23.12.20

NOËL : Voici la nuit qui s'illumine...


Méditation pour la nuit de Noël (Déc. 2020 - Année B)

C’est une jolie crèche peuplée de jolis santons, délicatement peints à la main. 

Une jolie crèche qu’on se transmet de génération en génération…


Rien ne manque. Il y a le bœuf et l’âne, les moutons, la paille, la mangeoire drapée de foin, et là-haut dans son ciel, l’étoile tremblotante qui veille, comme un phare sur la mer. 


Ils sont tous là les santons : les petits, les grands, les neufs, les vieux, les craquelés, les rafistolés; tous modelés de cette belle terre rouge provençale. Ils s’approchent, dans la nuit noire de décembre, aimantés par la lumière et les premiers sourires de ce mystérieux nouveau-né. 


Il y a Joseph qui s’agite et s’inquiète pour sa femme et le petit qui risquent tous deux de prendre froid.


Il grogne dans sa barbe Joseph contre ce fichu aubergiste qui n’a pas voulu les laisser entrer et leur trouver une petite place au chaud. 

Il s’est méfié l’aubergiste : qui étaient donc ces réfugiés ? D’où venaient-ils ? Avaient-ils seulement des papiers en règle ? Partageaient-ils la même religion ?  Et si la police débarquait, ne serait-il pas  lui-même jugé complice de leur avoir accordé le droit d’asile ? Alors, confondant prudence et trouille – vlan ! –, il leur a claqué  la porte au nez, l’aubergiste. À l’heure qu’il est, il regarde « Plus belle la vie » à la télé, ou il dort déjà, sous la couette duveteuse de son indifférence, bien au chaud. 

Peinard l’aubergiste ! 


Il y a les bergers un peu en retrait, hirsutes dans leurs grandes capes noires, qui ne sentent pas franchement la rose. On ne les aime pas beaucoup, les bergers. Ils ont mauvaise réputation, un peu voleurs, un peu picoleurs, un peu louches. Des marginaux sans domicile fixe. Les braves gens - « qui n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux » -  s’en méfient. Mais Joseph leur sourit. Alors ils osent timidement s’approcher. 

Qui aurait dit que les premiers  visiteurs en cette sainte nuit de Noël ce seraient eux, les déclassés, les refoulés, les bafoués ?  


Près de la porte de la grange, il y a cet homme courbé, la cinquantaine grisonnante, qui roule sa casquette dans ses mains et rase les murs, gêné : depuis qu’il pointe à « Pole Emploi », il a les poches vides : même pas de quoi acheter un cadeau au petit. C’est au tour de Marie de lui sourire, alors il s’enhardit et vient s’agenouiller, près d’elle et de l’enfant. 

Comme eux, sur la paille !


Il y a cette jeune femme qui sort de l’hôpital, la tête enturbannée dans un joli foulard. Elle regarde, émue et attendrie, Marie donner le sein au petit. 


Il y a le grand-père blagueur et, perché sur ses épaules, son petit-fils qui se marre en lui chatouillant les oreilles. 


Il y a le jeune couple qui se tient tendrement par le cœur et qui rêve déjà à ce mariage radieux, annoncé pour juillet.


Il y a… la « famille catholique ». Ah, la famille catholique, ses 5 enfants élevés dans les meilleures écoles, tous biens sages à la messe le dimanche ! Elle fait un peu envie, la famille catholique prétendument idéale !  Mais souvent, elle donne le change, et cache derrière ses volets clos, petits tracas ou grandes blessures… Comme tout le monde !


Il y a, un peu dans l’ombre, cette autre femme qui tient la main à sa propre solitude : un méchant divorce dont elle peine à se relever. Mais, ce soir, dans le chaos de sa vie bouleversée, elle a l’intuition que la douce lumière qui émane de la crèche brille pour elle. Oui, pour elle ! Elle hésite un peu, puis, oui, plus de doute, elle y croit à cette lumière : « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; sur les habitants du pays de l’ombre, une lumière a resplendi » ! 

 

Ils sont tous là, les assoiffés de lumière : le SDF frigorifié, le convalescent essoufflé, à peine remis des attaques sournoises de ce méchant virus, le cadre tout juste sorti du bureau qui desserre sa cravate, l’étudiant encore groggy par la surchauffe des partiels, la prostituée qui se demande si elle a le droit d’être là, le boulanger qui songe à sa prochaine fournée, le sans-papier qui tente de ne pas se faire repérer, la jeune handicapée un peu gênée dans son fauteuil qui encombre le passage, le marin-pécheur à peine débarqué qui refait, inquiet, le compte des traites à payer,  le médecin urgentiste harassé par ses nuits de garde et le taulard, comme tous les autres, en permission d’espérance…


Au premier rang,  il y a les enfants rieurs et complices, qui ouvrent leurs grands yeux et n’en loupent pas une miette. Ils sont ébahis les enfants… C’est si simple Noël lorsqu’on l’accueille avec un cœur d’enfant !


