31.3.09

Méditation pour le Dimanche des Rameaux

Combat spirituel


« En nous, la lutte entre la pesanteur et la grâce »

Curieuse et paradoxale célébration que celle des Rameaux qui commence dans les acclamations joyeuses : « Hosanna au plus haut des cieux ! » et qui se termine dans un appel au meurtre : « Crucifie-le ! ».

Et ne croyons pas qu’il y a, comme dans les mauvais westerns, les « bons » d’un côté qui acclament l’entrée de Jésus à Jérusalem et de l’autre côté les « méchants » qui réclament sa mort, en lieu et place de Barabbas. La foule, souvent, est versatile et le cœur de l’homme partagé. Ce sont sans doute, pour une part, les mêmes qui acclament joyeusement le Christ et qui, quelques heures plus tard, réclament sa mort. Il y a là, ne nous y trompons pas, une image, saisissante de réalité, du cœur de l’homme, de notre propre cœur.

Nous aussi, nous acclamons le Christ, nous chantons ses louanges à la messe, nous nous agenouillons devant Lui, mais nous sommes – nous le savons bien – aussi capables de le renier, de l’oublier, de lui cracher au visage lorsque ce visage prend la figure concrète de l’homme bafoué, humilié, rejeté, écrasé par les rouages aveugles de notre économie, par les trahisons de nos amours, par l’indifférence dont notre société chloroformée nous invite à enfiler l’étroit costume !

La Sainte Semaine qui s’ouvre devant nous est comme le résumé, l’icône dramatique de notre propre vie spirituelle. En nous, à chaque instant, se rejoue le combat entre la lumière et la nuit, entre la vie et la mort, la lutte entre « la pesanteur et la grâce ».

Nous voulons acclamer notre Sauveur mais nous laissons les clous abjects s’enfoncer dans sa chair, dans la chair de l’homme humilié, dans la chair de notre pauvre foi si peureuse.
Croire, c’est mener le combat spirituel contre les forces de la nuit, en nous et autour de nous.

« Je vais t’aider, mon Dieu, à ne pas t’éteindre en moi… » écrivait Etty Hillesum, jeune juive déportée à Auschwitz.

25.3.09

Et si on riait un peu ?

Après une "actualité romaine et papale" particulièrement chargée ces dernières semaines, je vous propose de rire un peu avec l'histoire suivante:


A son retour à Rome, par une belle après-midi ensoleillée, le Pape aurait confié à une journaliste : "Il fait beau aujourd'hui !"
Ces propos ont aussitôt soulevé dans le monde entier une immense émotion et alimentent une polémique qui ne cesse de grandir.

Quelques réactions :

Le maire de Bordeaux : "Alors même que le pape prononçait ces paroles, il pleuvait à verse sur Bordeaux ! Cette contre-vérité, proche du négationnisme, montre que le pape vit dans un état d'autisme total. Cela ruine définitivement, s'il en était encore besoin, le dogme de l'infaillibilité pontificale !"

Le Grand Rabbin de France : "Comment peut-on encore prétendre qu'il fait beau après la Shoah ?"

Le titulaire de la chaire d'astronomie au Collège de France : "En affirmant sans nuances et sans preuves objectives indiscutables qu"il fait beau aujourd'hui", le pape témoigne du mépris bien connu de l'Église pour la Science qui combat ses dogmes depuis toujours. Quoi de plus subjectif et de plus relatif que cette notion de "beau" ? Sur quelles expérimentations indiscutables s'appuie-t-elle ? Les météorologues et les spécialistes de la question n'ont pas réussi à se mettre d'accord à ce sujet lors du dernier Colloque International de Caracas. Et Benoît XVI, ex cathedra, voudrait trancher, avec quelle arrogance ! Verra-t-on bientôt s'allumer des bûchers pour tous ceux qui n'admettent pas sans réserve ce nouveau décret ?"

L'Association des Victimes du Réchauffement Planétaire : "Comment ne pas voir dans cette déclaration provocatrice une insulte pour toutes les victimes passées, présentes et à venir, des caprices du climat, inondations, tsunamis, sécheresse ? Cet acquiescement au "temps qu¹il fait" montre clairement la complicité de l'Église avec ces phénomènes destructeurs de l'humanité, il ne peut qu'encourager ceux qui participent au réchauffement de la planète, puisqu'ils pourront désormais se prévaloir de la caution du Vatican."

Le Conseil Représentatif des Associations Noires : "Le pape semble oublier que pendant qu'il fait soleil à Rome, toute une partie de la planète est plongée dans l'obscurité. C'est là un signe intolérable de mépris pour la moitié noire de l'humanité! "

L'Association féministe Les Louves : "Pourquoi "il" fait beau et pas "elle" ? Le pape, une fois de plus s'en prend à la légitime cause des femmes et montre son attachement aux principes les plus rétrogrades. En 2009, il en est encore là, c'est affligeant !"

