12.12.20

LA JOIE MALGRÉ TOUT...

 Méditation  pour le 3ème Dimanche de l' Avent (B) - 13 novembre 2020



Ce 3ème dimanche de l’Avent est traditionellement appelé le « dimanche de la joie », « gaudete » en latin. 


« Soyez toujours dans la joie », exhorte Paul dans sa lettre aux Thessaloniciens.


Cette invitation n’est pas toujours simple à entendre car la vie n’est elle-même pas simple, qui traîne dans son sillage son inévitable lot de blessures…


Cette année, sans doute plus que d’autres, la demande de l’Apôtre est rude à entendre, peut-être même inaudible à beaucoup d’entre nous en raison du caractère particulièrement dramatique de la crise sanitaire qui frappe tant d’hommes et de femmes sur notre planète.


Alors, oui, la question se pose, dans toute son arridité : 


Comment oser proclamer « Réjouis-toi ! » à un monde comme le nôtre, dans le contexte qui est le nôtre actuellement ?


Quelle est donc cette « joie » à laquelle nous convoque l’Évangile ? 

Une joie qui résisterait à la dimension tragique de l’existence ? 

Une joie imprenable ?


Dans son désert, Jean-Bapstiste a peut être trouvé la voie étroite qui mène, malgré tout, à cette joie.


Sa propre vie est blessée, il souffre de crier dans le désert, de ne pas être entendu. Il aimerait tant  sortir ses contemporains de la superficialité et des infidélités dans lesquelles ils s’embourbent. Son désir ardent de faire découvrir Celui qui doit venir, va le mener d’abord en prison, puis à la mort…


Destin tragique que celui du Baptiste.


Mais, étrangement, malgré sa « sainte colère », et son échec apparent, Jean-Baptiste est un homme profondément heureux, habité d’un bonheur qui rend libre, d’un bonheur qui n’efface certes pas le malheur, mais qui voit, par delà la douleur de vivre, l’horizon d’une Promesse.


Comme tous les grands prophètes d’Israël, Jean sait que Dieu est fidèle et que si l’espoir semble impossible à envisager à hauteur d’homme, l’Espérance est malgré tout promise.


Et, dans la solitude de son « désert », Jean découvre progressivement que cette Promesse est déjà réalisée, que l’Espérance est déjà là. 


Il l’affirme à la foule : « Au milieu de vous se tient Celui que vous ne connaissez pas… »


Réfléchissons un peu à cette affirmation qui remplit Jean d’une joie secrète : « Au milieu de vous se tient Celui que vous ne connaissez pas ».

 

C’est comme si le Baptiste voulait nous indiquer l’adresse du vrai bonheur, de la joie authentique ! 


Il y a peut-être trois manières d’entendre cette phrase. Peut-être Jean est-il en train de nous indiquer trois « adresses » du bonheur ? 


Trois grandes joies à redécouvrir en ce temps de l’Avent, si particulier cette année ? 


- La première joie, c’est la joie de l’intériorité. 


Lorsqu’il affirme qu’il y a « au milieu » de nous, quelqu’un que nous ne connaissons pas, le Baptiste nous convie à « l’aventure intérieure », au secret dialogue avec nous-même, à la méditation. 


Au milieu de nous, c’est à dire au plus profond de notre cœur, se tient le secret de la joie. 


Car nous sommes – ne l’oublions pas – le temple de l’Esprit : c’est en nous que Dieu a dressé sa tente. 


Un grand mystique du 17ème siècle, Angélus Silésius, l’écrivait déjà : 


« Arrête, où cours-tu donc ? Le ciel est en toi ; et chercher Dieu ailleurs, c’est le manquer toujours… »


Vivre l’Avent, c’est donc nous donner les moyens et le temps de l’écoute intérieure. 


Nous faisons habituellement tellement de bruit avec nous-même, nous sommes tellement habités de confusions, tiraillés par des désirs contradictoires, tenaillés par tant de peur et de tristesse que Dieu, en nous, n’a plus la parole, il est comme bâillonné, muselé. 


