8.1.11

Fin d'année

Le calendrier achève de jaunir sur le mur de la cuisine. Après un an de bons et loyaux services, il vit ses dernières heures, et s’apprête à rejoindre les vieux papiers pour le feu… Au fronton des mois égrainés se dévoilent, à l’encre délavée, les vestiges d’une année, qu’une fois encore, on n’a pas vu passer : dîners amicaux, impératifs professionnels « à ne surtout pas oublier », réunions de parents, week-end en famille, urgences diverses se mêlent aux rendez-vous chez le dentiste et aux pense-bêtes en tous genres ; il y a aussi les cases vierges, fécondes respirations ou mauvais souvenirs de jours trop vides…
Trois cent soixante cinq journées, autant de nuits et leurs lots de sourire et de larmes, de joie fugace et de coup de blues, de bonheurs âpres et de complicités légères… Douze mois d’une vie qu’on a tenté de vivre au mieux, ou au moins mal… Des milliers d’heures où il y eut de bonnes et de mauvaises nouvelles : annonce d’un mariage, perspective d’une naissance, choc brutal d’un licenciement ou d’une maladie, douleur infinie de voir un ami mourir beaucoup trop jeune, d’assister impuissant à la vague qui s’abat sur sa tendre femme, sur leurs enfants encore à grandir…
La vie qui passe comme un vif éclat de lumière, comme une ardente blessure aussi. Et au milieu de cette mer de secondes, peut-être, comme un minuscule chapelet d’îles, quelques instants fugaces de prière…
Voici que sur les dernières cases de la dernière page du calendrier déjà périmé s’annoncent les « fêtes de fin d’année ». Mais que célèbre-t-on ainsi ? La mémoire des jours heureux ou l’oubli des heures sombres ? La joie de rendre grâce pour le temps souriant qui nous fut donné ou le vain espoir de noyer sous des flots de Champagne ou de mauvais mousseux les minutes chagrines qu’on aurait tant souhaité ne pas avoir vivre ? La fin d’année comme amnésie ou anamnèse ?
Chacune et chacun à notre manière, nous sommes les héritiers de notre propre histoire, du temps que nous avons vécu, tant bien que mal, au cœur de nos fragilités. Cet héritage – actif et passif indissociablement liés – constitue le bouquet terreux de nos racines : il est aussi nos ailes ! A nous de regarder notre propre passé comme le rocher qui écrase Sisyphe ou comme l’échelle qui permet à Jacob de s’approcher un peu de la lumière !
Et si le poids des jours trop lourds d’hier donnait poids, densité, richesse, paradoxale fécondité aux jours à venir ? Et si la pesanteur ouvrait les portes de la grâce ? La croix comme un étroit passage… Et si nos heures, heureuses et moins heureuses, étaient toutes habitées, accompagnées, secrètement tenues par la main de la Promesse qui, pas à pas nous guide sur le sinueux chemin du dur métier de vivre vers l’indicible espérance ?
A la charnière des ans, sur le quai de cette fin d’année, il nous faut, à l’aube d’un nouvel embarquement, nous souhaiter fraternellement d’avoir faim de l’année qui devant nous s’annonce comme une traversée divinement et pauvrement humaine.
Oui, souhaitons-nous fraternellement de nous laisser donner le cap par Celui qui, seul, sait le chemin... L’Eternel n’habite pas le passé : il ne sait conjuguer – avec nous et pour nous – que… le présent du futur !

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