la Mondialisation.

Il nous faut, pour devenir « Sentinelles de Noël », accepter de vivre la féconde tension entre prière et action, intériorité et engagement, lutte et contemplation.

N’oublions jamais que lorsque nous entrons dans une église, c’est pour mieux en sortir, mieux aller vers le monde !

Car pour venir naître en ce monde, Dieu a besoin de nos cœurs et de nos mains. C’est à nous de transformer ce monde, pour qu’il devienne la crèche de sa Divine Présence.

Oui, l’Avent nous convie à la lutte, au combat, humain et spirituel – en nous et autour de nous – afin de rendre cette terre « divinement habitable » !

Notre tâche de pèlerins en marche vers la Nativité est d’essayer d’offrir un peu de paille chaude, en nous et autour de nous, à la divine Promesse…

A Strasbourg, cette semaine, le Pape François a tenté de réveiller notre vieille Europe. Ses questions furent vigoureuses.
Nous pouvons aussi les prendre pour nous, entendre le Pape nous secouer avec bienveillance !

« Où est ta vigueur ? Où est cette tension vers un idéal qui a animé ton histoire et l'a rendue grande ? »

Oui, demandons-nous ce que nous faisons du don de la foi : un p’tit placement pépère bien gardé au chaud dans le confort de nos églises ? Où cette force tellurique de l’amour qui nous sortira de nous-même pour nous projeter vers toutes ces « périphéries » où l’homme attend que nous lui tendions la main et le cœur ?

Veillons à faire du tissu de notre âme une matière inflammable !

14.9.14

Etrange "gloire" de la Croix...


Méditation pour le dimanche 14 septembre 2014


L’Église catholique fête aujourd’hui « la Croix glorieuse ».

Étrange choc des mots !

C’est un peu comme si on disait « la guillotine glorieuse », ou encore « le peloton d’exécution glorieux »…

Comment donc pouvons nous nous retrouver à faire la fête autour de l’un des plus abjects instrument de torture ?

En quoi le gibet du supplice peut-il être « glorieux » ?

Oui, c’est - lorsqu’on prend un peu de recul et qu’on y songe vraiment - un bien étrange signe de ralliement que les chrétiens se sont choisis !

Tardivement d’ailleurs, notons-le, car les premiers disciples lui préfèrent le signe du pain et des poissons, comme en témoignent certaines mosaïques anciennes…

Mais que veut dire ce choix de la croix comme signe de la foi chrétienne ?

Avons-nous à honorer l’instrument infâme par lequel le sang d’une victime sacrificielle innocente fut versé pour le rachat d’une faute originelle dont nous porterions, toutes et tous, le poids ?

Le rachat de nos fautes doit-il se faire dans un bain de sang ?

Le christianisme peut-il se résumer à un immense sacrifice, n’échappant pas aux traditions ancestrales les plus païennes ?

Parfois, dans son histoire chaotique, l’Église a exalté la croix. C’était – et cela reste – une façon forte de faire mémoire du don total du Christ. Une manière de nous rappeler que la foi est aussi à certaines heures un chemin rude et exigeant de dépouillement et d’abandon.

Mais, cette exaltation de la croix fut parfois tellement prégnante que cela en devenait louche !

Dans chaque pièce, les crucifix rivalisaient de laideur sanguinolente pour nous rappeler que le Fils de Dieu souffrait pour nous, mourrait à cause de nous, que c’était « notre faute, notre très grande faute » s’il y était cloué, que nous étions responsables de son éternelle agonie…

Toutes les religions savent user de la culpabilité pour asservir leurs troupeaux et le christianisme n’y a pas toujours échappé.

Comme si la souffrance en elle-même était une « bienheureuse épreuve » que Dieu nous envoie pour mieux nous éprouver.
Comme si la souffrance brutale et aveugle pouvait être d’emblée rédemptrice ! 

Il faut tout un chemin spirituel souvent rude et long pour trouver un peu de sens et de lumière au cœur de l’absurde…

A trop chercher à vouloir à tout prix expliquer l’inexplicable on s’embourbe dans des fadaises prétendument « spirituelles » qui n’ont plus grand chose à voir avec l’Évangile !

Non, Dieu n’est pas un Dieu pervers qui, volontairement, nous assomme d’épreuves et de croix à porter pour mieux nous rapprocher de lui.

La vie se charge déjà suffisamment de nous blesser pour que Dieu ne rajoute pas de sel dans les plaies pour notre « édification » !

