13.10.19

SAUVER SA PEAU

Méditation pour le 28ème Dimanche du Temps Ordinaire (13 octobre 2019)



Elle est intéressante cette histoire de guérison de Naaman le Syrien !

Voilà un homme qui a plutôt bien réussi dans la vie.
Il a remporté quantité de victoires, gagné de l’argent, collectionné les décorations…

Tout baigne pour ce « général 5 étoiles » !
Enfin presque…

Car, petite ombre sur la notice du Who’s who, Naaman est malade.
Il a la lèpre, maladie très contagieuse, redoutable cause d’exclusion sociale en même temps qu’elle est perçue comme une punition divine.

Naaman a consulté les plus grands toubibs mais rien n’y fait.
Il ne sait plus à quel saint se vouer…

Un soir, une petite esclave confie à la femme du général qu’il y a, en Samarie, un prophète du nom d’Élisée qui pourrait peut-être bien le guérir.

Ni une, ni deux, Naaman file chez ce « guérisseur » (après tout, on ne sait jamais !) et se présente, avec toute son escorte, à la porte d’Élisée. Il s’attend à être reçu avec les honneurs dus à son rang.

Et là, patatras : pas de tapis rouge ! Pas de réception VIP ! Pas même de prophète ! La porte s’entrebâille sur un simple serviteur qui, de la part d’Élisée, lui dit : « Va te plonger 7 fois dans l’eau du Jourdain ».

Naaman est vexé. Il n’a pas l’habitude qu’on le traite ainsi, lui haut gradé.

Et surtout, Naaman trouve la demande d’Élisée parfaitement stupide : « Je n’ai pas fait tout ce voyage pour aller simplement barboter  dans ce petit Jourdain ridicule ! »

Pour Naaman, le remède doit être à la hauteur de ses 5 étoiles : un vrai super miracle en direct live qui pourrait faire l’ouverture du journal de « 20 heures » !

Très en colère, Naaman rebrousse chemin sans daigner s’arrêter à la case Jourdain.

Et c’est à ce moment là que, à nouveau, un simple serviteur le « déroute » (au sens où à la fois il le déstabilise et il le fait changer d’itinéraire).

Celui-ci lui dit en substance : « Tu étais prêt à te plier à une demande extraordinaire du prophète, tu peux bien accepter le simple bain que celui-ci te propose. Tu n’as rien à perdre… »

Rien à perdre ? Est-ce si sûr ?

En fait Naaman, en allant simplement se baigner « comme tout le monde » dans le Jourdain, a peur de ne plus correspondre à son image d’homme fort et invincible, peur de ne plus être le général en chef de sa propre existence qui vacille.

Il nous ressemble Naaman !

Il a peur de se retrouver « comme tout le monde » en blouse médicale dans les couloirs de l’hôpital, peur du dénuement dans lequel vous plonge la maladie, peur d’avoir « comme tout le monde » à affronter la finitude de l’existence humaine...

Alors il est prêt à tout Naaman : il arrive chez le prophète les bras chargé de cadeaux comme s’il voulait « acheter » sa guérison…
Mais on ne fait pas de troc avec Dieu.

Il veut que le Dieu d’Élisée le guérisse, mais selon l’idée qu’il se fait de la guérison…
Mais Dieu guérit à sa manière, inattendue, toujours déroutante.

La priorité de Naaman, c’est de sauver sa peau de lépreux.
La priorité de Dieu est de guérir son espérance…

Il faut à Naaman la parole d’un esclave qui sait, lui, ce qu’est la fragilité, pour commencer à bouger spirituellement. Ce modeste serviteur, reprenant l’invitation du prophète, le pousse à cesser de croire qu’il est plus fort que les autres, à accepter de tomber enfin de son « cheval d’orgueil »…

Oui, cet esclave le « déroute », le fait sortir de son chemin mental,  sortir de sa prétendue toute puissance et l’entraine à oser l’abandon entre les mains de Dieu.

Notre récit précise qu’alors Naaman accepte de prendre « un autre chemin », celui du Jourdain, c’est à dire symboliquement celui de la conversion.

Naaman fend enfin l’armure, le chef des armées accepte d’être désarmé. Il laisse Dieu et son prophète entrer dans son GPS intérieur les coordonnées du salut. Il commence à comprendre que, pour le dire avec les mots de Thérèse de Lisieux : « Dieu ne demande pas de grandes choses ; mais seulement l’abandon et la reconnaissance »…

Naaman était furibard, littéralement « hors de lui » et voici que, soudain, il trouve accès à lui-même et commence à entendre le murmure de Dieu…

Les mystiques ont une expression pour évoquer ce qui arrive à Naaman : « la brisure du cœur ». Ce moment où nous acceptons enfin nos limites, nos blessures et nos fragilités.

Cet instant de grâce où nous prenons enfin conscience que nous n’y arriverons pas seul, que nous avons besoin d’un Sauveur – « Dieu viens à mon aide ! » – et où nous remettons nos vies entre les mains de Dieu. « Non pas ma volonté, mais ta volonté, Seigneur ! »

Oui, c’est par cette « brisure du cœur »,  cette faille que Dieu nous ouvre enfin à la démesure de l’amour !

Plongé dans les eaux de l’humilité, Naaman est guérit : physiquement sans doute  mais surtout spirituellement. Il voulait simplement sauver sa peau mais c’est son espérance qui  se trouve guérie !

Naaman vient d’apprendre qu’il peut faire confiance à Dieu.

« Ta foi t’a sauvé » dira Jésus, quelques siècles plus tard, au Samaritain lui aussi lépreux. Comme Naaman, cet homme malade a découvert qu’il avait besoin du secours de Dieu pour se remettre debout.

Il a osé crié à Jésus : « Maître, prends pitié ! »  

Et c’est son espérance, autant que sa peau, son cœur autant que son corps que Jésus a sauvé.

Alors, comme Naaman, le Samaritain peut laisser place à la gratitude.

Pour remercier le Seigneur, il se laisse lui aussi « dérouter » par Dieu, il change d’itinéraire pour « revenir » – au sens plein du terme – vers le Seigneur.

Comme Naaman il quitte le sentier de la plainte pour prendre celui de la louange !

Toute notre vie oscille entre ces deux sentiers, celui de la plainte, et celui de la gratitude.

Quand le soir vient et que la nuit tombe sur notre vie, les Vêpres nous font crier vers le ciel : « Dieu vient à mon aide, Seigneur, vient vite à mon secours ! »

Quand l’aube pointe à l’horizon et que le jour se lève sur notre existence, les Laudes nous font chanter : « Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche publiera ta louange ! »

Cette alternance de l’ombre et de la lumière, de la nuit et du jour, de la pesanteur et de la grâce constitue la respiration même de cette condition humaine si fragile qui est la nôtre.

Il nous faut, nous aussi, comme Naaman, « tomber de notre cheval d’orgueil », renoncer à une illusoire toute puissance et reconnaître qu’il nous faut l’aide de Dieu pour habiter et accomplir notre humanité.

Alors, laissons le Maître du Jour nous rejoindre dans l’ombre de nos blessures, de nos deuils, de nos maladies, de nos doutes, de toutes nos fragilités…

Laissons sa main puissante nous extraire des eaux tumultueuses de nos nuits.

Laissons Jésus nous laver le cœur et l’âme et  nous plonger dans les eaux vives de sa Résurrection.

Oui, laissons le Christ sauver la peau de notre espérance !



© Bertrand Révillion