21.7.10

Bernard Giraudeau et Dieu

J'ai connu Bernard Giraudeau : nous nous parlions régulièrement. J'ai été témoin de son courage et de sa quêtre spirituelle, belle et pudique. Voici l'entretien que nous avions réalisé ensemble pour Panorama (parution septembre 2007), quelque part près de Fontainebleau, dans son "chalet" au fond des bois... Salut l'artiste !
Conversation

Bertrand Révillion a rencontré…

Bernard Giraudeau :

« Dieu ?
J’aimerai me baigner
dans sa lumière ! »




Acteur de cinéma, écrivain, réalisateur, auteur de contes pour enfants, Bernard Giraudeau est un artiste généreux, cher au cœur du grand public. Atteint par un cancer qu’il a choisi de ne pas cacher, ce voyageur au long court s’est embarqué, depuis la maladie, pour une nouvelle traversée, intérieure et spirituelle…Il vient de publier « Les dames de nage , un beau roman où, derrière le héros, l’auteur n’est pas loin !



Il faut un peu chercher sa maison de bois, cachée au fond de la forêt. D’abord refuge de week-end à quelques encablures de la folie parisienne, cette sorte de chalet, simple et chaleureux, est devenu le quai principal où l’ancien marin devenu comédien accoste dès qu’il le peut. Pour goûter le silence, s’immerger dans la nature et chercher la paix intérieur. En 2000 alors qu’il joue sur la scène d’un théâtre parisien, Bernard Giraudeau ressent une vie douleur au rein. Très vite, il en a l’intime conviction : c’est un cancer qui, deux ans plus tard, se manifestera cette fois au poumon. L’artiste qui dévorait avec frénésie la vie et croquait le succès à pleine dent, décide alors de changer radicalement de cap. Il partage aujourd’hui son temps entre l’écriture et les animations qu’il organise à l’hôpital pour les enfants cancéreux. Et commence désormais sa journée par deux heures de méditation. Ce jour-là, chez lui, sous les grands arbres ensoleillés, la conversation se prolongea longtemps après l’arrêt du magnétophone…







- Bertrand Révillion : L’histoire de Bernard Giraudeau, c’est celle d’un homme pressé. Le « rôle » de votre propre vie se situe quelque part entre « Un homme en colère » et « La fureur de vivre » !

- Bernard Giraudeau : Vous m’avez bien deviné ! Effectivement, j’ai vécu des années avec, au fond de moi, la rage de vivre. Je voulais tout, l’argent, le succès, l’aventure – dans tous les domaines ! –, j’étais dans une boulimie permanente. Je brûlais littéralement mon existence. Je ne sais d’où cela m’est venu ni pourquoi couvait perpétuellement en moi ce feu dévorant. Ce que je sais, c’est qu’un jour je me suis rendu compte que la vie que je menais – pourtant remplies de succès ! – ne me correspondait pas. J’ai eu tout à coup le sentiment de marcher à côté de mon existence, un peu comme on marche à côté de ses « pompes » !

- Parlez-moi de votre enfance…

- J’ai vécu dans la banlieue de La Rochelle dans un univers modeste, une petite maison près de la ligne de chemin de fer. Mon père était très absent. Il était militaire, souvent parti à l’autre bout du monde, d’abord en Indochine, puis en Algérie. Ma mère ne travaillait pas et n’avait, pour seul horizon, que sa maison, son quartier, ses enfants… Une vie ordinaire, pas malheureuse mais un peu terne. Heureusement, j’ai trouvé, enfant, un terrain d’aventure extraordinaire chez les Eclaireurs qui ont su me transmettre l’amour de la nature. Dans cette troupe scoute protestante, j’ai appris à vivre en harmonie avec les grands arbres, les étoiles, l’eau, le feu... Une immersion dont, encore aujourd’hui, j’ai un besoin vital. Je suis de moins en moins capable de vivre en ville. Je ne retrouve la paix que dans le grand silence et la grande solitude de la nature… J’échange sans hésiter une nuit dans un grand hôtel contre la délicieuse insécurité d’un mauvais campement dans une forêt tropicale ou un désert saharien !

- Cette vie « ordinaire » à La Rochelle, vous décidez un jour de la quitter. Un « coup de tête » ?