Alors, comment cette croix que nous fêtons aujourd’hui est-elle glorieuse ?

Eh bien, parce que c’est un bois nu.
Parce que c’est un bois nu où Dieu n’est plus !

La gloire de la Croix, c’est qu’elle est vide !
Vide comme le tombeau du matin de Pâques.

Lorsque nous regardons les croix où le Christ agonise, nous les regardons avec le regard de la foi, avec cette espérance rivée au cœur que bientôt, que déjà le Christ n’y est plus.

La croix est glorieuse parce que Dieu l’a désertée pour venir habiter à la seule adresse où il souhaite désormais vivre : au cœur de notre humanité dont il vient prendre sur son épaule forte et secourable le fardeau des jours gris.

Depuis le grand matin de Pâques, il vient au cœur de toutes nos détresses, de toutes nos fragilités et pauvretés pour mieux nous relever.

Et sa croix, alors, est une planche de salut, le bois où agripper  nos vies quand la tempête risque de nous submerger.

J’ai eu, par mon métier de journaliste, la grâce de rencontres fortes et amicales avec Sœur Emmanuelle. Lorsque, à la fin de sa vie, je me rendais dans la petite chambre de sa maison de retraite près de Nice, mon regard était toujours attiré par une croix au-dessus de son lit.

Une croix magnifique dont un antiquaire n’aurait pourtant pas donné trois sous !

Un chiffonnier de la décharge d’ordure du Caire l’avait fabriquée avec deux vieux morceaux de cageot, une ficelle douteuse et un fil de fer rouillé symbolisant le corps du Christ.

Croix façonnée de tous les rejets de l’humanité, croix de l’injustice, de l’exclusion, de la pauvreté, de la maladie, de la solitude, du désamour…

Croix fragile mais croix, ô combien « glorieuse » !

27.8.14

Mon nouveau livre vient de paraître !


Dieu n’y peut rien – Tempête en Chartreuse
Roman
Editions du Cerf


Un jour glacé de janvier, le journaliste Paul Sardaigne fuit Paris et la rédaction de l'hebdomadaire catholique dont il vient de se faire virer. L'édito qu'il a consacré au scandale que constitue à ses yeux le refus réitéré du Vatican d'offrir pardon et communion aux divorcés remariés a été la goutte d'eau de trop. La direction du journal a cédé aux pressions les plus conservatrices. Brisé, Paul se réfugie dans la vieille maison familiale au cœur du massif de Chartreuse, à proximité du célèbre monastère.
Dans la montagne immaculée, il retrouve, dans son refuge isolé, Jean, prêtre bourru et marginal. Au fil des conversations entre l'ermite et le journaliste, on apprend les circonstances du licenciement brutal sur fond de débats sur l'ouverture de l'Église au monde. On découvre la cause profonde du mal être de Sardaigne, la maladie de sa femme, Mathilde, le cancer qui l'atteint et qui, du même appétit, bouffe le peu de foi qui reste à Paul.
" Comment croire en un Dieu qui ne sauve pas tous ceux qui hurlent à son secours. Jolie question théologique. Tragique et écœurante énigme ! " Surpris et coincé par une tempête de neige, au lieu même des premiers ermitages fondé dix siècles plus tôt par Saint Bruno, dans la petite chapelle des cabanes - Notre-Dame de Casalibus - Paul a rendez-vous avec lui-même...

A commander chez votre libraire ou sur les sites internet habituels (La Procure, Fnac, Decitre...).
Ou directement chez l'éditeur : http://www.editionsducerf.fr/html/fiche/ficheauteur.asp?n_aut=10397

Lire aussi le bel article de l'écrivain Christiane Rancé sur son blog "Pollen" (post du 7 septembre) :
http://pollen.blog.croire.com/

17.4.14

Un Dieu à genoux...


Méditation du  Jeudi Saint 

Le geste de Jésus que nous raconte l’évangile de ce Jeudi Saint est, aux yeux des disciples, choquant, scandaleux, intolérable !

Qu’un « Rabbi », un « maître » s’agenouille ainsi devant eux pour leur laver les pieds est tout simplement inimaginable, totalement inconvenant dans le contexte du monde sémitique et gréco-romain dans lequel ils évoluent.

