9.1.22

LES SAINTS "EMMERDEURS"

Méditions à propos du baptême de Jésus (C)


Ce dimanche 9 janvier, l’Évangile nous donne à réentendre le récit du baptême de Jésus par son cousin, Jean, dit « le baptiste », dont Elisabeth, sa mère, mariée au prêtre Zacharie, est une parente de Marie. 

Jean est un solitaire retiré dans le désert qui cherche à retrouver une voie spirituelle authentique, loin des dévoiements de la religion officielle à qui il reproche de s’être « installée », renonçant à cet appel au déplacement, à la marche - à « l’exode » dirait Sulivan - dont tous les grands prophètes du Premier Testament se sont fait l’écho. 

Cette « intranquilité » qui taraude  le coeur des chercheurs de Dieu a peu à peu laissé place au petit confort peinard d’une religion qui « sait » et qui distraitement récite, sans plus trop savoir ce qu’elle répète, infidèle à cette foi qui cherche et qui, de nuit, tâtonne, et tente d’entendre cette « brise légère » - cette « voie de fin silence (Lévinas) - décrite par le prophète Elie. 

Le peuple des marcheurs, celui qui a traversé le désert en quête de liberté intérieure et de soif spirituelle a peu à peu cédé place à la dormante congrégation des gens « assis » au premier rang desquels les clercs sont devenus ces « fonctionnaires du culte », ces « notables de la religion» engoncés dans leurs lourdes parures liturgiques et leurs petits arrangements avec l’absolu radicalité de la foi et l’urgence de la conversion.

Jean est… - puisque le mot bénéficie ces-jours-ci d’une certaine notoriété - un emm… ! Les prophètes sont toujours des emm… qui empêchent la religion de tourner en rond, qui houspillent l’ordre établi, qui éructent contre les pouvoirs, les sinécures cléricales, les incohérences entre la parole et les actes. « Ils disent mais ne font pas… » 

Oui les prophètes sont de saints emm… qui renversent les puissants de leur trône » et engueulent ceux qui « chargent les hommes de fardeaux difficiles à porter, et qui ne les touchent pas eux-mêmes d'un doigt. »

Jean est un homme en colère - peut être a-t-il appartenu au mouvement radical et contestataire des Esséniens ? - et son cri rejoint la quête de sens de ses contemporains qui, de plus en plus nombreux, viennent entendre, en lisière du désert, sur les bords du Jourdain, l’appel du dernier grand prophète de la Bible à libérer la foi de la religion, à « briser les idoles d’argile », à oser le dépouillement et la plongée dans les eaux qui lavent, purifient  et convoquent à « passer sur l’autre rive », à se remettre en route vers le grand libérateur, ce Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob… Ce Dieu de Jésus Christ qui ouvre la voie au paradoxal bonheur des Béatitudes : « Heureux ceux qui pleurent… » « Joie, joie, joie, pleurs de joie » écrira Pascal…

Jean est un ouvreur de porte. Il fait pivoter sur ses gonds l’étroit vantail qui ouvre le passage entre le Premier et le Second Testament. Lorsqu’il voit s’approcher Jésus et attendre son tour dans la longue file des candidats au baptême, il commence par ne pas comprendre. Car pourquoi donc Jésus devrait-il se faire baptiser ? N’est-ce pas l’inverse qui devrait se produire, Jean baptisé par Jésus ? 

Jean hésite. Puis finit par deviner… 

Comme Elisabeth, sa mère, accueillant sa cousine Marie, enceinte, a ressenti en elle des tressaillements de joie, il reconnait soudain derrière le visage de son cousin, la saint Face du Messie attendu, « Celui qui doit venir », celui dont il n’est pas digne de dénouer la courroie de ses  sandales, celui devant lequel il lui revient de s’effacer.

Surprenante scène où, face aux hésitations du baptise, Jésus ne se laisse pas détourner. 

En entrant dans l’eau du Jourdain, il rejoint l’humanité jusque dans ses blessures et faiblesses. Il accepte de plonger dans les eaux boueuses qui, souvent, tel un déluge, viennent submerger notre condition humaine marquée par le tragique.

Il confirme ainsi sa totale incarnation commencée à Noël dans l’étable de notre humanité, à raz de paille… Une condition humaine dans laquelle il plongera jusqu’à son agonie sur la croix…

Le moine trappiste André Louf ose une image percutante. Il dit qu’en traversant les eaux troubles de l’humanité symbolisées par le Jourdain, Jésus « contamine » l’eau glaiseuse du baptême humain et la transforme, la « converti » en cette eau limpide du baptême dans l’Esprit. Ce faisant, il scelle la Nouvelle Alliance et fait pivoter la charnière entre le premier et le second Testament. 

Et voici que la colombe de Noé reprend du service, celle qu’il avait envoyée en « éclaireur » depuis l’arche afin de vérifier que le déluge était bien terminé… Voici que cette colombe revient à l’orée du Nouveau Testament, et annonce, d’un coup d’ailes, le reflux des eaux noires de la mort  et le printemps des sources de la grâce… 

Alors, le ciel qui était fermé, verrouillé s’ouvre soudain : la Parole circule à nouveau entre l’en-haut et l’en-bas. Ruisselant des eaux de son propre baptême, le Christ nous tire de nos abysses pour mieux nous replonger au coeur de cette humanité blessée où il nous appelle à être, à ses côtés, des « ouvreurs de ciel ».