17.4.14

Un Dieu à genoux...


Méditation du  Jeudi Saint 

Le geste de Jésus que nous raconte l’évangile de ce Jeudi Saint est, aux yeux des disciples, choquant, scandaleux, intolérable !

Qu’un « Rabbi », un « maître » s’agenouille ainsi devant eux pour leur laver les pieds est tout simplement inimaginable, totalement inconvenant dans le contexte du monde sémitique et gréco-romain dans lequel ils évoluent.

A l’époque, on voyageait la plupart du temps à pied, parfois avec des sandales mais le plus souvent pieds nus. Après de longues heures de marche, les pieds étaient couverts de poussière…

La coutume voulait que l’hôte honore ses invités en leur faisant laver les pieds à l’entrée de sa maison. Mais ce geste d’accueil n’était pas fait par un proche, ni même par un serviteur affranchi.

Seul un esclave, taillable et corvéable à merci, pouvait « jouer les paillassons » et procéder à ce geste perçu comme impur par les juifs.

Alors, lorsque Jésus commence à leur laver les pieds, c’est comme un coup de tonnerre qui vient secouer les mentalités, la culture, le mode de pensée, la « bonne morale » des disciples.

Comment le Messie tant attendu, celui qui vient rétablir la liberté bafouée d’Israël, peut-il se comporter ainsi ?

On attend un roi, et on trouve… un esclave !

Pas étonnant que Pierre se récrie et dise : « Non, tu ne me laveras pas les pieds, non jamais ! »


Par ce geste spectaculaire et provocateur, Jésus annonce déjà, un autre scandale encore plus terrible : celui qui, aujourd’hui, choisit la condition d’esclave, mourra, demain, crucifié comme un malfrat.

Renversement absolu des valeurs déjà annoncées à Noël : le propre fils de Dieu choisit, pour rejoindre notre humanité, non la puissance, mais la pauvreté, non la force, mais la faiblesse.

Le fils de « Dieu, le Père tout puissant, créateur du ciel et de la terre, de l’univers visible et invisible » est né nu sur la paille d’une étable et va mourir nu sur le bois de la croix.

Folie absolue !

Depuis ce premier « Jeudi Saint » de l’histoire chrétienne, nous savons que le service du frère n’est pas une simple conséquence morale de la foi en Dieu mais qu’il en est le cœur !

Croire, c’est aimer ;  en parole et en acte.

Depuis ce premier « Jeudi Saint », nous savons qu’il n’y a pas d’Eucharistie possible sans lavement des pieds, par d’agenouillement possible devant le Saint Sacrement, sans agenouillement devant l’homme !

C’est un signe fort, frères et sœurs, qu’on ne trouve pas, dans l’évangile de Jean, de récit de l’institution de l’Eucharistie mais, en lieu et place, ce récit où nous contemplons un Christ à genoux, un Christ à terre, un Christ à raz de sol, un Christ qui se fait « Très Bas » pour venir laver, panser, masser, caresser, soigner toutes nos marches humaines, nos itinéraires chaotiques d’hommes et de femmes qui tentent de vivre la vie qu’ils ont à vivre, en se blessant si souvent les pieds de l’âme sur les ronces et les cailloux acérés de l’existence…

A l’heure où je vous parle, un homme en blanc, plus très jeune, s’agenouille, dans une banlieue déshéritée de Rome, devant des handicapés et des personnes âgées pauvres, comme il l’a fait il y a un an, devant des prisonniers et des prisonnières.

Et cet homme ne fait pas de la communication, il ne fait pas un bon coup médiatique devant les caméras du monde entier !  Il donne à voir simplement, humblement la posture chrétienne la plus juste et la plus authentique.

Et ce pape ne nous fait pas non plus la morale : en lavant les pieds de ces hommes et de ces femmes, il nous montre la joie qu’a le Christ à accueillir le pauvre, le blessé, le différent, le « pas comme il faut », tous ces prétendus « mauvais paroissiens » que nous sommes parfois si prompts à juger, et à qui nous voudrions, en raison de leurs idées, de leur vie sociale, affective, de leurs choix humains, promptement retirer le « label » catholique…

Regardons, frères et sœurs, ce pape à genoux, dévêtu des ornements de la puissance : il nous donne une indication précieuse sur la posture que l’Église, toute l’Église, le pape, les cardinaux, les évêques, les prêtres, les diacres, l’ensemble du Peuple de Dieu doit prendre au cœur de ce monde.

Non pas regarder ce monde d’en haut, non pas lui parler d’en haut, non pas lui faire la morale et le juger d’en haut, non pas décider d’en haut et à sa place ce qui est bon pour lui, mais se mettre à sa hauteur.
Ou mieux, s’incliner encore et encore, pour le servir, le toucher et l’écouter, entendre ses cris, mesurer ses faims et ses soifs…

Aimons, frères et sœurs, une Église qui  a mal aux reins et aux articulations à force de se lever de table pour venir s’agenouiller devant l’homme !