- Non, plutôt une décision secrètement mûrie. J’avais à peine 15 ans et je m’ennuyais prodigieusement à l’école. Je ne voyais aucune raison de rester assis des heures face à des enseignants qui essayaient de me transmettre un savoir uniquement livresque. J’habitais près de la mer, je voyais les bateaux partir pour les horizons lointains. Je brûlais d’envie d’aller voir ces horizons, et les autres horizons qui se cachent derrière ces horizons ! Très tôt, je me suis dis que la meilleure école pour moi, c’était le monde ! Je me suis embarqué comme matelot sur le « Jeanne d’Arc » et j’ai fait deux fois le tour du monde…

- Qu’avez-vous appris pendant ces deux années?

- La peur délicieuse du voyageur qui pénètre soudain dans une terre inconnue, une culture inconnue, des manières de vivre totalement différentes… J’ai appris à me mettre volontairement au bord du danger, à aller volontairement à la rencontre de situations totalement étrangères à mon propre mode de vie et de pensées… Pour découvrir une terre nouvelle, il faut être très ouvert, très « poreux » et donc très vulnérable et fragile… J’ai aimé passionnément ouvrir, très tôt le matin, les yeux sur des cieux inconnus à l’autre bout de la planète. Plus tard, dans ma vie d’homme, j’ai gardé cette délicieuse habitude de me lever avant l’aube, de laisser ma famille dormir et de m’offrir, dans la solitude bienheureuse des premières lueur du matin, ce secret rendez-vous avec la nature.

- Vous êtes plutôt un solitaire ?

- C’est effectivement un trait de mon caractère. J’aime la solitude, mais une solitude nourrie de la mémoire des rencontres, des visages…. Je ne suis pas un de ces solitaires taciturnes, volontiers misanthrope ! J’aime aussi la vie de communauté, de compagnonnage fraternel, celle que j’ai découvert chez les Eclaireurs, celle que j’ai vécu ensuite avec intensité dans la Marine, un univers militaire où il y a un sens intense de la vie commune.

- Un univers très cadré pour un jeune comme vous !

- Je bataillais ferme contre toute forme d’autorité mais j’en avais besoin ! La Marine m’a effectivement cadrée et m’a, de ce point de vue, plutôt aidé à me construire.

- Après deux ans de tour du monde, vous posez votre sac…

- Retour effectivement à quai où j’enchaîne les petits boulots sans intérêts. Ma vie m’ennuie et je ne sais pas comment nourrir le feu et l’ambition qui couvent en moi. Un jour, des amis me parlent d’une petite troupe de théâtre qui est en train de se constituer à La Rochelle. Je ne suis, alors, pas franchement attiré par ce monde-là. J’ai vu dans mon enfance des « Avares » poussiéreux qui ne m’ont pas vraiment donné la vocation. Je pousse quand même la porte de cette troupe, pour voir…

- La révélation ?

- La chance de rencontrer deux femmes qui vont m’aider à trouver mon chemin : l’une est metteur en scène et l’autre, professeur de danse. J’avais fait le tour du monde, j’étais déjà, malgré mon jeune âge, un grand voyageur et le théâtre m’offre un autre voyage extraordinaire, non plus géographique, mais intérieur. Il me faut apprendre à « voyager » dans la peau de personnages autre que moi. Je me lance alors à corps perdu dans cet univers où je travaille comme un forcené avec beaucoup de passion.

- Endosser le personnage d’un autre, c’est un moyen pour vous de vous mettre en « vacance » de vous-même ?

- Certainement une manière de fuir la question qui me taraude : « qui suis-je ? » C’est la magie du métier de comédien : pendant quelques heures, quelques jours vous est donné la grâce d’être un autre ! Une formidable richesse car, en fouillant ainsi les caractères des autres, on apprend aussi beaucoup sur soi-même. Un risque cependant, celui de se « zapper » littéralement soi-même, de n’être plus, dans une fuite en avant, que la succession des personnages fictifs qu’on habite un moment. A force de s’étourdir ainsi dans un monde fictif, on risque « d’estourbir », de tuer son être réel !

- C’est un risque, le succès ?

- J’étais plutôt doué, j’avais au fond de moi cette mystérieuse alchimie qui me permettait d’être un comédien apprécié, de plus en plus sollicité par le théâtre, le cinéma, la télévision… Alors, bien sûr, j’ai cédé, comme tant d’autres, aux sirènes du succès. Toutes les portes s’ouvraient devant moi : j’étais connu et reconnu, je gagnais fort bien ma vie…

- Enfin comblé !

