13.3.11

Carême: temps de cendre et de braise...

Nous voici, une fois encore, au bord de la cendre...
Le feu a soufflé ses braises.
L’obscurité des jours, soudain nous marque au front.
Le sable du désert est gris et froid comme un tison.
Les marches de nos escaliers, voici qu’elles se creusent sous le poids et l’usure des heures sans aurore..
L’hiver, sans crier « gare ! », s’est attardé.
Un vent glacé qui passe sous le seuil de nos âmes pour mieux les engourdir.
Et l’Eglise qui veut nous réchauffer, n’a rien trouvé de mieux qu’un mince soleil de cendre au-dessus de nos yeux !
Nous qui, aux instants de fragiles espérances, nous prenions pour des filles ou des fils de Roi, nous voici soudain comme réduit en poussière.
Mais quel est donc ce Dieu qui nous tire vers le haut et qui, du même mouvement, nous rappelle nos tombeaux. ?
La cendre est comme le sang au linteau de l’Exode, comme les miettes éparses d’un pain sans sel ni levain, comme une herbe amer, un rameau calciné qui déjà nous annoncent notre marche au désert.
Le sable est comme un lac où se mire le « dès-être ».
En lisière du regard la cendre implacable, nous dévoile tous nos aveuglements.
Brûlure d’un feu éteint, blessure vive au fronton d’un visage si peu transfiguré.
Icône calcinée de l’éternelle Présence, victime de tous nos incendies.
Et le psalmiste implore, et il nous faut l’entendre malgré nos surdités :
« Sur ton serviteur, que s’illumine Ta face ». (1)
Carême ? Saisissante découverte que la demeure est vide, ou si peu habitée. Dieu en nous, mais nous tellement hors de nous !
Carême ? Notre foi qui vacille comme un château de cendres, une croix consumée qui s’abat comme un arbre.
Carême ? Instant de vérité où le désir en nous, soudain, mesure ses fatigues.
Et nous voici, traînant nos pauvres incroyances.
Dieu qui se fait lointain et vers qui, pourtant, il est temps maintenant, sans crainte, de marcher.
Car « quiconque marche dans les ténèbres sans voir aucune lueur, qu’il se confie dans le nom du Seigneur, qu’il s’appuie sur son Dieu. » (2).
Quarante jours de feu pour oser avouer que le « je » est fragile, qu’il a besoin d’un « Autre » pour se mettre à genoux, la seule et belle posture qui le mènera debout.
Quarante jours pour avoir faim et soif de l’indicible force qui, au matin de Pâques, viendra fendre la mort.
L’Apôtre qui tomba et perdit pour un temps le regard, se fît plus tard prophète et visionnaire : « La puissance se déploie dans la faiblesse » (3).
Ce qu’au fond de son cloître une humble carmélite sût cueillir en son cœur comme une brassée de roses :« Plus on est faible, sans désirs ni vertus, plus on est propre aux opérations de cet Amour consumant et transformant » (4).
Croire, contre toute logique, que la braise et le feu peuvent naître de la cendre.
Marcher résolument, joyeusement vers les aridités fécondes d’un Carême intérieur avec cette certitude en forme de promesse : « Jésus viendra nous chercher, si loin que nous soyons, il nous transformera en flamme d’amour » (5).

1) Psaume 30, 17
2) Isaïe 50,10
3) 2 Co 12, 9
4) Thérèse de Lisieux, lettre 197
5) Id.