9.8.20

UNE VOIX DE FIN SILENCE...

Méditation pour le 19ème Dimanche TO A / 9 Août 2020


Nous ne savons pas ce qui s’est réellement passé durant cette nuit de tempête sur le lac de Tibériade.

Au soir de la multiplication des pains, Jésus, après avoir renvoyé la foule, invite ses disciples à aller sur l’autre rive du lac tandis que lui ira prier, seul, sur la montagne. Il les rejoindra plus tard…

Par ce passage sur « l’autre rive », il s’agit d’abord de se soustraire à la foule galvanisée par ce spectaculaire miracle (que nous évoquions dimanche dernier) par lequel Jésus a nourri plus de 5.000 hommes.

Une foule qui, une fois encore, se trompe sur Jésus, croyant voir en lui un leader politique aux pouvoirs terrestres qui pourra enfin restaurer la dignité perdue d’Israël.

C’est dans ce contexte de méprise sur l’identité du Christ que se déroule l’épisode que nous venons d’entendre.

Jésus, défiant les lois les plus élémentaires de la physique apparaît aux disciples en marchant sur les flots déchainés alors qu’ils se terrent, tétanisés, au fond de leur barque, littéralement submergés par une gigantesque trouille !

S’agit-il d’une « vision » comme la Bible en compte de nombreuses ?
S’agit-il d’une scène « réelle » ?
Jésus a-t-il vraiment marché sur l’eau ?
Nous ne le savons pas…

Et, très franchement, je crois que là n’est pas la question.

Matthieu ne nous invite pas à prendre ce récit au pied de la lettre mais d’abord à en comprendre la portée symbolique.

Un juif pieu de l’époque de Jésus, pétri de culture biblique, lorsqu’il entend cette histoire, fait immédiatement le lien avec d’autres récits. À commencer par cet épisode de l’Exode où le peuple hébreux, poursuivi par l’armée de Pharaon voit, à l’invitation de Moïse, la mer s’ouvrir devant lui avant que les flots ne se referment et engloutissent les poursuivants égyptiens.

L’homme de l’époque, façonné par la Bible, comprend que la mer déchainée symbolise la mort et qu’en nous racontant que Jésus « marche » sur les flots, Matthieu cherche d’abord à nous faire comprendre que Jésus est plus fort que la mort, qu’il n’a même pas besoin, comme dans l’épisode de la mer rouge, que les flots s’écartent mais qu’il peut marcher directement sur eux, c’est à dire fouler au pied la mort, ne pas se laisser engloutir par elle.

Ultime précision, au cas ou nous n’aurions pas encore bien compris, le texte mentionne que c’est « à la fin de la nuit » que Jésus rejoint ses disciples apeurés.
Plus de doute possible : il s’agit d’une claire allusion au matin de Pâques où Jésus a gagné le combat contre le naufrage de la croix.

Comme souvent dans l’Évangile, ce récit de miracle invite donc les disciples – et nous avec eux ! –, à « passer sur l’autre rive… », c’est-à-dire à littéralement changer de point de vue, à ne pas rester enfermés dans une conception figée d’un Dieu qui ressemblerait trop à nos propres désirs.

Un Dieu dont la toute puissance se plierait aux injonctions de notre propre volonté…

Ce Dieu « roue de secours » auquel nous ne pensons qu’en cas de « crevaison » et que nous ne sollicitons que pour tenter d’échapper aux tempêtes de notre condition humaine.

Lisons attentivement notre passage d’Évangile. Il ne nous est pas dit que Jésus, d’un claquement de doigt, fait cesser la tempête et se lever immédiatement le jour.

Il ne vient pas supprimer la trouille des disciples confinés dans le fond le leur barque en leur épargnant d’avoir à traverser les nuits et les bourrasques inévitables de leurs existences fragiles.

Le Christ n’est pas un magicien qui supprime la peur et la douleur. Il vient se situer, solidaire des disciples – solidaire de chacune et chacun d’entre nous ! –, au cœur des éléments déchaînés…

Pierre est courageux : en sortant de la barque, il prend un risque certain et témoigne d’une vraie confiance en Jésus. Mais peut-être que, lui-aussi, se méprend sur le Christ et se trompe de Dieu. Il est persuadé que Jésus va immédiatement supprimer la tempête et le préserver de la peur.

Il veut un Christ qui ressemble à son désir. Un Dieu fort qui le sauve à la manière dont lui, Pierre, souhaite être sauvé.

Mais « les pensées de Dieu ne sont pas nos pensées » !

Il faut que Pierre commence à s’enfoncer dans la vase du doute pour qu’il prenne enfin conscience qu’il lui faut accepter le bras fort et secourable d’un Dieu « sauveur » mais pas « magicien ». Un Dieu qui ne le sort pas de sa condition humaine fragile et blessée. Mais qui vient au contraire la rejoindre et l’habiter. Jusqu’à la croix…

Joie indicible de Pierre qui laisse enfin le Christ monter à bord de sa vie pour en tenir doucement le gouvernail ! Alors, mais alors seulement « le vent tombe »…

***

C’est aussi la forte expérience spirituelle que fait, comme nous le raconte notre première lecture, le prophète Elie.

Lui aussi s’est d’abord mépris sur Dieu, l’enfermant dans l’image d’un Dieu vainqueur, tout puissant et omnipotent.

Emporté par son zèle à défendre le Dieu unique et à combattre le paganisme de la reine Jézabel, il vient de faire massacrer pas moins de 400 prêtres de ce culte païen. Poursuivi, épuisé, déboussolé, il s’envase dans la culpabilité et la déprime. Et fait l’expérience d’une grande désolation intérieure.

Comme Pierre, il lui faut, lui aussi passer sur une « autre rive » de la foi.

Dans la solitude de sa caverne de l’Horeb, relisant ses errements passés, il voit sombrer un à un les oripeaux des fausses images d’un Dieu vengeur qu’il s’est forgé.

Passe un ouragan, mais Dieu n’est pas dans l’ouragan.
Passe un tremblement de terre, mais Dieu n’est pas dans le tremblement de terre.
Passe un grand feu, mais Dieu n’est pas dans le feu.

Alors que le silence revient, Dieu se manifeste dans « le murmure d’une brise légère », une « voix de fin silence » dirait une autre traduction plus poétique...

Voici que se manifeste un Dieu discret, déshabillé des accoutrements de la toute puissance.

Pour Élie c’est « le monde à l’envers » !

Mais – pourrait-on dire – Dieu enfin à l’endroit !

Voici que le grand prophète ne « sait » plus qui est Dieu…

C’est, paradoxalement, ce « non savoir » sur Dieu enfin accepté qui va ouvrir le chemin de la rencontre.

***

En conclusion de notre méditation, retenons, Frères et Sœurs, au moins 3 enseignements de nos lectures de ce matin :


1- Dieu vient à notre rencontre, par des chemins qui souvent nous échappent si, enfin conscient de notre fragilité, nous osons, comme Pierre, crier vers lui : « Seigneur, sauve moi ! »

2- Dieu se donne à « entendre » à l’oreille de notre cœur, si nous luttons contre le vacarme incessant qui nous empêche d’entendre en nous sa « voix de fin silence ». Prier, c’est d’abord se taire !

3- Dieu se dévoile si, pour une part, nous acceptons de le laisser briser les fausses images que nous nous forgeons de Lui. La foi devient alors cette « ignorance lumineuse » magnifiquement évoquée par l’écrivain Jean Sulivan.

© Bertrand Révillion