28.1.12

Méditation sur l'Evangile du 29 janvier 2012

"Va vers toi-même"

Nous pourrions peut-être, Frères et Sœurs, braquer notre caméra ce matin sur cet homme étrange que Jésus rencontre à la Synagogue de Capharnaüm.

Cet homme nous est décrit comme ayant « l’esprit tourmenté par un esprit mauvais ».

Autrement dit, c’est littéralement ce qu’on appelle couramment un « possédé », c’est-à-dire quelqu’un qui n’est plus en possession de lui-même, qui ne s’appartient plus…

Quelqu’un qui est le jouet de forces obscures qui tirent, comme pour une marionnette, les ficelles depuis la coulisse de l’inconscient.

C’est un jeu très instructif, lorsque nous lisons un passage d’Evangile, que de prendre un instant de recul et de nous demander à quel personnage, spontanément, nous nous sommes identifié, quelle place nous pourrions tenir dans la scène…

Soyons honnête : évidemment, notre premier réflexe a été de penser que ce marginal, ce « malade », voir ce « fou » ne nous ressemble pas !

Eh, bien, vous me permettrez de croire que ce n’est pas si sûr ! Que peut-être cet homme nous ressemble plus que nous le pensons…

Bien sûr, nous n’allons pas nous mettre à hurler dans cette église, comme cet homme le fait dans la synagogue de Capharnaüm !

Mais sommes-nous certains que « ça ne crie » pas un peu, voir beaucoup, dans l’ « église intérieure » de notre cœur, dans ce « temple » profondément enfoui qu’est notre âme ?

N’y a-t-il pas souvent du tourment au fond de notre cœur, écartelé que nous sommes par les soucis matériels, professionnels, familiaux, conjugaux, les désirs contradictoires, les inquiétudes, les ambitions, les rêves, les projets, les déceptions inhérentes à toute vie humaine.

Nous sommes peut-être un peu à notre manière des « possédés », c’est-à- dire que nous sommes « pris », « préoccupés », « détournés » de nous même.

L’expression : « nous sommes des possédés », nous pouvons l’écrire en un ou deux mots !
Nous sommes- en deux mots - des (plus loin) possédés, parce que nous sommes- en un seul mot - dépossédés de nous-même. Jeté si souvent à la rue de l’auberge de notre âme !

Dans notre société dite « moderne » nous avons, jour et nuit, à notre disposition tant de moyens sur-puissants pour nous « zapper » nous-même, fuir le secret dialogue avec nous-même.
Tant d’écrans, d’oreillettes, d’images et des sons pour faire taire nos inquiétudes, nos questions.

Le philosophe Pascal évoquait les dangers du « divertissement ». Non pas les loisirs auxquels nous avons bien le droit de nous adonner, mais cette tentation qui mène à se détourner de soi (le sens étymologique du mot divertissement est « changer de route ». Ne sommes nous pas souvent poussés à fuir les grandes questions de sens :
« Où va ma vie ? » « Qu’en ai-je fait ? »
« Que son devenus mes grands rêves de jeunesse ? » « Me font-ils toujours vivre ou bien y ai-je renoncé pour me contenter d’une vie de petit bourgeois bien rangé ? »
« Suis-je toujours habité de sainte colère ? » « Du désir de me battre pour un monde plus juste, plus solidaire ? »
« Y a-t-il un peu de cohérence entre ma foi et mes actes ? »

Le « possédé » de notre évangile va mal parce qu’il y a trop de bruit en lui, trop de cacophonie, trop de tiraillements, trop de tourments.
Peut être aussi trop de « rêves » oubliés auquel il a renoncé…
Au milieu de tout ce « bazar intérieur », il n’y a plus de place pour soi, pour cet être à construire, pour cette personne en devenir…

Lorsque Jésus lui crie « Silence » à tourments intérieurs du « possédé », il emploie le même mot qu’il utilisera quelques semaines plus tard pour intimer l’ordre à la tempête de s’apaiser.

Voyez-vous, frères et sœurs, je crois qu’il y a peut-être là un message important pour nous.

Si nous voulons que notre vie spirituelle se porte mieux, qu’elle soit plus féconde, il faut sans doute que nous laissions le Christ l’apaiser, que nous laissions Jésus crier « silence » à toutes nos « tempêtes intérieures ».

Notre cœur est tellement rempli de tant de contradictions et de tiraillements qu’il n’y a souvent plus de place pour l’Esprit.

« Mon cœur est sans repos avant qu’il ne te trouve mon Dieu » dit un verset de psaume…

Dieu se sent tellement à l’étroit en notre âme où nous ne lui laissons, la plupart du temps, qu’un strapontin !

Jésus libère le possédé de sa possession en le rendant à lui-même, en lui permettant de reprendre possession de lui-même.

Et, en le rendant ainsi à lui-même, il lui permet d’accueillir en lui Dieu le Père.
Autrement dit, en libérant l’homme possédé, Jésus libère en lui de la place pour l’amour de Dieu ! En le « dépossédant », il lui donne soudain accès à la richesse de l’amour de Dieu…

Très symboliquement Jésus libère cet homme le jour du Sabbat, jour par excellence où l’on fait mémoire de la libération de l’esclavage du peuple hébreu.

La bibliste et psychanalyste Marie Balmary offre une traduction pénétrante de la fameuse injonction faite par Dieu à Abraham : « Va quitte ton pays, va vers le pays que je t’indiquerai ».

Elle traduit par « Va, vers toi-même ».

Oui, Frères et Sœurs, l’une des urgences de notre vie spirituelle est de retrouver le chemin vers nous-même, de retrouver la boussole qui nous mènera sur les chemins de l’aventure intérieure…

Grandir dans la vie spirituelle, c’est laisser le Christ nous libérer de nos esclavages intérieurs, de tout ce qui nous diverti, nous détourne du lent travail de naissance que nous avons toutes et tous à mener pour devenir nous-même, et ainsi devenir fille et fils de Dieu...

La vie spirituelle est un patient travail de désencombrement intérieur pour atteindre celui, nous dit Moïse dans notre première lecture, qui se trouve « au milieu de nous » ; au milieu de notre assemblée, au milieu du monde, certes, mais aussi au beau milieu de notre être, au plus profond de nous-même…

« Ce qui doit impérativement être sauvé, dit Francine Carrillo, théologienne et pasteur protestantes à Genève, c’est l’ouverture au-dedans, c’est la capacité de nous intérioriser, de travailler à ce que la tradition mystique appelle le cœur profond ».

Ce que saint Bernard rappelait déjà il y a plus de 900 ans :

« Dieu ne parle pas à ceux qui se tiennent à l’extérieur d’eux-mêmes ».

Amen.