L’Avent, c’est l’art de s’asseoir, l’art de s’arrêter pour écouter l’Esprit qui, tel le secret murmure d’une brise légère, parle en nous. 


Si, dans quelques jours, nous voulons réellement voir naître – malgré tout – le Christ dans nos vies, nous avons à pratiquer l’art de l’écoute intérieure. 


Il nous faut, en ce temps de l’Avent, entendre le conseil que Saint Bernard donnait à ses moines : 


« Tu désires voir ? Ecoute d’abord ! »


- La seconde joie, dont le Baptiste nous donne l’adresse, c’est la  joie de la communauté. 


Lorsque Jean affirme que se tient « au milieu de nous » Celui que nous ne connaissons pas, il nous dit aussi que le Christ se trouve « parmi nous », c’est-à-dire au beau milieu de notre communauté chrétienne. 


L’Eglise n’est pas une simple réunion d’adhérents à une association ; l’Eglise, en formant communauté, révèle le visage de Dieu. 


C’est au beau milieu de la foule des disciples de Jean le Baptiste que, soudain, Jésus apparaît. 


Comme si cette communauté d’hommes et de femmes en attente et en désir de conversion permettait soudain la révélation du fils de Dieu, comme si la communauté donnait soudain, par le simple fait de son rassemblement, visage au Christ ! 


Autrement dit, nous avons, dans notre marche vers Noël, impérativement besoin les uns des autres. 


Car l’autre que je rencontre dans la communauté chrétienne est l’icône vivante, le livre ouvert où je peux lire la trace de Dieu en ce monde. 


Vivre l’Avent, c’est se nourrir de cette grâce de la communauté – même si la situation actuelle limite et blesse notre désir de rencontre – dans laquelle Dieu nous parle à travers l’autre.


Cherchons les voies, inventons les sentiers pour vivre, malgré tout, cette grâce d’une communauté qui, quelques soient les techniques utilisées, n’est jamais « virtuelle »…


- La troisième joie, c’est la joie de la solidarité. 


Car, en annonçant que Dieu vient « au milieu de nous », le Baptiste affirme une autre vérité : le Christ se tient aussi « au milieu de ce monde », au milieu de notre société, même si celle-ci l’ignore ou le rejette. 


Voilà la grande nouvelle de Noël : Jésus n’est pas assigné à résidence dans nos églises, bien protégé par nos tabernacles ! 


La grande nouvelle de Noël, c’est que Dieu n’est pas réservé aux seuls « pratiquants » plus ou moins réguliers mais qu’il vient naître en pleine humanité, en plein cœur des pauvretés et des fragilités de ce monde. 


Le lieu de sa révélation, c’est ce monde-ci, tel qu’il est. Même blessé. Surtout blessé. 


L’incarnation, c’est un Dieu qui se fait pauvrement homme parmi les hommes pauvres, c’est un Dieu fragile qui vient habiter les fragilités humaines. 


La grande joie de Noël, c’est que Dieu vient habiter pleinement notre condition humaine blessée, qu’il vient, comme un baume, soigner et consoler. 


La grande, l’immense joie de Noël, c’est que Dieu vient naître sur la paille de nos fragilités, c’est que Dieu vient s’immiscer dans le précaire de nos vies pour mieux être « Notre Père ».


Il nous faut d’urgence mettre en pratique cette grâce de la solidarité, il nous faut, comme nous y invite le prophète Isaïe, « porter la bonne nouvelle aux pauvres, guérir ceux qui ont le cœur brisé, annoncer aux prisonniers la délivrancse, et aux captifs la liberté ».


Voilà, les trois grandes joies, les trois grandes grâces à vivre en ce temps de l’Avent. 


« La seule vraie preuve de l’existence de Dieu, c’est la preuve par la joie », disait  l’écrivain Gilbert Cesbron. 


© Bertrand Révillion

Illustration : ange souriant cathédrale de Reims