13.3.10

Méditation pour le Dimanche 14 mars

4ème Dimanche de Carême


Mais quel est donc, Frères et Sœurs, ce « père » qui manque singulièrement d’autorité et qui laisse ainsi son fils claquer la porte pour aller s’éclater sans vergogne avec l’argent familial ?

Drôle de principes éducatifs plutôt « libertaires » qui évoquent son « soixante-huitard » un peu attardé !

Non seulement il laisse le « cher petit » se tirer avec l’oseille pour mener une vie de patachon, mais, au retour, au lieu d’une salutaire « prise de tête » avec l’ingrat, et d’une bonne « volée de bois vert » plutôt méritée, voici que ce
« père » lui déroule presque le tapis rouge !

Mais où va-t-on ? On voudrait saper définitivement le peu d’autorité parentale qui nous reste qu’on ne s’y prendrait pas autrement !

Bien évidemment, frère et sœur, une fois encore l’évangile nous invite à ne pas prendre ses paraboles au pied de la lettre !

Jésus, avec cette histoire de « fils prodigue », tente, une fois encore, de nous dévoiler le « vrai » visage de son Père, loin des caricatures dans lesquels, souvent, nous l’enfermons.

Il a fallu du temps, beaucoup de temps, pour que, dans l’histoire de la Révélation, nous passions progressivement de l’image d’un Dieu tout puissant, hautain, jaloux de son pouvoir, autoritaire, capable parfois de terrible colère à un Dieu de patience et de compassion, « lent à la colère et plein d’amour », un Dieu qui ne condamne pas, un Dieu qui aime à ce point l’homme qu’il le laisse totalement libre.
Quitte à ce que cet homme se serve mal de cette liberté !

Un Dieu qui, quoi que nous ayons fait de nos vies, ne nous laisse pas à genoux dans les ornières de notre culpabilité et derrière les barreaux de nos principes moraux « petits bourgeois » si souvent étriquées.
Un Dieu qui, toujours, nous relève et nous ressuscite…

Creusons un peu, Frères et Sœurs, l’image que nous avons de Dieu et que le Christ nous invite aujourd’hui à revoir, à modifier, à éclairer d’une lumière nouvelle.

Que font les deux fils ?
Bien que très différents, ils font finalement la même chose : ils « comptent » !

Ils font des additions, des soustractions, il font « chauffer la calculette » afin de savoir qui a droit à quoi, qui mérite quoi ?

Le « prodigue » commence par estimer que son Père lui « doit » son héritage avant de revenir penaud et d’affirmer qu’il ne « mérite » plus rien.

L’autre fils, celui qui est resté, celui qui soit-disant n’a pas fait un pas de travers, qui a respecté la bonne morale, qui a toujours dit « oui à Papa » estime que sa fidélité lui donne aussi des « droits » et qu’il « mérite » de la reconnaissance.

Mais le Père se fiche éperdument de cette sordide comptabilité !
L’amour de Dieu ne se met pas en formule arithmétique, il ne se soupèse pas !

Dans la grande histoire de la Révélation, toute la pédagogie de Dieu consiste justement à « casser » l’image d’un Dieu comptable, genre grand « contrôleur de gestion » qui noterait, sur son tableau « Excel » toutes nos fautes afin de nous faire payer un jour l’addition !

L’Epître de St Paul aux Corinthiens, que nous venons également d’entendre, peut nous aider à sortir de cette logique comptable.

L’Apôtre nous dit que :

« Dieu efface pour tous les hommes le compte de leurs péchés ».

Qu’est- ce que cela veut dire ?

Deux hypothèses :

Première hypothèse : depuis le commencement du monde, Dieu, comme le banquier grognon du « Petit Prince », fait le compte scrupuleux et tatillon de chacun de nos péchés. Puis, dans sa grande mansuétude, il se déclare prêt à « effacer l’ardoise » en envoyant son Fils se sacrifier pour nous, porter à notre place le poids de nos pêchés. Cela s’appelle, dans le jargon religieux, la « substitution » : le Christ serait venu sur terre se substituer à nous, il serait cette « victime sacrificielle » nécessaire qui, par son sang, rachèterait nos fautes.

