17.1.16

Quand les réfugiés s'invitent à Cana


Méditation pour le 2ème TO C Dimanche 17 janvier 2016 
A l'occasion de la Journée mondiale du migrant et du réfugié


Dans l’évangile que nous venons d’entendre, Frères et Sœurs, Jésus, après avoir grandi dans l’intimité du foyer familial, inaugure sa vie publique.
Il sort de chez lui pour aller vers le monde.

Et pour cette première manifestation publique, il choisit un mariage, une joyeuse et toute simple noce de village.
Comme si, inaugurant sa mission de fils de Dieu, il voulait d’emblée la placer sous le signe de l’amour.

Jésus ne commence pas par venir parler doctement dans une synagogue, il ne commence pas par discuter avec des docteurs de la loi, des prêtres, des évêques, des théologiens, des « spécialistes » de la religion : il s’attable, avec ses disciples, à une modeste fête humaine, vient partager la joie des mariés et de leurs familles.
Il se réjouit du bonheur des hommes et des femmes qui s’aiment.

Voilà son premier geste, sa première manifestation publique : se réjouir de la joie des hommes et des femmes, être avec eux du côté du bonheur…

Mais voici qu’au cœur de cette fête, le vin vient à manquer.
Voici que la source de la vigne et du travail des hommes vient à se tarir.
Voici que la fête perd son goût et sa saveur.
Voici que la sève de la fête, symbolisée par le vin, n’irrigue plus l’arbre de la vie et de la joie.

Cana (qanah) vient du verbe hébreu qanoh qui veut dire « acquérir la vie ».
Voici donc que cette petite bourgade devient le symbole de l’alliance passée entre l’homme et Dieu pour acquérir, bâtir, construire la joie de vivre.
Du même mot (qanah) dérive le nom Caïn (qain), le frère assassin qui tue Abel et brise l’alliance de joie et de bonheur entre Dieu et l’humanité.

Cette soudaine absence de vin joue comme la métaphore de la rupture possible de l’alliance entre Dieu et les hommes.

Que c’est-il passé à Cana pour que le vin manque ?

Des sans-gênes se sont-ils rués sur le buffet pour engloutir, sans vergogne et sans aucun souci des autres, les réserves de la noce ?
Se sont-ils appropriés par la force le vin de la joie, au mépris des plus lents, des moins forts, des plus fragiles ?
Les invités « VIP » à la noce ont-ils imposé la morsure de leur libéralisme échevelé au nom  du « Toujours Plus » exigé par la goinfrerie de leurs actionnaires ?
Le « TPMG » (« Tout pour ma gueule ») a-t-il un fois encore triomphé ?

Oui, Frères et Sœurs, Cana joue comme une image, une métaphore : celle de notre humanité qui, apparemment, a tout pour célébrer le bonheur et la joie de tous avec tous mais qui ne sait pas, qui ne sait plus faire la fête avec tous, comment construire la joie pour tous.
Voici que, sur notre planète blessée par la guerre, le terrorisme, le fanatisme, la fête est gâchée et prend un gout amer…

Pendant que certains convives se goinfrent aux meilleures places, d’autres peinent à s’approcher du banquet. Si le vin de la vie vient à manquer, n’est-ce pas par manque de compassion, de miséricorde, de fraternité ?

Voici que les oubliés de la noce n’ont pas accès au vin de la joie et de l’espérance.
Voici que leur élan vital est brisé, voici que, là où ils vivent, la noce se transforme en cauchemar. Voici que Cana, le lieu de la vie, se transforme, sous les bombes et la haine, en désert de mort, sous la coupe assassine des nouveaux disciples de Caïn.

Voici que les affamés et les assoiffés des peuples opprimés et martyrisés quittent les ruines de la noce de leur vie déchirée, se mettent en route, chassés et pourchassés, traversent les déserts et les mers au péril de leur vie, au péril de la vie de leurs enfants, dont certains meurt, en direct live sur nos écrans plasma, le visage englouti, sur le sable de nos côtes.
Voici que ces nouveaux peuples de l’Exode s’agglutinent aux frontières de nos propres banquets, tentant de mendier quelques miettes de vie.
Voici que leur afflux nous dérangent dans nos siestes de noceurs repus ou, au mieux, suscitent un instant  notre émotion et notre indignation.

Mais comment passer l’émotion à l’action ?

Voici qu’une mère  nous montre le chemin – la vie est toujours sauvée par les mères ! – et prie son « Fils de Dieu » de fils de faire quelque chose pour  que le vin, la vie, l’élan vital, la compassion et la miséricorde se remettent enfin à couler.

Cette mère se tourne alors  vers les serviteurs, c’est à dire vers nous, Frères et Sœurs, et elle leur dit, elle nous dit : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le ».

Et, il nous faut entendre cette injonction, Frères et Sœur, et bien la laisser résonner dans nos cœurs : « Tout ce que le Christ nous dit, faisons-le ! »

Posons-nous la question, en cette « Journée Mondiale du Réfugié et du Migrant » :

Comment pouvons-nous emplir les jarres vides de celles et ceux qui hurlent leur soif à nos portes ?
Comment pouvons-nous partager la profusion de nos propres jarres, tellement pleines à ras bord que ce trop-plein risque de chloroformer notre compassion ?
Comment transformer nos jarres « de pierre » en cœur de chair, palpitant de miséricorde ?
Comment allons-nous aider le Christ à transformer l’eau mortelle dans laquelle les réfugiés se noient en vin de vie ?

Pour réaliser le miracle de Cana, Dieu a besoin de nos mains et de notre cœur.

Il nous faut lui donner l’eau mêlée, impure de nos propres limites, fragilités, peurs, égoïsme afin qu’il la transforme en vin de la solidarité et de la fraternité.

Souvent, nous voudrions être généreux mais nous hésitons, nous avons peur de ne pas être à la hauteur, de ne pas savoir concrètement quoi faire, comment donner et nous donner.
Faisons confiance au Père qui saura nous indiquer comment ouvrir nos mains et notre cœur.

Réentendons l’appel du pape François lors de sa visite à Lampedusa :

« “Où est ton frère ?”, la voix de son sang crie vers moi, dit Dieu. Ce n’est pas une question adressée aux autres, c’est une question adressée à moi, à toi, à chacun de nous.»

Et le Pape, dans son message pour cette Journée du réfugié et du migrant ajoute :

« L’Évangile de la miséricorde secoue aujourd’hui les consciences, empêche que l’on s’habitue à la souffrance de l’autre et indique des chemins de réponse. A la racine de l’Évangile de la miséricorde, la rencontre et l’accueil de l’autre se relient à la rencontre et à l’accueil de Dieu : accueillir l’autre, c’est accueillir Dieu en personne ! »