2.12.17

"DÉSOLÉ : C'EST COMPLET !"

Méditation pour 1er Dimanche de l’Avent B – 3 décembre 2017




L’évangile de ce 1er dimanche de l’Avent nous invite à la veille, à la vigilance…

Nous sommes appelés, dans cette marche vers Noël qui s’ouvre devant nos pas, à sortir vigoureusement de notre torpeur.  

Tant de préoccupations, de soucis, de prétendues priorités, de « divertissements » (au sens ou Pascal utilisait ce mot, pour évoquer notre fuite devant les questions essentielles), contribuent - dans nos existences qui courent si souvent à la surface d’elles-mêmes -  à cet endormissement de l’âme qui nous guette.

« Il y a en nous quelqu’un d’à moitié étouffé qui a absolument besoin de se mettre à l’aise » disait magnifiquement Paul Claudel.

Si nous voulons accueillir l’hôte intérieur, l’enfant de la sainte promesse, il nous faut nous réveiller pour mener en nous cet ardent travail spirituel de désencombrement ; faire « place nette » afin que le Christ, quand il viendra, ne trouve pas punaisé sur la porte de l’auberge de notre cœur un vilain écriteau indiquant : « complet » !

Car c’est un peu notre rêve : être « complet », sans manque ni béance, sans désir non satisfait qui nous taraude, être « autosuffisant », trouver par nous-même et en nous-mêmes nos propres raisons de vivre, ne compter que sur nous-même, prétendre tenir debout seul dans l’existence quelques soient les événements et les avis de tempêtes. « Besoin de personne ! » « Ni Dieu, ni maître ! »
Rêve ô combien chimérique !

Entrer en Avent, c’est d’abord nous rappeler que nous n’y arriverons pas seuls, que nos vies ont besoin d’être relevées, guidées, épaulées, sauvées par un Autre.

Entrer en Avent, c’est faire aveu de faiblesse et de fragilité, reconnaître notre cécité, et, comme Jacob dans son combat avec l’Ange, l’inévitable claudication de nos vies.

Car, à quoi bon entrer en Avent si ce n’est pas pour attendre un Sauveur ?

Celui qui, comme le dit la nouvelle formulation du Notre Père, ne nous laissera pas « entrer en tentation ».

Cette tentation à laquelle le « diviseur » (c’est le sens étymologique du mot « diable » - « diabolos » en grec) essaie de faire succomber Jésus dans le désert : celle de la toute-puissance qui donne l’illusion d’avoir tous les pouvoirs, de se croire capable de combler par soi-même ses propres faims, de guérir par soi-même ses propres blessures, d’accéder seul, tel l’égal d’un dieu prométhéen, au sens et à la vérité…

L’Église a raison de modifier cette traduction du Notre Père (que nous inaugurons ce week-end)  qui pouvait laisser penser que c’est Dieu lui-même qui nous soumettrait à la tentation.
Comment, en effet, un Dieu d’amour pourrait-il – prétendument pour notre bien –  nous tendre un piège, mettre devant nous une occasion de chute ?
Dieu n’est pas un tentateur, ou alors c’est un Dieu pervers !

Lorsque l’évangile nous raconte les quarante jours  de Jésus au désert, c’est bien le diable qui tente le Christ ; pas Dieu !
Comme l’écrit saint Jacques : « Dans l’épreuve de la tentation, que personne ne dise : "Ma tentation vient de Dieu", Dieu, en effet, ne peut être tenté de faire le mal, et lui-même ne tente personne » (Jc 1, 13)

Lorsque cette nouvelle traduction vient rectifier celle – mal comprise – en vigueur depuis 1966, c’est une toute autre pédagogie qui est mise en lumière.
Non plus : « Ne nous soumets pas à la tentation » ;
mais désormais : « Ne nous laisse pas entrer en tentation ».

Autrement dit, retiens-nous, Seigneur, lorsque nous sommes tentés de franchir la porte qui ouvre sur le gouffre de l’absurde, freine notre élan lorsque nous risquons de ne plus croire en Toi, lorsque notre quête de Toi s’essouffle dans les raides escaliers de nos vies bouleversées, lorsque nous commençons à douter de ta venue, lorsque l’auberge de notre âme prétend afficher « complet », incapable d’entendre les appels de l’espérance qui frappe à la porte et patiente, encore et encore, sur le seuil de nos vies afin de venir naître en nous…

Oui, entrer en Avent, c’est commencer par se batte contre cette lourde porte que nous sommes tentés de verrouiller de l’intérieur pour empêcher le Christ de venir respirer en nous et nous donner son propre Souffle.

Il nous faut la débloquer, cette porte. Et nous n’y arriverons pas seuls !

Laissons le Père – notre Père – nous aider à donner le vigoureux coup d’épaule et de rabot qui nous manque pour libérer l’accès à la venue de son Fils en nous, « sur la terre comme au ciel », dans l’ombre et la lumière, la pesanteur et la grâce.

Oui, en cette marche de l’Avent, demandons au Père de nous préparer à la venue de son Fils, travaillons dans le quotidien de nos jours, en couple, en famille, dans nos engagements sociaux et professionnels, au cœur des urgences auxquelles nous appelle la solidarité avec les plus pauvres,  à ce que Son « nom soit sanctifié », à ce que Son « règne vienne », à ce que Sa « volonté soit faite sur la terre comme au ciel ».

Laissons-Le restaurer nos forces en nous donnant « notre pain de ce jour », en pardonnant « nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés », en veillant, comme un père tendre et vigilant, à ce que nous n’entrions pas « en tentation », celle qui consisterait à prétendre pouvoir nous passer de son aide et de sa lumière ; à croire à un « salut sans sauveur » ! Oui, laissons-le, sur ce sentier de l’Avent, nous délivrer « du mal », c’est à dire de tout ce qui nous divise, nous tiraille et nous empêche de faire l’unité en nous « par Lui, avec Lui et en Lui ».

Contemplons-le, ce père qu’Isaïe nous présente assis à son tour de potier sur lequel il pose la glèbe revêche de nos vies qu’il va, de ses mains douces et fermes, travailler, malaxer, pétrir pour en faire cette argile souple et docile avec laquelle il façonne déjà le vase sacré, la crèche de sa divine Présence…

© Bertrand Révillion