15.2.13

Carême, temps de "désert"...


Homélie 1er Dimanche de Carême Année C. 17 février 2013

Nous voici, Frères et Sœurs, en ce premier dimanche de Carême, convoqués par le Christ au désert.

Et, il faut nous interroger: vers quel « désert », nous autres, femmes et hommes de ce début de XXIème siècle, avons-nous à marcher ?

Comment entendre aujourd’hui, dans notre vie quotidienne et citadine, familiale et professionnelle, bruyante et médiatique, l’appel du désert ?

Essayons, si vous le voulez bien, de creuser cette image du désert afin de voir si elle peut encore nous parler, faire sens et source dans notre vie.

Le désert est d’abord le lieu de la Solitude.

Non pas une solitude imposée par les circonstances de la vie, mais une solitude volontairement choisie, « spirituellement » choisie.
C’est poussé par l’Esprit que Jésus part au désert…

Lorsque nous sommes seul, nous ne sommes plus sous le regard des autres, nous n’avons plus de rôle social, nous ne pouvons plus nous définir uniquement par ce que nous faisons, par notre métier, nos engagements diverses, notre image, notre CV, notre carte de visite…

Dans la solitude, nous sommes face à nous-même…

Et bien vite, si nous avons le courage de la lucidité, nous constatons que, derrière la façade, certaines pièces de notre « appartement intérieur » sont un peu défraichies, voire franchement délabrées !

Nous mesurons tout l’écart qu’il y a entre la foi que nous professons le dimanche et la vie que nous menons.

Nous prenons conscience combien nous voudrions aimer et combien nous ne savons pas aimer, ou si peu ; combien nos blessures affectives, nos inquiétudes, nos peurs, notre vie qui courre et qui se stresse sans cesse viennent casser en nous l’élan de l’amour...

La solitude du désert, c’est donc d’abord l’épreuve féconde d’une sorte de miroir où nous contemplons notre propre « péché », ce péché par lequel, disait le jésuite François Varillon, « nous interrompons le mouvement de création de nous-même ».

Aller au « désert », c’est donc aller vers celui ou celle que nous sommes vraiment, faire la vérité sur qui nous sommes, sur qui nous voulons véritablement être.

Aller au désert, c’est découvrir cette vérité essentielle que Dieu souhaite nous murmurer à l’oreille : notre identité la plus plénière, c’est Lui seul qui peut nous la donner !

Oui, Frères et Sœurs, oser le dénuement du désert, c’est découvrir qu’au-delà des masques, des personnages, de tous les oripeaux que nous endossons,  nous sommes des filles et des fils de Dieu !

En nous conviant à la solitude volontairement choisie du désert, le Carême veut tout simplement nous mener vers notre identité véritable, celle que nous découvrirons au matin de Pâques :

Nous sommes malgré l’épaisseur drue de nos vies souvent bouleversées, malgré toutes nos pesanteurs, appelé à la grâce de la résurrection, c’est à dire à la sortie de tous les « tombeaux » - ces « tentations » évoquées dans notre évangile - qui nous empêchent  de devenir qui nous avons à être selon le désir de Dieu…

Alors essayons de trouver, pendant ces quelques 40 jours qui nous séparent de Pâques des temps de vraie solitude pour nous confronter à nous-même et redécouvrir, comme les pèlerins d’Emmaüs, que Dieu marche à nos côtés.

Quelques heures dans un monastère, une simple marche en forêt, un moment d’arrêt chez soi dans le secret de sa chambre…
Si nous cherchons bien, nous saurons trouver le « désert » qui nous convient.

Le désert, c’est aussi le lieu du Silence.

Nous vivons la plupart du temps, et de plus en plus, dans un monde de bruit. Ce bruit nous dérange autant qu’il nous arrange ! 

Jamais l’homme n’a autant disposé de moyens techniques pour se saouler de bruit, pour littéralement, se « zapper » lui-même, pour museler, faire taire ses questions intérieures sous des tonnes de décibels et des kilomètres d’images…

A quel moment, en effet, notre vie « moderne » nous laisse-t-elle le temps de faire véritablement silence ?

Il a fallu 40 jours au prophète Elie pour découvrir que Dieu lui parlait, non pas de façons tonitruantes, mais dans le souffle d’une brise légère nous dit la Bible, une « voix de fin silence », comme le traduit le philosophe Emmanuel Lévinas.

Le « désert » que nous propose le Carême est donc aussi une école de silence car c’est dans le silence que Dieu nous parle et se révèle.

Et si, pour réentendre la douce musique de Dieu, nous avions, toutes et tous, à nous mettre à la diète des bruits de tous ordres qui envahissent notre quotidien et qui finissent, sans que nous nous en rendions bien comptes, par nous étouffer l’âme ?

« Se taire, disait Madeleine Delbrêl, ce n’est pas ne rien dire, c’est mettre toutes les puissances de son âme à écouter… »

Alors trouvons, frères et sœurs, pendant ces 40 jours, des moments de vrai silence où nous pourrons dire, comme le jeune Samuel, « Parles, Seigneur, ton serviteur écoute » !

Le désert, c’est enfin le lieu de la soif et de la faim.

Et lorsque la Bible évoque la soif et la faim, nous pouvons immédiatement traduire par « désir ».
Aller au désert, c’est donc se remettre face à notre désir le plus profond, le plus vrai…

Que voulons-nous vraiment ?
Qu’est-ce qui, véritablement, est essentiel dans nos vies ?
De quoi, de qui avons-nous vraiment « faim » ?

Dans quelques instants sur cet autel, refaisant les gestes mêmes de Jésus, le prêtre va consacrer le pain et le vin.

Demandons-nous, à l’occasion de notre entrée en Carême, si, véritablement, nous avons faim de ce pain-là, et soif de ce vin-là.

Si, véritablement, et urgemment nous avons faim de Dieu ?
Si, bien plus qu’un « rassasiement », l’eucharistie est pour nous une faim qui se creuse toujours d’avantage : la faim d’avoir faim, la soif d’avoir soif…

Lorsque Saint Benoît parlait du Carême à ses moines, il ne leur parlait pas d’abord de privation ou de mortification.
Sa préoccupation n’était pas de savoir ce qu’ils auraient ou n’auraient pas dans leurs assiettes mais ce qu’ils auraient dans le cœur ! 
Saint Benoît ne leur souhaitait qu’une chose : « retrouvez la joie du désir spirituel » !
A travers la solitude, le silence et la soif du désert, c’est à cette joie que nous convie le Carême.

Il nous faut, frères et sœurs, raviver en nous le désir de Dieu car c’est de ce désir que naîtra, au matin de Pâques, notre joyeuse résurrection !

Que ce temps de traversée du  « désert » soit, pour chacun et chacune, le temps renouvelé du « désir »…

A l’orée de cette « traversée spirituelle», puis-je vous offrir, « pour la route » (!), ce conseil de François de Sales :

« Soyez patient avec tout le monde,
 mais surtout avec vous-même ! »

Amen.

© Bertrand Révillion