Homélie 1er Dimanche de
Carême Année C. 17 février 2013
Nous voici, Frères et Sœurs, en
ce premier dimanche de Carême, convoqués par le Christ au désert.
Et, il faut nous interroger:
vers quel « désert », nous autres, femmes et hommes de ce début de
XXIème siècle, avons-nous à marcher ?
Comment entendre aujourd’hui,
dans notre vie quotidienne et citadine, familiale et professionnelle, bruyante
et médiatique, l’appel du désert ?
Essayons, si vous le voulez
bien, de creuser cette image du désert afin de voir si elle peut encore nous
parler, faire sens et source dans notre vie.
Le désert est d’abord le lieu de la Solitude.
Non pas une solitude imposée
par les circonstances de la vie, mais une solitude volontairement choisie,
« spirituellement » choisie.
C’est poussé par l’Esprit que
Jésus part au désert…
Lorsque nous sommes seul,
nous ne sommes plus sous le regard des autres, nous n’avons plus de rôle
social, nous ne pouvons plus nous définir uniquement par ce que nous faisons,
par notre métier, nos engagements diverses, notre image, notre CV, notre carte
de visite…
Dans la solitude, nous sommes
face à nous-même…
Et bien vite, si nous avons
le courage de la lucidité, nous constatons que, derrière la façade, certaines
pièces de notre « appartement intérieur » sont un peu défraichies,
voire franchement délabrées !
Nous mesurons tout l’écart
qu’il y a entre la foi que nous professons le dimanche et la vie que nous
menons.
Nous prenons conscience
combien nous voudrions aimer et combien nous ne savons pas aimer, ou si peu ;
combien nos blessures affectives, nos inquiétudes, nos peurs, notre vie qui
courre et qui se stresse sans cesse viennent casser en nous l’élan de l’amour...
La solitude du désert, c’est
donc d’abord l’épreuve féconde d’une sorte de miroir où nous contemplons notre
propre « péché », ce péché par lequel, disait le jésuite François
Varillon, « nous interrompons le mouvement de création de nous-même ».
Aller au « désert »,
c’est donc aller vers celui ou celle que nous sommes vraiment, faire la vérité
sur qui nous sommes, sur qui nous voulons véritablement être.
Aller au désert, c’est
découvrir cette vérité essentielle que Dieu souhaite nous murmurer à
l’oreille : notre identité la plus plénière, c’est Lui seul qui peut nous
la donner !
Oui, Frères et Sœurs, oser le
dénuement du désert, c’est découvrir qu’au-delà des masques, des personnages,
de tous les oripeaux que nous endossons,
nous sommes des filles et des fils de Dieu !
En nous conviant à la
solitude volontairement choisie du désert, le Carême veut tout simplement nous
mener vers notre identité véritable, celle que nous découvrirons au matin de
Pâques :
Nous sommes malgré
l’épaisseur drue de nos vies souvent bouleversées, malgré toutes nos
pesanteurs, appelé à la grâce de la résurrection, c’est à dire à la sortie de
tous les « tombeaux » - ces « tentations » évoquées dans
notre évangile - qui nous empêchent de
devenir qui nous avons à être selon le désir de Dieu…
Alors essayons de trouver,
pendant ces quelques 40 jours qui nous séparent de Pâques des temps de vraie
solitude pour nous confronter à nous-même et redécouvrir, comme les pèlerins
d’Emmaüs, que Dieu marche à nos côtés.
Quelques heures dans un
monastère, une simple marche en forêt, un moment d’arrêt chez soi dans le
secret de sa chambre…
Si nous cherchons bien, nous
saurons trouver le « désert » qui nous convient.
Le désert, c’est aussi le lieu du Silence.
Nous vivons la plupart du
temps, et de plus en plus, dans un monde de bruit. Ce bruit nous dérange autant
qu’il nous arrange !
Jamais l’homme n’a autant
disposé de moyens techniques pour se saouler de bruit, pour littéralement, se
« zapper » lui-même, pour museler, faire taire ses questions
intérieures sous des tonnes de décibels et des kilomètres d’images…
A quel moment, en effet,
notre vie « moderne » nous laisse-t-elle le temps de faire
véritablement silence ?
Il a fallu 40 jours au
prophète Elie pour découvrir que Dieu lui parlait, non pas de façons
tonitruantes, mais dans le souffle d’une brise légère nous dit la Bible, une « voix
de fin silence », comme le traduit le philosophe Emmanuel Lévinas.
Le « désert » que
nous propose le Carême est donc aussi une école de silence car c’est dans le
silence que Dieu nous parle et se révèle.
Et si, pour réentendre la
douce musique de Dieu, nous avions, toutes et tous, à nous mettre à la diète
des bruits de tous ordres qui envahissent notre quotidien et qui finissent,
sans que nous nous en rendions bien comptes, par nous étouffer l’âme ?
« Se taire, disait Madeleine
Delbrêl, ce n’est pas ne rien dire, c’est mettre toutes les puissances de son
âme à écouter… »
Alors trouvons, frères et
sœurs, pendant ces 40 jours, des moments de vrai silence où nous pourrons dire,
comme le jeune Samuel, « Parles, Seigneur, ton serviteur
écoute » !
Le désert, c’est enfin le lieu de la soif et de la
faim.
Et lorsque la Bible évoque la
soif et la faim, nous pouvons immédiatement traduire par « désir ».
Aller au désert, c’est donc
se remettre face à notre désir le plus profond, le plus vrai…
Que voulons-nous
vraiment ?
Qu’est-ce qui, véritablement,
est essentiel dans nos vies ?
De quoi, de qui avons-nous
vraiment « faim » ?
Dans quelques instants sur
cet autel, refaisant les gestes mêmes de Jésus, le prêtre va consacrer le pain
et le vin.
Demandons-nous, à l’occasion
de notre entrée en Carême, si, véritablement, nous avons faim de ce pain-là, et
soif de ce vin-là.
Si, véritablement, et
urgemment nous avons faim de Dieu ?
Si, bien plus qu’un « rassasiement »,
l’eucharistie est pour nous une faim qui se creuse toujours d’avantage :
la faim d’avoir faim, la soif d’avoir soif…
Lorsque Saint Benoît parlait
du Carême à ses moines, il ne leur parlait pas d’abord de privation ou de
mortification.
Sa préoccupation n’était pas
de savoir ce qu’ils auraient ou n’auraient pas dans leurs assiettes mais ce
qu’ils auraient dans le cœur !
Saint Benoît ne leur
souhaitait qu’une chose : « retrouvez la joie du désir
spirituel » !
A travers la solitude, le
silence et la soif du désert, c’est à cette joie que nous convie le Carême.
Il nous faut, frères et
sœurs, raviver en nous le désir de Dieu car c’est de ce désir que naîtra, au
matin de Pâques, notre joyeuse résurrection !
Que ce temps de traversée du « désert » soit, pour chacun et chacune,
le temps renouvelé du « désir »…
A l’orée de cette
« traversée spirituelle», puis-je vous offrir, « pour la route »
(!), ce conseil de François de Sales :
« Soyez patient avec tout le monde,
mais surtout avec vous-même ! »
Amen.
© Bertrand Révillion