- Pas du tout ! Bien au contraire ! Je restais totalement insatisfait. Une part de moi-même, la plus enfouie, la plus secrète, me disait déjà que ma vie ne pouvait pas se résumer à tout ce « paraître ». Je savais confusément combien j’étais dans l’imposture…

- Le mot est fort…

- Je vivais dans une sorte de décalage : l’image que ce métier me renvoyait de moi-même ne me correspondait pas et suscitaient agacement, frustration et colère. J’ai accumulé une charge gigantesque de stress. Pour me donner malgré tout bonne conscience de faire ce métier, je travaillais comme un fou, j’acceptais quantité de propositions, au théâtre, à la radio, au cinéma, comme metteur en scène ou comme documentariste. Je tentais désespérément , par la suractivité, d’étouffer la petite voix qui, en moi, m’appelait à autre chose de plus vrai et de plus essentiel. Cette petit voix qui, en fait, me murmurait : « sois honnête avec toi-même, tu n’est pas vraiment heureux dans cette vie-là». Aujourd’hui, lorsque je porte un regard en arrière sur mon existence, je n’ai pas de regret car j’ai eu aussi la chance de vivre des choses formidables. J’ai aussi conscience que ce métier de comédien apporte beaucoup de joies au public. Je ne suis donc pas dans l’amertume : je commence juste à prendre conscience combien « apprendre à vivre », combien marcher vers sa vérité, combien être en paix avec soi-même demande de temps, et combien cette marche est sinueuse et… coûteuse !

- Longtemps, alors que vous étiez « en haut de l’affiche », vous avez vécu avec le mystérieux présentiment qu’il allait vous arriver quelque chose de grave…

- Effectivement, j’ai vécu des années avec l’idée que tout cela allait un jour me « péter à la gueule ». Je ne savais pas comment : accident, dépression, maladie… Lorsque j’étais jeune matelot, dans le bar douteux d’un port du bout du monde, une cartomancienne m’avait dit : « toi, vers 45, 50 ans, t’es mort ! » Je n’étais pas superstitieux mais j’ai quand même voulu « bouffer » la vie au plus vite. Pendant des années, j’ai vécu dans l’urgence et la boulimie d’exister. J’ai couru comme un malade…

- Comme un… « malade » ?

- Et voilà : le mot est lâché !

- Comment avez-vous appris votre cancer ?

- Je jouais « Becket » sur la scène du théâtre de Paris. Nous terminions une tournée épuisante, pleine de problèmes. J’étais fatigué, stressé, j’étouffais. Un soir de novembre 2000, j’ai ressenti une vive douleur au rein. Mais je n’ai pas voulu m’arrêter. Chaque soir, je me faisais une piqure avant le levé de rideau ! J’étais totalement enfermé dans la frénésie. Les douleurs persistants, il m’a donct bien fallu consulter. L’échographie a révélée une masse sombre inquiétante. Le médecin a tenté de me rassuré et m’a proposé de faire une ponction. Mais je savais que c’était inutile : je n’avais pas besoin d’un examen médical de plus. Je savais parfaitement que j’avais un cancer.

- Lorsque le mot est prononcé, le sol se dérobe soudain sous vos pieds ?

- Pas du tout. Je n’ai pas sombré dans le désespoir. J’ai même été envahis d’un grand calme. J’ai immédiatement accepté la maladie.

- Sans révolte ?

- Oui. Je n’étais pas étonné. Je savais depuis des années que quelque chose comme cela allait m’arriver.

- Avez-vous eu le sentiment de vous être « fabriqué » votre cancer, d’en être pour une part responsable ?

- Sur ce point, il faut être très prudent. Une maladie comme le cancer peut sans doute être lié, pour une part, à notre stress, à des traumatismes psychiques liés à nos modes de vie. Mais, avec le même « terrain » biologique prédisposant à un cancer, certains vont développer la maladie et d’autres pas. Le dérèglement des cellules reste très mystérieux. Sans doute avais-je en moi un terrain « fertile » pour ce type de maladie… Sans doute, la frénésie de ma vie a-t-elle « labouré » ce terrain fertile au point de favoriser l’éclosion cancer… Peut-être, mais qu’importe ! Je crois qu’il ne faut pas ajouter la culpabilité à la maladie. C’est inutile, et même dangereux, de se rendre responsable de son cancer, de chercher, coûte que coûte, des explications rationnelles. A quoi bon se dire : « Si j’avais vécu autrement, si je n’avais pas rencontré telle ou telle difficulté dans ma vie, je n’aurai pas le cancer ». Ce qu’il faut, c’est faire un travail sur soi, prendre le temps de réfléchir en profondeur à ce qu’il convient de changer dans sa vie.