Planqués derrière une botte de foin, il y a aussi quelques jeunes un peu distraits. Noël, ce n’est pas trop leur truc. Belle lurette qu’ils ne vont plus à la messe. Mais, ce soir, ils sont venus pour faire plaisir un peu aux parents, beaucoup aux grands-parents : c’est Noël tout de même ! 


Même s’ils ne le montrent pas, ils sont touchés par la lumineuse fragilité de ce petit, dont, depuis des siècles, les croyants disent qu’il serait le propre fils de Dieu. 


Mais y croient-ils vraiment les « croyants » à cette incroyable nouvelle ? Devant l’immensité du mystère, ne faudrait-il pas, plus humblement, plus simplement, plus justement, les appeler, plus modestement, les…« espérants » ? Oui, pourquoi ne pas plutôt les nommer les « espérants » ? Car « l’espérant » espère : il ne « sait » pas. Il tâtonne « l’espérant » et ne brandit pas de certitudes sur un Dieu que, franchement, il connait à peine.  Il marche si souvent à la lisière du jour, « l’espérant », toujours un peu à la frontière du doute, « l’espérant », tant sa foi est hésitante, tremblotante comme une flammèche à l’orée d’une crèche à Noël, où la foule bigarrée des santons se presse et s’incline devant l’insondable mystère d’un Dieu qui se fait homme. 


Un Tout Puissant qui, loin des images hautaines et sévères dont on l’affuble, vient naître, nu et fragile, dans les bras tendres d’une femme. 


Alors, parmi les santons, surgit une lancinante question, une « espérante » question : et si, malgré l’âpreté du dur métier de vivre, tout cela était vrai ? 


Et si Noël était bien plus qu’une jolie histoire emmaillotée dans un folklore empli de guirlandes multicolores ? 


Et si Dieu avait vraiment choisi, depuis le premier Noël de l’histoire, de venir naître dans la pénombre de nos vies, marchant devant, en éclaireur, vers notre propre joie ? 


Et si l’ange de la Bible, l’envoyé du ciel avait dit vrai : « Ne craignez pas car voici que je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tous. » 


Et si l’Éternel, l’immense auteur du livre de la vie  était  réellement venu naître parmi nous, avec ce projet fou de… nous mettre au monde ?


Regardons-le, blotti entre Marie et Joseph, ce minuscule santon d’argile qui nous tend les bras, au beau milieu de la crèche brinquebalante de notre vie.


Oui, contemplons-le cet enfant venu donner souffle à notre rugueuse glaise humaine et donner visage à ce Dieu très haut soudain si proche. 


Même s’il ne parle pas encore, Jésus, déjà, nous murmure à l’oreille : « N’aie pas peur, je suis à tes côtés, tu peux t’appuyer sur moi, je t’offre bien plus que l’or, l’encens et la myrrhe. Je t’offre l’espérance… »


Même s’il est encore petit, ce Fils de Dieu est déjà fort et solide, qui vient remettre notre cœur et le monde à l’endroit. 


Un Dieu qui disperse les superbes.

Un Dieu qui renverse les puissants de leur trône.

Un Dieu qui élève les humbles. 

Un Dieu qui comble de bien les affamés. 

Un Dieu qui renvoie les riches les mains vides. 


Regarde-la bien, ami, cette douce lumière de la crèche : c’est une flamme fragile qui pourtant déjà  se fait promesse d’un feu ardent. Lumière pascale qui, déjà à Noël, vient  réchauffer les nuits obscures des hommes et des femmes de ces temps bouleversés.


Oui, ami, laisse-toi guider par cette flamme furtive qui tremblote en cette nuit de Noël où, toi et moi, nous avons rendez-vous avec la joie. 


Une joie imprenable. 

Une joie plus forte que la peur. 

Une joie« malgré tout ». 


Oui, ami, « Voici la nuit,
La sainte nuit qui s’illumine… »

Voici l’Amour qui vient… si nous le laissons naître…



(c) Bertrand Révillion

19.12.20

NOËL MALGRÉ TOUT


 Méditation pour le 4ème dimanche de l'Avent

Voici que, dans un contexte particulièrement blessé cette année, notre « traversée » vers Noël déjà  s’achève. 

Dieu va surgir et les textes de ce dernier dimanche de l’Avent viennent nous rappeler une vérité spirituelle fondamentale : c’est Lui qui vient vers nous, c’est Lui qui choisit de nous rejoindre, c’est toujours Lui qui fait le premier pas vers nous. 