Deuxième hypothèse : Dieu ne sait pas compter ! Dieu est totalement nul en math ! Jamais, depuis le commencement des temps, il n’a comptabilisé nos fautes. Et Jésus est venu sur terre tout simplement pour nous le prouver ! Pour nous dévoiler un Dieu d’amour au pardon infini…

Alors, voyez-vous, Frères et Sœurs, le travail de la Révélation, le travail que nous avons, chacune et chacun à mener, consiste sans doute à passer de la première à la seconde hypothèse !

Il nous faut tordre progressivement le cou à l’image d’un Dieu comptable. Lorsqu’il dialogue avec Abraham, Dieu ne parle jamais de « péché » mais « d’alliance ». Il ne compte pas, il aime !

Expérience que feront ensuite Moïse, David, Elie, Paul et tant d’autres…

Voici, Frères et Sœurs, une vraie bonne nouvelle pour nous ! Si Dieu ne tient pas le compte de nos fautes, alors, nous n’avons pas de « dette » à lui payer, pas de rétribution à lui verser, il ne va pas nous envoyer les huissiers, nous n’avons pas besoin que Jésus se « substitue » à nous pour laver, dans le bain de son propre sang, notre péché !

Jésus ne prend pas notre place, il ne se substitue pas à nous et à notre liberté. Non, il marche devant nous, il nous précède, il se mêle à notre humanité, il prend le risque total de la liberté humaine, quitte à ce que cette liberté mal utilisée finisse par le clouer sur la croix ! Jésus aime sans condition, sans nous faire signer, au préalable, la moindre reconnaissance de dette…

La vraie bonne nouvelle, Frères et Sœurs, c’est que Dieu n’a jamais fait le moindre compte de nos fautes. Que toujours son amour et son pardon nous précèdent. Toujours, il est ce Dieu, « lent à la colère et plein d’amour ». Cela ne gomme en rien notre responsabilité et l’impérieuse nécessité que nous avons à lutter contre notre péché, à nous convertir.
Se convertir, c’est, affirme Saint Paul dans notre épître, « se laisser réconcilier ».
Nous avons une triple réconciliation à opérer :

- d’abord nous réconcilier avec nous-même, car nous sommes souvent les premiers comptables de nos fautes, les premiers juges impitoyables de nos fragilités. Nous portons sur nos frêles épaules le poids de notre culpabilité. Nous jouons les comptables avec nos propres fautes. Nous estimons que nous ne méritons pas le pardon et l’amour de Dieu. Mais rappelons ce que nous dit Saint Paul : « Si ton cœur te condamne, Dieu est plus grand que ton cœur » !

- deuxièmement, nous avons à nous réconcilier avec les autres, car nous sommes souvent également des « juges » impitoyables pour les autres. Osons nous demander si nous sommes capables de réagir comme le Père du prodigue : oublier le mauvais compte de nos rancunes, oublier notre désir d’accuser l’autre dont nous estimons si souvent que lui seul à tord ! Rappelons-nous que Dieu nous appelle sans cesse à ouvrir les bras de la miséricorde : dans nos vies conjugales, familiales, professionnelles, ecclésiales…

- troisièmement, nous avons enfin – et ce n’est pas la moindre de nos tâches – à nous laisser réconcilier avec Dieu, ce qui commence toujours par un changement de regard sur Dieu, toujours autres que les images dans lesquelles nous l’enfermons, à commencer par celle de ce « comptable en chef » de nos fautes, qu’il n’a jamais été !

Comme le disait le philosophe Emmanuel Mounier :
« Dieu est assez grand pour faire de nos erreurs mêmes, une vocation » !