7.3.09

Méditation pour le 2ème Dimanche de Carême

Commençons, Frères et Sœurs, par « tordre le cou » à une mauvaise interprétation de cette scène biblique dramatique dont notre première lecture fait le récit…

Moi, je vous le dis sans détours : je n’ai absolument, mais alors vraiment absolument aucun désir de croire en un Dieu qui, soi-disant, demanderait à un père de tuer son enfant !

Vis à vis de ce « Dieu pervers », j’opte résolument, et sans aucune hésitation, pour l’athéisme le plus borné !

Et j’espère bien que vous aussi !

Gare au contresens !

Évidemment, nous sommes tenté de ne retenir de ce passage de la Genèse, que cet ordre abjecte, prétendument formulé par Dieu :

« Prends ton fils, ton fils unique, celui que tu aimes,
(il insiste
lourdement, le bougre !), et tu l’offriras en sacrifice sur la montagne que
je t’indiquerai. »


Au risque d’oublier la seule phrase vraiment importante de ce célèbre récit qui a tant inspiré les peintres :
« Ne porte pas ta main sur l’enfant ! »

Que se passe-t-il dans cette histoire ?

Les sacrifices humains existaient sans doute encore à l’époque, chez certains peuples du bassin méditerranéen.
Il y avait cette croyance obscure qu’il est possible de calmer le courroux divin par un bain de sang…
Par contre, chez les juifs, le refus de tels sacrifices est une constante clairement affirmée par plusieurs prophètes…
Jérémie notamment, fait dire à Dieu :
« Cela, je ne l’ai jamais demandé et je n’ai jamais eu l’idée de faire
commettre de telles horreurs. »

Le récit de ce que nous appelons improprement « le sacrifice d’Isaac » est donc, non pas un appel au meurtre, mais au contraire, une condamnation absolue des sacrifices humains…

Mais, malgré ces mises en garde, la tentation peut resurgir.

Dans des situations de détresse peut s’insinuer la vilaine croyance qu’on pourra s’attirer les bonnes grâces du Dieu tout puissant en lui offrant la vie de ce qu’on a le plus cher. En sacrifiant son bonheur !

On « achète » en quelque sorte une meilleur relation à Dieu au prix du sang versé…

On pourrait dire que, dans cette sombre histoire, Abraham entend successivement 2 voix qu’il attribue à Dieu :

- la première - qui lui réclame la vie d’Isaac - Abraham commence par croire sincèrement qu’elle vient réellement de Dieu. Mais il se trompe !
Cet ordre épouvantable ne surgit que des profondeurs les plus obscures, les plus rustres, les plus violentes de l’âme humaine…

- la seconde voix, elle, est véritablement « parole de Dieu », parce que « parole de vie » :
« Ne fais aucun mal à l’enfant »…

Il faudra un bon moment, peut-être le temps de cette marche purificatrice vers la montagne, pour que le cœur d’Abraham s’ouvre peu à peu et passe d’une mauvaise conception du désir de Dieu à une compréhension purifiée de ce désir…

Voici, Frères et Sœur, une indication précieuse pour notre Carême :

Tout d’abord, notons que le sacrifice qui plaît à Dieu n’a rien à voir avec la souffrance et la mort…

Dieu ne nous demande jamais de sacrifier notre bonheur !
Bien au contraire, Dieu veut notre bonheur.

« La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant ! »
disait Saint Irénée…

Ainsi, le Carême n’est pas un temps pour se faire du mal, mais du bien !
Non pas un temps de tristesse, mais de joie !
Saint Benoît, qui n’avait rien contre les vertus du jeûne, mettait en garde ses moines : l’important, pendant le Carême, ce n’est pas tant ce qu’on a, ou ce qu’on n’a pas, dans son assiettes !
L’important c’est de savoir si la manière dont nous pratiquons le Carême va nous mener à « la joie du désir spirituel», disait St Benoît

Ainsi, Frères et Soeurs, le Carême est, non pas un temps d’affliction mais une marche vers une joyeuse libération.
Et il nous faut effectivement commencer par nous libérer des mauvaises images que nous avons de Dieu.
Car trop souvent, nous lui faisons porter un « chapeau » qui n’est pas le sien !
Souvent notre conception de Dieu est « trop étroite », comme on dit d’un costume trop petit, qui gêne aux entournures, et que nous voudrions Le voir revêtir…

Comme Abraham, nous commençons par attribuer à Dieu des désirs qui ne sont pas les siens, nous le coiffons d’images qui ne lui ressemblent pas, nous lui faisons même parfois dire n’importe quoi !

Combien de « guerres saintes », combien d’anathèmes, combien de rejet de l’autre n’a-t-on pas formulé, au cours de l’histoire, « au nom de Dieu » ?
L’actualité nous montre malheureusement que c’est encore le cas aujourd’hui…

Dieu nous a fait à son image et nous lui rendons tristement la pareille !


Alors, Frères et Sœurs, peut-être que l’une des tâches, l’un des labeur de ce Carême, consiste pour nous à essayer de « casser les idoles »,
toutes ces fausses images de Dieu qui nous arrangent bien,
qui nous préservent de tout changement,
qui confortent notre confort, notre pouvoir,
notre conception étriquée de la morale
et de l’ordre sociales auquel nous appartenons…

La Bible, c’est l’histoire d’une lente et progressive purification de l’idée que l’homme se fait de Dieu :

l’obscure Dieu vengeur cède progressivement la place au Dieu de tendresse de Jésus Christ, « lent à la colère et plein d’amour», nous dit un psaume…

Cette purification, nous avons, nous aussi à la mener dans notre vie…

Sur le mont de la Transfiguration, les disciples « voient » le Christ tel qu’il est. Mais cette « vision », au lieu de les mettre en route, les « scotchent » sur place.

Ils n’ont pas compris : ils veulent « planter trois tentes », autrement dit rester sur place, faire du sur place, s’immobiliser, faire ce qu’on appelle en télévision un « arrêt sur image ».

Mais Dieu ne reste jamais bien longtemps dans les images et les conceptions dans lesquelles nous prétendons le retenir, il est déjà « ailleurs ».

Pour le suivre, il faut « se bouger » ( !), sortir de ses certitudes, vivre la foi chrétienne, non pas comme une « installation » mais comme une dés installation.

La foi nous veut « nomade », en exode, toujours en marche vers un visage de Dieu qui, comme à l’auberge d’Emmaüs, s’efface, à l’instant même où il se dévoile…


Le philosophe Gustave Thibon disait :

« Il faut courir après Dieu, de ruine en ruine, à travers les éboulements
successifs des images et des idées que nous nous faisons de Lui ».

Amen !