Le roi David est fier d’avoir bâti un temple pour le Seigneur, mais Dieu lui rappelle que c’est Lui qui construit le véritable temple du Royaume. 


Souvent, dans notre vie spirituelle, nous voudrions faire des projets, tenir la carte routière de notre propre itinéraire de croyant. Nous rêvons que les choses se passent comme nous les avons imaginées, confondant notre propre désir avec celui du Très Haut. Et Dieu, toujours, nous déroute : Il surgit là où nous ne l’attendons pas, Il nous propose un chemin que nous n’aurions pas spontanément choisi. Parfois plus ensablée…


L’attitude spirituelle féconde est alors celle de Marie. Sans doute est-elle surprise par l’annonce de l’ange qui ne correspond pas à ses projets. Mais elle accepte de se décentrer de son propre désir pour laisser grandir en elle le désir de Dieu. Elle se rend disponible : « Voici la servante du Seigneur. »

Faire, moi-aussi, en marchant vers Noël, ce fécond travail spirituel : me décentrer de moi-même pour laisser le désir de Dieu s’enfanter en moi ; laisser le Seigneur me  mettre au monde selon « Sa » Parole. 

Même si cet enfantement est – particulièrement en ces temps troublés – difficile. 


« Il nous faut réconcilier quête du bonheur et rudesse du chemin, confie le prêtre et écrivain, Gabriel Ringlet. La blessure ne s’oppose pas à la joie ».


(c) Bertrand Révillion

 

12.12.20

LA JOIE MALGRÉ TOUT...

 Méditation  pour le 3ème Dimanche de l' Avent (B) - 13 novembre 2020



Ce 3ème dimanche de l’Avent est traditionellement appelé le « dimanche de la joie », « gaudete » en latin. 


« Soyez toujours dans la joie », exhorte Paul dans sa lettre aux Thessaloniciens.


Cette invitation n’est pas toujours simple à entendre car la vie n’est elle-même pas simple, qui traîne dans son sillage son inévitable lot de blessures…


Cette année, sans doute plus que d’autres, la demande de l’Apôtre est rude à entendre, peut-être même inaudible à beaucoup d’entre nous en raison du caractère particulièrement dramatique de la crise sanitaire qui frappe tant d’hommes et de femmes sur notre planète.


Alors, oui, la question se pose, dans toute son arridité : 


Comment oser proclamer « Réjouis-toi ! » à un monde comme le nôtre, dans le contexte qui est le nôtre actuellement ?


Quelle est donc cette « joie » à laquelle nous convoque l’Évangile ? 

Une joie qui résisterait à la dimension tragique de l’existence ? 

Une joie imprenable ?


Dans son désert, Jean-Bapstiste a peut être trouvé la voie étroite qui mène, malgré tout, à cette joie.


Sa propre vie est blessée, il souffre de crier dans le désert, de ne pas être entendu. Il aimerait tant  sortir ses contemporains de la superficialité et des infidélités dans lesquelles ils s’embourbent. Son désir ardent de faire découvrir Celui qui doit venir, va le mener d’abord en prison, puis à la mort…


Destin tragique que celui du Baptiste.


Mais, étrangement, malgré sa « sainte colère », et son échec apparent, Jean-Baptiste est un homme profondément heureux, habité d’un bonheur qui rend libre, d’un bonheur qui n’efface certes pas le malheur, mais qui voit, par delà la douleur de vivre, l’horizon d’une Promesse.


Comme tous les grands prophètes d’Israël, Jean sait que Dieu est fidèle et que si l’espoir semble impossible à envisager à hauteur d’homme, l’Espérance est malgré tout promise.


Et, dans la solitude de son « désert », Jean découvre progressivement que cette Promesse est déjà réalisée, que l’Espérance est déjà là. 


Il l’affirme à la foule : « Au milieu de vous se tient Celui que vous ne connaissez pas… »


Réfléchissons un peu à cette affirmation qui remplit Jean d’une joie secrète : « Au milieu de vous se tient Celui que vous ne connaissez pas ».

 

C’est comme si le Baptiste voulait nous indiquer l’adresse du vrai bonheur, de la joie authentique ! 


Il y a peut-être trois manières d’entendre cette phrase. Peut-être Jean est-il en train de nous indiquer trois « adresses » du bonheur ? 


Trois grandes joies à redécouvrir en ce temps de l’Avent, si particulier cette année ? 


- La première joie, c’est la joie de l’intériorité. 


Lorsqu’il affirme qu’il y a « au milieu » de nous, quelqu’un que nous ne connaissons pas, le Baptiste nous convie à « l’aventure intérieure », au secret dialogue avec nous-même, à la méditation. 