- Vous saviez, vous, depuis longtemps qu’un jour, il faudrait changer de vie.

- Oui. Le cancer allait m’en donner l’occasion…

- Comme si l’annonce de votre maladie allait vous permettre, certes dans des conditions dramatique, d’écouter enfin votre « petite voix intérieure » ?

- Oui. Plus tard, après mon opération, un médecin m’a posé une question incongrue que je lui ai fait répété plusieurs fois avant de la comprendre : « quels sont les besoins que satisfait ta maladie ? » J’ai ruminé cette question et j’ai effectivement fini par découvrir que le cancer, de manière tout à fait paradoxale, satisfaisait effectivement certains désirs que, jusque-là, j’avais censuré.

- Par exemples ?

- Je n’étais plus obligé de continuer à jouer une pièce qui m’épuisait. Pas obligé de répondre à toutes les demandes d’ interviews. Plus obligé de courir comme un fou. Plus obligé de rester dans le paraître et la notoriété… J’avais enfin le droit de me reposer, de vivre en paix, de ne plus me préoccuper de ma carrière et de la vaine « gloire » qui m’accaparait tant depuis des années…La liste était longue. Cela peut paraître choquant, mais, effectivement, l’annonce de cette maladie grave me permettait enfin de changer de vie, comme une part de moi-même le réclamait depuis si longtemps. Je pense que mon corps ne m’a pas lâché : il m’a prévenu qu’il était temps de me recentrer sur l’essentiel, de me pencher enfin sur le sens de mon existence et sur l’urgence d’aimer…

- Et vous avez effectivement changé de vie ?

- Oui. Pendant trois ou quatre mois !

- Pas davantage !!!

- Incorrigible, je suis retombé dans le piège, j’ai laissé mon agenda se remplir à nouveau de manière démesurée, je me suis mis à courir à nouveau après le succès. Et plus je cédais à nouveau aux sirènes, et plus j’étais en colère contre moi. Et plus j’en voulais à la terre entière. Je savais que je devais changer de route mais je retombais dans les mêmes ornières. J’acceptais le film que j’aurai dû refuser, l’enregistrement dont je pouvais me passer… Le tourbillon, à nouveau…

- Jusqu’à cette récidive au poumon, il y a deux ans…

- Sans doute avais-je la tête dure ! Il m’a fallu cette seconde alerte et cette nouvelle opération pour, cette fois, m’arrêter enfin de courir ! Ouvrir une nouvelle page de mon existence…

- Qu’êtes-vous en train d’écrire sur cette page ?

- Comment vous dire ? Les mots nous trahissent lorsqu’il faut décrire un voyage intérieur, des paysages intérieurs…

- Diriez-vous que vous vivez une sorte de « conversion » ?

- Si se convertir, c’est changer de route radicalement, si c’est tomber du cheval de ses certitudes, si c’est briser les fausses images de soi-même, si c’est oser marcher sur un chemin nouveau plus vrai et plus intérieur qui mène à la paix… alors, oui, je suis en train de vivre une forme de conversion. Vous savez, je crois que rien de fécond ne se crée dans le bruit et l’agitation. Le cancer a mis tout à coup du silence et de la lenteur dans la cacophonie frénétique de mon existence.

- Apprivoise-t-on l’idée de sa propre mort ?

- Oui. Notre monde occidental a tord de cacher et de nier la mort. Je crois que l’idée selon laquelle notre vie – que nous soyons malade ou pas – aura inexorablement un jour une fin est une idée très… salutaire ! Se savoir mortel est sans doute le plus sûr moyen de se sentir vraiment vivant… Il faut vivre l’instant présent, ne pas remettre son existence à demain… Les moines se lèvent pendant la nuit pour prier. Ils appellent cela, je crois, les « Vigiles ». Eh, bien, nous n’avons pas de tâche plus urgente que d’être « vigilant », que de marcher vers notre éveil…

- Cela fait plusieurs fois que vous semblez dire que cette maladie n’a pas que des effets négatifs sur votre vie. Et je songe à cette phrase que Bernanos fait dire à son « Curé de Campagne » : « Tout est grâce ». Pourriez-vous prononcer cette phrase, scandaleuse, à bien des égards ?

