Homélie 24 décembre 2015
Voici que, Frères et Sœurs,
nous avons quitté la douce chaleur de notre domicile où s’achèvent peut-être
dans l’effervescence joyeuse les derniers préparatifs de Noël.
Voici que nous nous sommes
mis en route vers cette vieille grange, aujourd’hui rénovée, du Cap saint
Jacques où, il n’y a pas si longtemps, ça sentait encore, comme à Bethléem, la
bonne odeur du foin et de la paille !
Nous voici ici rassemblés
pour faire mémoire d’un très vieil anniversaire, celui de la naissance d’un
enfant venu au monde dans des conditions obscures dans un coin de Palestine, il
y a plus de 2.000 ans…
Faut-il que nous soyons
fous !
En quoi, en effet, la
naissance de ce Jésus, il y a 20 siècles, peut-il avoir une quelconque
importance dans notre vie d’aujourd’hui ?
Cette jolie crèche et ses jolis
santons que nous avons ressortis du grenier sont-ils autre chose pour nous
qu’un émouvant folklore ?
Ce « petit Jésus joufflu
», entre le bœuf et l’âne, dans cette « douce nuit, sainte nuit »
a-t-il, dans sa mangeoire, quelque chose de vraiment urgent à nous dire ?
Une importante, une
mystérieuse Parole qu’aucun de nos Smartphones, aucune de nos tablettes high tech, aucun Hashtag sur Twitter ne
pourrait relayer ?
Noël a-t-il un secret message
à nous murmurer à l’oreille du cœur pour nous aider à vivre la vie que nous
avons à vivre, aujourd’hui, en 2015, dans ce monde bouleversé qui est le nôtre ?
Commençons, Frères et Sœurs,
pour nous dire que si, effectivement, nous ne faisions de Noël que la
célébration d’un « anniversaire », nous ferions, à coup sûr, fausse
route.
Nous ne sommes pas venus ici
pour chanter en chœur « Happy
Birthday, Jesus » !
Nous ne sommes pas venus ici
pour célébrer une « commémoration du souvenir » !
Nous ne sommes pas venus ici
pour déposer une gerbe à « l’enfant inconnu » ! Non !
Cet enfant, dans l’étable de
Bethléem, il s’agit de croire qu’il est encore à naître, que Dieu n’est pas le
Dieu du passé mais de l’avenir, que la venue du Christ Sauveur se conjugue
toujours au présent ou au futur immédiat.
Dieu n’habite pas
« Impasse du passé » mais « Rue de la Bonne Nouvelle »
!
Le jésuite François Varillon,
lorsqu’on lui demandait « qui est Dieu ? » commençait par biffer
à la craie l’un après l’autre sur le tableau tous les adjectifs habituellement
accolés à Dieu ; il oubliait volontairement la « toute puissance »,
« l’omniscience », « l’omnipotence » de Dieu pour ne garder
qu’un mot : AMOUR.
Dieu est amour. Dieu n’est
qu’amour !
Et l’amour est toujours à
naître dans nos vies, toujours en germination, en gestation, en espérance de
voir le jour !
Oui, Frères et Sœurs, la bonne,
la grande, l’incroyable nouvelle de cette nuit de Noël c’est que l’amour vient
naître en nous aujourd’hui, dans nos vies, pour peu que, comme l’aubergiste de
l’Évangile, nous ne lui claquions pas la porte au nez !
Car cette étable où « il
n’y avait plus de place » ressemble si souvent à notre cœur. Ce cœur
encombré de tant de préoccupations, de blessures, d’indifférence, de
matérialisme futile… Ce cœur qui affiche si souvent
« complet » !
Ce cœur claquemuré,
verrouillé, cadenassé que le Christ vient fracturer en cette sainte nuit de
Noël…
Incroyable message de la
Nativité : voici que le « Tout Puissant », le « Créateur du
ciel et de la terre » vient naître en nous, en chacune et chacun de nous, au
cœur de notre humaine fragilité. Voici que le « Très Haut » vient se faire
« Très Bas », tout proche.
Un Dieu à ras de terre !
Une légende raconte qu’à
force de se pencher au grand balcon du ciel pour mieux entendre les cris et les
appels à l’aide des hommes, Dieu est tombé. Il a fait une chute vertigineuse.
Tout Dieu qu’il est, il s’est cassé la figure !
Dieu est toujours
imprudent !
Il aurait pu se faire très
mal, Dieu, en tombant de son trône. Il s’est d’ailleurs fait mal, infiniment
mal, mais pas à Noël, plutôt à la fin de l’histoire, vers le dernier chapitre
de l’Évangile, lorsque des hommes en armes et en certitudes se sont avisés de
le reconduire à la frontière.
Car il était grand temps de
le remettre en place : on n’avait jamais vu ça ! Pensez donc, un Dieu
qui débarque ainsi, la nuit sans crier gare et qui vient frapper à la porte de
l’humanité, sans y avoir été invité !
Le panneau à l’entrée était
pourtant clair : « Complet » !
Mais Dieu a mis le pied en
travers de la porte, il a joué des coudes, il a forcé le passage, la tête la
première ! Un Dieu nu, fragile comme un nouveau-né.
Heureusement qu’elle était
là, Marie pour accueillir l’immense dégringolade de Dieu.
Car il aurait pu se briser la
Sainte Face en tombant sur les pierres sèches de nos cœurs endurcis.
Mais Marie était là, Marie
est toujours là, à veiller, à attendre et à « entendre ».
Elle a l’oreille absolue,
Marie ! Elle est sûrement musicienne, Marie !
Dans le grand fracas du
monde, elle a perçu le fin silence que Dieu faisait en tombant. Dieu fait
toujours silence lorsqu’il tombe dans nos bras.
Alors Marie a fait son doux
métier de mère. Elle a ouvert son cœur et son corps à Dieu qui tombait dans
notre humanité. Et Dieu ne s’est pas brisé, il s’est reçu dans l’infinie
douceur d’une femme. Il s’est laissé mettre au monde par la tendresse d’une
femme, par la tendresse d’un couple.
Noël ? Un Dieu tombé du
ciel ! Un Dieu qui, à force de se pencher vers l’humanité, en tombe
amoureux. Définitivement, irrémédiablement amoureux !
Alors, ce soir, Frères et
Sœurs, le plus beau cadeau que nous avons à déballer au pied du sapin, c’est
l’amour !
Osons offrir, de la part de
Dieu, ce grand cadeau de l’amour.
Mais attention : il est
fragile ce cadeau, il faut l’offrir avec une infinie délicatesse.
À nos proches, à celle ou
celui que nous aimons, aux enfants, aux parents, aux grands-parents, aux frères
et sœurs, aux amis…
Aussi à celles et ceux que
nous aimons moins ou mal.
À celles et ceux qui nous ont
blessés ou que nous avons blessés.
Ce soir, il nous faut avoir particulièrement
le cœur ouvert aux isolés, aux séparés, aux divorcés, aux remariés, aux réfugiés,
aux sans-papiers, aux cabossés, aux rejetés, aux virés, aux licenciés, à tous ces
oubliés qui attendent et espèrent que nous leur fassions enfin une place dans
la crèche de notre cœur.
Ce soir, Frères et Sœurs, je
vous souhaite de laisser l’amour de Dieu venir doucement forcer la porte de
votre cœur. Même si ce cœur, comme l’étable de Bethléem, ne vous semble pas
très présentable. Car, soyez-en certains, Dieu a choisi d’en faire son
royaume !