Fête du Christ Roi. Année B. Dimanche 22 novembre 2015
Étrange « programmation », que celle de la liturgie de ce week-end.
Alors que nous nous apprêtons
à entrer (dès la semaine prochaine) dans l’Avent, alors que, déjà, se profile –
sur fond de massacre - la fête de la Nativité, voici que notre liturgie semble
vouloir venir rajouter de la noirceur !
Curieuse idée, en effet, que
de nous donner à entendre, juste avant le début de notre marche vers ce Noël
d’espérance dont nous avons tant besoin, ce sinistre début du récit de la Passion
où l’on voit Jésus aux prises avec Pilate.
De quel bois l’Église veut-elle
donc nous chauffer aujourd’hui ?
On espère un berceau et elle
ne trouve rien de mieux à nous offrir qu’une croix !
Alors, essayons de
comprendre…
Nous célébrons ce week-end,
pour clore l’année liturgique, la fête du « Christ Roi de l’univers ».
Une solennité relativement récente que nous devons à un pape, Pie XI, qui
l’instaura en 1925.
Comme si l’Église cherchait,
par ce choc des photos - celle de la Nativité et celle de la Passion -, à nous éviter
de sombrer, une fois encore, dans le malentendu.
Un malentendu qui dura
pendant toute la vie publique de Jésus.
Opprimé, soumis au joug de
l’occupant romain et à la fourberie servile des « collabos » issus de
ses propres rangs, une bonne part du peuple juif attendait un libérateur, un
chef de la résistance, un monarque puissant enfin capable de
« virer » manu militari l’envahisseur.
Et voici que Jésus, celui
dont on murmure qu’il est le Messie, s’avance dans la foule sans nulle autre
arme que l’extrême douceur de son regard.
Un Christ à mains nues ;
des mains au beau milieu desquelles se dessine déjà l’ombre sanglante des
clous !
Scandale absolu d’un Messie
sans pouvoir temporel, d’un Fils de Dieu bientôt pendu au gibet de la croix
comme un simple malfrat.
Scandale déjà inauguré à Noël
où Dieu naît « sans domicile fixe ».
Oui, juste
avant de nous ouvrir les portes de l’Avent, l’Église vient nous remettre les
idées en place.
Le Christ qui va venir n’est
pas celui que, bien souvent, nous
attendons !
Où, plus exactement, il ne va
pas venir comme nous l’attendons.
Il ne va pas être conforme
aux idées que nous nous faisons de lui !
Il ne va pas ressembler à
toutes les projections psychologiques, sociales, politiques dont nous le
fardons si souvent.
Le « roi » qui va
naître, va, dès les premières secondes, nous échapper ; échapper à toutes
nos tentatives visant à l’assigner à résidence dans l’étroite conception que
nous nous faisons de lui.
Notre « roi » va
commencer, en naissant sur la paille, par briser l’idée que nous nous faisons
de son royaume.
Le « Très haut » va
naître au plus bas, à raz de terre, à même le sol.
Dans son « palais »,
ça sent l’étable, la sueur et la bête de somme !
La seule manière que notre
« Roi de l’univers » va trouver pour prendre de la hauteur, c’est de
s’enfouir, nouveau né fragile et nu, dans la glaise râpeuse de notre humanité.
Parmi les premiers témoins de
son avènement et de son « couronnement », il y aura ces
« Mages » et leurs cadeaux, parmi lesquels la Myrrhe qui servait à
embaumer les morts !
Comme si, dès sa naissance,
il fallait déjà annoncer que ce roi-là n’aurait pour trône final que la croix
du supplice.
Ah, le voici notre « grand
Roi » qui vient briser, comme des idoles d’argile, toutes les fausses
images que nous avons de lui.
« Il faut, disait le philosophe Gustave Thibon, marcher vers Dieu, de ruine en ruine, à travers les éboulements
successifs des images que nous nous faisons de Lui. »
Alors, vivons cette fête du Christ roi comme un appel à purifier, élaguer, convertir
notre regard sur le Christ qui va venir.
L’Emmanuel va venir en nous
si nous le laissons naître en nous, comme bon lui semble, et pas comme nous en
forgeons le projet.
Dieu va exaucer nos prières,
mais sans doute pas comme nous attendons qu’il le fasse…
Pilate lui-même n’y comprend
rien : lorsqu’il demande à Jésus : « Es-tu le Roi des juifs ? », sa question est avant tout politique.
Il craint un séditieux, un chef de clan, un agitateur, un zélote qui fomente un
soulèvement, une guerre, une révolution.
Et le Christ lui renvoie une
question essentielle, majeure qu’il nous faut à notre tour entendre : « Dis-tu cela de toi-même, ou bien
parce que d’autres te l’on dit ? »
Voilà la bonne
question !
Que disons-nous de nous-même,
par nous-même du Christ ?
Comment passons-nous de ce
que d’autres nous en ont dit, transmis, enseigné, à ce que nous en disons
nous-mêmes, à la première personne, au « je » ?
Être disciple, ce n’est pas
uniquement adhérer à un catéchisme, si bon soit-il. C’est oser une parole
personnelle, intime sur Jésus. Oser se risquer à répondre par soi-même à la
question du Christ : « Et toi,
qui dis-tu que je suis ? »
C’est ce à quoi nous appelle
notre baptême : vivre jour après jour avec cette question chevillée au
coeur :
« Pour toi, qui est le
Christ » ?
Comment s’incarne aujourd’hui
particulièrement dans notre vie
bouleversée par une actualité déchirante et délirante la
« royauté » du Christ ?
A quelle résistance, quelle
insurrection nous appelle-t-il ?
Comment notre foi en lui
peut-elle nous aider et aider nos frères et sœurs à traverser la nuit de la
violence aveugle ?
Comment, malgré la révolte
qui nous submerge, nous faire artisan de paix et d’espérance auprès de celles
et ceux qui, ici et ailleurs dans le monde, hurlent leur souffrance ?
Comment annoncer un Dieu
désarmé, un roi nu comme seul rempart à la folie humaine ?
Aux heures les plus sombres
de sa vie, la jeune Etty Hillesum, juive déportée, confie cette prière à ce
Dieu qui semble, dans son camp, s’être absenté du monde: " Je vais t'aider mon Dieu à ne pas t'éteindre en moi..."