11.10.15

"C'est le manque qui te manque..."


Jésus et l'homme riche
28ème Dimanche du Temps Ordinaire Année B


Il est plein de bonne volonté, cet homme qui accourt vers Jésus et se jette à ses pieds.

Il nous ressemble !

Il cherche, comme nous,  la vie éternelle, c’est-à-dire la vie en plénitude, l’amour, la joie… En un mot : le bonheur !

Et le Christ accueille avec sympathie sa question. Notre texte d’évangile nous précise que « Jésus posa son regard sur lui, et il l’aima ».

Mais alors, pourquoi donc cette rencontre semble se solder par un échec ?

Quels grains de sable sont venus gripper, freiner, bloquer le désir de cet homme de suivre Jésus ? Lui qui, déjà, s’efforce depuis tant d’années d’observer les commandements de Dieu…

Qu’est-ce qui bloque, entrave  et noue le désir de cet homme ?

***
Pour essayer de répondre à cette question, il nous faut commencer, sans détour, par parler… d’argent.

Oh, on pourrait sans doute s’en sortir habilement  ce matin en « spiritualisant » notre texte, nous rassurer en nous disant que l’argent évoqué dans ce passage d’évangile joue un rôle symbolique, que c’est une métaphore, que Jésus n’a, en fait, rien contre les riches, que l’argent est un moyen, ni bon ni mauvais…

Nous connaissons bien ce discours qui, souvent, avouons-le, nous arrange !

Mais méfions-nous de passer à côté des paroles de feu du Christ qu’il nous faut commencer par entendre littéralement, au premier degré !

« Va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres » !

« Il est plus difficile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu » !

Faudrait vraiment être sourd pour ne pas entendre la mise en garde de Jésus.

Oui, notre rapport à l’argent peut faire obstacle à notre rencontre avec Dieu.
Oui, trop posséder nous met spirituellement en danger.
Oui, notre relation à l’argent est souvent ambiguë et demande un vrai discernement.

Oui, nos « possessions » peuvent nous « posséder » !
Oui, elles peuvent entraver notre liberté, nous enfermer dans le matérialisme, la peur de manquer, le désir compulsif d’amasser encore et encore, la quête sans fin de reconnaissance sociale…

Le Pape François, en bon disciple de François d’Assise, nous le rappelle sans ambages dans son encyclique « Laudato si » :

« Nous sommes bien conscients de l’impossibilité de maintenir le niveau actuel de consommation des pays les plus développés et des secteurs les plus riches des sociétés, où l’habitude de dépenser et de jeter atteint des niveaux inédits. »

« Ce monde a une grave dette sociale envers les pauvres… » dit encore le Pape, dénonçant « un système de relations commerciales et de propriété structurellement pervers » !

Nous ne pouvons pas, au regard de la marche chaotique du monde, et devant les défis terribles de la pauvreté, les déplacements dramatiques de populations, les ravages d’un libéralisme mondialisé de plus en plus aveugle, ne pas nous interroger concrètement  sur ce que nous faisons de notre argent.

Nos biens sont-ils réellement des biens ?

Et cette question n’est pas réservée aux plus riches d’entre nous. Là où nous sommes, avec les moyens qui sont les nôtres, demandons-nous quels sont nos choix, nos priorités, nos remises en question ?

Car à quoi bon s’agenouiller devant le Saint Sacrement si c’est pour oublier de s’agenouiller devant le pauvre !
En christianisme, la solidarité n’est pas matière à option. Croire, c’est agir !

***

Une fois posé cet impératif, rappelé avec vigueur par la Doctrine sociale de l’Église, nous pouvons essayer maintenant de comprendre aussi ce qui se joue spirituellement dans cette rencontre apparemment ratée entre Jésus et l’homme riche.

« Une seule chose te manque : Va, vends ce que tu as, et donne-le aux pauvres »

Cette parole du Christ, après avoir honoré l’urgence de la solidarité, peut aussi s’entendre de la manière suivante :

« Une  seule chose te manque, c’est le manque », dit en quelque sorte Jésus.

Cet homme « riche » ressemble un peu à cette auberge dans laquelle Marie et Joseph aimeraient bien voir naître Jésus. Mais, il n’y a plus de place pour accueillir le Christ. C’est « complet » !

Bien souvent, notre cœur affiche lui aussi « complet », encombré qu’il est de tant et tant de préoccupations matérielles, tant de soucis, d’ambitions, de ressentiments, d’inquiétudes…

Ce que dit Jésus à cet homme riche que nous sommes, vous et moi, c’est que pour qu’il vienne demeurer en nous, il faut que nous lui fassions de la place.

Nous avons tant besoin de nous désencombrer l’âme !

Oui, ce qui nous manque, c’est justement le manque !

Il nous manque de renoncer à cette autosuffisance spirituelle qui nous laisse croire que nous pouvons nous en sortir seul, que nous n’avons pas besoin de prendre appui sur le bras fort et secourable de Dieu. Sortir de l’affichage : « Complet » « Besoin de personne » !

Il nous manque rien moins qu’un cœur de pauvre qui sait sa fragilité et implore à l’aide son Sauveur : « Seigneur, sauve-moi » !

Vous voyez, dans quelques instants sur cet autel, le prêtre va consacrer le pain et le vin par lequel Dieu souhaite nous nourrir de sa vie.

Eh bien, c’est étrange, parce que cette nourriture va, à la fois, apaiser notre faim, mais également la creuser davantage !

L’eucharistie, ce n’est pas la fin (F.I.N.) de la faim ; c’est la faim (F.A.I.M.) de la faim. Autrement dit, plus nous communions, plus nous devrions être affamés d’amour !
Ou, si vous voulez une autre formule : l’eucharistie c’est toujours « le commencement de la faim (F.A.I.M.) »!

Rien ne serait pire que de quitter cette sainte table-là le ventre tendu et l’âme« repue » !
***

Au début de notre évangile, l’homme riche demande à Jésus : « Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? »

Il cherche que « faire » pour « avoir ».

Et le Christ déplace et reformule sa question.

Non pas « comment faire pour avoir ? », mais « comment être pour recevoir ? ».

La seule identité qui peut ouvrir l’accès à cette vie en abondance, cette « vie éternelle » promise au croyant, c’est une identité de pauvre, de fragile, l’identité de celui qui, devant son Seigneur, reconnaît humblement son manque,  sa faim, sa soif, son désir d’être sauvé.

A la fin de sa rencontre avec Jésus, il est dit que l’homme riche « devint sombre et s’en alla tout triste ».

Et si cette tristesse, ces larmes, cette fragilité enfin acceptées, étaient finalement une bonne nouvelle ?

Le signe d’une mise en route féconde vers l’aube de cette conversion à laquelle nous sommes, toutes et tous, conviés ?

Finalement, elle ne se termine pas si mal cette histoire de rencontre entre le riche et Jésus !