Au milieu de nous, c’est à dire au plus profond de notre cœur, se tient le secret de la joie. 


Car nous sommes – ne l’oublions pas – le temple de l’Esprit : c’est en nous que Dieu a dressé sa tente. 


Un grand mystique du 17ème siècle, Angélus Silésius, l’écrivait déjà : 


« Arrête, où cours-tu donc ? Le ciel est en toi ; et chercher Dieu ailleurs, c’est le manquer toujours… »


Vivre l’Avent, c’est donc nous donner les moyens et le temps de l’écoute intérieure. 


Nous faisons habituellement tellement de bruit avec nous-même, nous sommes tellement habités de confusions, tiraillés par des désirs contradictoires, tenaillés par tant de peur et de tristesse que Dieu, en nous, n’a plus la parole, il est comme bâillonné, muselé. 


L’Avent, c’est l’art de s’asseoir, l’art de s’arrêter pour écouter l’Esprit qui, tel le secret murmure d’une brise légère, parle en nous. 


Si, dans quelques jours, nous voulons réellement voir naître – malgré tout – le Christ dans nos vies, nous avons à pratiquer l’art de l’écoute intérieure. 


Il nous faut, en ce temps de l’Avent, entendre le conseil que Saint Bernard donnait à ses moines : 


« Tu désires voir ? Ecoute d’abord ! »


- La seconde joie, dont le Baptiste nous donne l’adresse, c’est la  joie de la communauté. 


Lorsque Jean affirme que se tient « au milieu de nous » Celui que nous ne connaissons pas, il nous dit aussi que le Christ se trouve « parmi nous », c’est-à-dire au beau milieu de notre communauté chrétienne. 


L’Eglise n’est pas une simple réunion d’adhérents à une association ; l’Eglise, en formant communauté, révèle le visage de Dieu. 


C’est au beau milieu de la foule des disciples de Jean le Baptiste que, soudain, Jésus apparaît. 


Comme si cette communauté d’hommes et de femmes en attente et en désir de conversion permettait soudain la révélation du fils de Dieu, comme si la communauté donnait soudain, par le simple fait de son rassemblement, visage au Christ ! 


Autrement dit, nous avons, dans notre marche vers Noël, impérativement besoin les uns des autres. 


Car l’autre que je rencontre dans la communauté chrétienne est l’icône vivante, le livre ouvert où je peux lire la trace de Dieu en ce monde. 


Vivre l’Avent, c’est se nourrir de cette grâce de la communauté – même si la situation actuelle limite et blesse notre désir de rencontre – dans laquelle Dieu nous parle à travers l’autre.


Cherchons les voies, inventons les sentiers pour vivre, malgré tout, cette grâce d’une communauté qui, quelques soient les techniques utilisées, n’est jamais « virtuelle »…


- La troisième joie, c’est la joie de la solidarité. 


Car, en annonçant que Dieu vient « au milieu de nous », le Baptiste affirme une autre vérité : le Christ se tient aussi « au milieu de ce monde », au milieu de notre société, même si celle-ci l’ignore ou le rejette. 


Voilà la grande nouvelle de Noël : Jésus n’est pas assigné à résidence dans nos églises, bien protégé par nos tabernacles ! 


La grande nouvelle de Noël, c’est que Dieu n’est pas réservé aux seuls « pratiquants » plus ou moins réguliers mais qu’il vient naître en pleine humanité, en plein cœur des pauvretés et des fragilités de ce monde. 


Le lieu de sa révélation, c’est ce monde-ci, tel qu’il est. Même blessé. Surtout blessé. 


L’incarnation, c’est un Dieu qui se fait pauvrement homme parmi les hommes pauvres, c’est un Dieu fragile qui vient habiter les fragilités humaines. 


La grande joie de Noël, c’est que Dieu vient habiter pleinement notre condition humaine blessée, qu’il vient, comme un baume, soigner et consoler. 


La grande, l’immense joie de Noël, c’est que Dieu vient naître sur la paille de nos fragilités, c’est que Dieu vient s’immiscer dans le précaire de nos vies pour mieux être « Notre Père ».


Il nous faut d’urgence mettre en pratique cette grâce de la solidarité, il nous faut, comme nous y invite le prophète Isaïe, « porter la bonne nouvelle aux pauvres, guérir ceux qui ont le cœur brisé, annoncer aux prisonniers la délivrancse, et aux captifs la liberté ».


Voilà, les trois grandes joies, les trois grandes grâces à vivre en ce temps de l’Avent. 


« La seule vraie preuve de l’existence de Dieu, c’est la preuve par la joie », disait  l’écrivain Gilbert Cesbron. 


© Bertrand Révillion

Illustration : ange souriant cathédrale de Reims