- Oui, sans hésitation. J’ai couru après la paix et le bonheur toute ma vie. Et je n’en ai, paradoxalement, jamais été aussi proche…

- A cause de la maladie…

- Non pas « à cause », mais « grâce à » la maladie ! Je n’ai évidemment pas souhaité ce cancer et si Dieu existe, ce n’est pas lui qui me l’a envoyé comme une sorte d’épreuve. Ou alors c’est un Dieu pervers ! Mais cette maladie m’aide, paradoxalement à découvrir en moi et chez les autres une force insoupçonnée…

- S’il fallait nommer cette « force » ?

- Le mot qui, spontanément, vient aux lèvres de tant d’hommes et de femmes sur cette terre – et qui me vient aussi aux lèvres - est, je crois, le mot « Dieu »… Mais je ne le prononce pas sans hésiter. Les mystiques de toutes les grandes religions préfèrent se taire devant l’ineffable, l’indicible… Le nom de Dieu est imprononçable ! Mais si vous insistez, je peux vous donner trois mot qui lui ressemble : amour, paix, lumière…

- Vous croyez qu’Il existe ?

- Si vous me demandez si je suis croyant, je vous réponds « oui ». Je n’ai jamais été athée. Longtemps, je me suis cru agnostique. Aujourd’hui, je pense être croyant. Je crois à cette force inouïe, à cette lumière, à cette puissance d’amour. Je n’arrive pas à penser cette vie, ce monde, cette univers sans croire qu’il y a « quelque chose » ou « quelqu’un » à l’origine de tout cela. Je sens que cette force d’amour habite en chacune et en chacun de nous et que notre travail est de lui permettre de respirer en nous. Je ne peux pas ne pas croire au mystère car sinon la vie n’a strictement aucun sens !

- Cette force d’amour, vous lui « parlez » ?

- Je m’adresse effectivement à « quelqu’un ». Je lui dit « Tu ». Je prends, chaque matin, un long moment de méditation. J’ai appris quelques techniques yoga. Je travaille la respiration, la position du corps… Méditer, c’est à la fois se recentrer et se décentrer. S’oublier et chercher à se trouver. Ecouter la profondeur de son être et aller aussi à la rencontre de l’Autre qui habite en nous… Méditer m’aide à « faire le vide », à aller vers cette « vacuité mentale », ce silence intérieur, si difficile à obtenir : nous avons perpétuellement un « film » qui tourne dans notre tête et notre cœur et qui nous empêche de nous mettre à l’écoute de l’essentiel…

- Cette Bible, là, sur votre bureau…

- Elle est là, effectivement à portée de main. Je tente de m’en approcher. Peut-être un reliquat de la fibre protestante de mon enfance ! J’avoue avoir un peu de mal avec la violence de certaines pages de l’Ancien Testament. J’aime mieux le Nouveau ! En tant qu’acteur, je suis fasciné par la fantastique « présence » de Jésus, par la dramaturgie de certaines scènes des Evangiles. Certains miracles me touchent. Cette douce confiance de Marie, cette foi, à – presque –toute épreuve, des disciples… Pendant trente ans, le Christ mène une vie ordinaire, presque obscure, et tout à coup, il se passe quelque chose d’inouïe en lui. Quel mystère ! Et quelle fécondité ! Trois ans à arpenter un territoire somme toute assez petit et plus de deux millénaires de foi répandue sur la terre entière…

- Dieu ?

- Une part de moi l’attends et l’espère… même si je vis au beau milieu d’un énorme point d’interrogation ! J’ai conscience de ma pesanteur, je me sens incapable d’aller Le chercher mais Lui peut venir à ma rencontre… Peut-être est-ce même ce qu’Il est en train de faire, en aiguisant en moi cette soif de paix et de connaissance de mon propre mystère. Je n’en sais rien, car nous ne sommes pas dans l’ordre de savoir. Dans le domaine de la spiritualité, il faut sans doute écouter davantage les poètes que les théologiens et les philosophes ! Je crois qu’aujourd’hui, malgré cette maladie, j’ai le cœur suffisamment en paix et « l’oreille interne » suffisamment en éveil, pour essayer d’écouter le mystère… Mais, franchement, je ne saurai vous en dire plus. La question est énorme ! Dieu ? Qui peut répondre avec certitude ?

- Vous aimeriez qu’il existe ?

- Oui. Je ne « sais » pas, mais je fais confiance. J’aimerai pouvoir me baigner dans cette lumière-là…