A l’époque, on voyageait la plupart du temps à pied, parfois avec des sandales mais le plus souvent pieds nus. Après de longues heures de marche, les pieds étaient couverts de poussière…

La coutume voulait que l’hôte honore ses invités en leur faisant laver les pieds à l’entrée de sa maison. Mais ce geste d’accueil n’était pas fait par un proche, ni même par un serviteur affranchi.

Seul un esclave, taillable et corvéable à merci, pouvait « jouer les paillassons » et procéder à ce geste perçu comme impur par les juifs.

Alors, lorsque Jésus commence à leur laver les pieds, c’est comme un coup de tonnerre qui vient secouer les mentalités, la culture, le mode de pensée, la « bonne morale » des disciples.

Comment le Messie tant attendu, celui qui vient rétablir la liberté bafouée d’Israël, peut-il se comporter ainsi ?

On attend un roi, et on trouve… un esclave !

Pas étonnant que Pierre se récrie et dise : « Non, tu ne me laveras pas les pieds, non jamais ! »


Par ce geste spectaculaire et provocateur, Jésus annonce déjà, un autre scandale encore plus terrible : celui qui, aujourd’hui, choisit la condition d’esclave, mourra, demain, crucifié comme un malfrat.

Renversement absolu des valeurs déjà annoncées à Noël : le propre fils de Dieu choisit, pour rejoindre notre humanité, non la puissance, mais la pauvreté, non la force, mais la faiblesse.

Le fils de « Dieu, le Père tout puissant, créateur du ciel et de la terre, de l’univers visible et invisible » est né nu sur la paille d’une étable et va mourir nu sur le bois de la croix.

Folie absolue !

Depuis ce premier « Jeudi Saint » de l’histoire chrétienne, nous savons que le service du frère n’est pas une simple conséquence morale de la foi en Dieu mais qu’il en est le cœur !

Croire, c’est aimer ;  en parole et en acte.

Depuis ce premier « Jeudi Saint », nous savons qu’il n’y a pas d’Eucharistie possible sans lavement des pieds, par d’agenouillement possible devant le Saint Sacrement, sans agenouillement devant l’homme !

C’est un signe fort, frères et sœurs, qu’on ne trouve pas, dans l’évangile de Jean, de récit de l’institution de l’Eucharistie mais, en lieu et place, ce récit où nous contemplons un Christ à genoux, un Christ à terre, un Christ à raz de sol, un Christ qui se fait « Très Bas » pour venir laver, panser, masser, caresser, soigner toutes nos marches humaines, nos itinéraires chaotiques d’hommes et de femmes qui tentent de vivre la vie qu’ils ont à vivre, en se blessant si souvent les pieds de l’âme sur les ronces et les cailloux acérés de l’existence…

A l’heure où je vous parle, un homme en blanc, plus très jeune, s’agenouille, dans une banlieue déshéritée de Rome, devant des handicapés et des personnes âgées pauvres, comme il l’a fait il y a un an, devant des prisonniers et des prisonnières.

Et cet homme ne fait pas de la communication, il ne fait pas un bon coup médiatique devant les caméras du monde entier !  Il donne à voir simplement, humblement la posture chrétienne la plus juste et la plus authentique.

Et ce pape ne nous fait pas non plus la morale : en lavant les pieds de ces hommes et de ces femmes, il nous montre la joie qu’a le Christ à accueillir le pauvre, le blessé, le différent, le « pas comme il faut », tous ces prétendus « mauvais paroissiens » que nous sommes parfois si prompts à juger, et à qui nous voudrions, en raison de leurs idées, de leur vie sociale, affective, de leurs choix humains, promptement retirer le « label » catholique…

Regardons, frères et sœurs, ce pape à genoux, dévêtu des ornements de la puissance : il nous donne une indication précieuse sur la posture que l’Église, toute l’Église, le pape, les cardinaux, les évêques, les prêtres, les diacres, l’ensemble du Peuple de Dieu doit prendre au cœur de ce monde.

Non pas regarder ce monde d’en haut, non pas lui parler d’en haut, non pas lui faire la morale et le juger d’en haut, non pas décider d’en haut et à sa place ce qui est bon pour lui, mais se mettre à sa hauteur.
Ou mieux, s’incliner encore et encore, pour le servir, le toucher et l’écouter, entendre ses cris, mesurer ses faims et ses soifs…

Aimons, frères et sœurs, une Église qui  a mal aux reins et aux articulations à force de se lever de table pour venir s’agenouiller devant l’homme !