La Ligue des Droits de l'Homme : "Ce type de déclaration ne peut que blesser profondément toutes les personnes qui portent sur la réalité un regard différent de celui du pape. Nous pensons en particuliers aux personnes hospitalisées, emprisonnées, dont l'horizon se limite à quatre murs ; et aussi à toutes les victimes de maladies rares qui ne peuvent percevoir par leurs sens l'état de la situation atmosphérique. Il y a là, sans conteste, une volonté de discrimination entre le "beau", tel qu'il devrait être perçu par tous, et ceux qui ressentent les choses autrement. Nous allons sans plus tarder attaquer le pape en justice."

A Rome, certains membres de la Curie ont bien tenté d'atténuer les propos du pape, prétextant son grand âge et le fait qu'il ait pu être mal compris, mais sans succès jusqu'à présent.

Ite missa est !


19.3.09

La citation du jour

"Au-delà des crachats des médias qui fustigent le fanatisme catholique, si
heureux de pouvoir dire: CQFD, on se prend à se demander avec nostalgie pourquoi
l'Eglise ne pourrait pas ressembler davantage au Christ qui fait toujours passer
l'esprit avant la loi..."


Chantal Delsol, philosophe
Le Figaro- 18 mars 2009

Humeur chagrine

Vous êtes, Madame, chagrinée par le mauvais temps qui s’abat actuellement sur cette Église dans laquelle vous êtes engagée depuis près de quarante ans. La lettre que vous m’adressez témoigne – sans hargne mais non sans une dose revigorante d’indignation – de votre inquiétude.
Il y a, bien sûr, cette étrange « affaire » de levée d’excommunication qui vous reste en travers de la gorge. Non pas que vous ne compreniez pas la volonté du Pape de réduire, comme on le fait d’une mauvaise fracture, le schisme aveuglément ouvert par Mgr Lefebvre. Ce qui vous choque, c’est cette manière bien solitaire de procéder sans réelle concertation des évêques, à rebrousse-poil du « peuple de Dieu » – expression dont vous vous demandez si elle a encore cours aujourd’hui.
Ce qui vous trouble – au-delà de l’écœurante profession de foi révisionniste de ce prélat schismatique – c’est le caractère bien peu repenti de certaines des brebis égarées à qui la porte est généreusement ouverte, mais qui donnent le désagréable sentiment de vouloir sabrer le champagne en coupant, du même mouvement, la tête de Vatican II !

Il y a aussi cette incompréhensible excommunication au Brésil, à propos de l'avortement pratiqué sur une enfant violée par son beau-père (voire ci-dessous) ; et puis encore (cela commence à faire beaucoup !) cette déclaration choquante du Pape sur le préservatif, à l'orée d'un voyage en Afrique, continent le plus touché par le sida...

Plus profondément, Madame, vous me confiez votre « fatigue » devant des « blocages », des « marche arrière » : un mauvais cléricalisme qui pointe le bout de son nez et semble vouloir remettre les laïcs « à leur place » ; le retour à une conception discutable du sacré et de la liturgie ; des rappels à l'orthodoxie morale qui claquent comme des portes qu'on referme sur le difficile "métier de vivre"; des responsabilités encore bien timides laissées aux femmes dans une institution ecclésiale au gouvernement trop masculin ; l’impasse dans laquelle on laisse les divorcés qui prétendent renaître à l’amour ; et cette peur lancinante du monde contemporain…

Puis-je vous dire, chère Madame, que je comprends votre fatigue et qu’il m’arrive de partager certaines de vos impatiences. L’Église a, ces temps-ci, mal à la modernité. Mais l’Évangile n’attend pas : il nous invite à l’audace et non au repli, à la compassion et non à la mise sur le banc de touche. Il nous invite surtout – plutôt qu’à ressasser nos « problèmes internes » – à aller « hors les murs », vers les hommes et les femmes qui, dans ces temps déboussolés, cherchent un peu de fraternité, de sens, une foi, une espérance…

J’ai perçu, dans votre lettre, Madame, comme une tentation : celle de claquer la porte, de partir sur la pointe des pieds, de « rendre votre tablier » de chrétienne engagée. S’il vous plaît, n’en faites rien !
L’Église a besoin de vous, de votre foi, de votre compétence, de votre « espérance à toute épreuve » ; de vos « coups de gueule » aussi !
La liberté de parole n’empêche pas la fidélité : cessons donc de confondre « communion » et « unanimité » ! S’ils étaient en communion de foi, les premiers chrétiens n’étaient pas toujours d’accord entre eux. Et cela n’est pas, que je sache, un péché !
Entre repli identitaire et ouverture naïve au monde, difficile est le sentier. L’Église cherche sa voie et n’a pas trop de tous ses membres – sincères et fidèles au phare du Concile – pour tracer la route. Quitte à ce que cela tangue parfois sous les voûtes.
Avant d’être une institution humaine qui, inévitablement, a ses limites, l’Église est, ne l’oublions pas, ce « corps » mystérieux par lequel Dieu prend visage en ce monde…
Difficile chemin que le nôtre : il nous faut croire au Christ Ressuscité, avec l’Église, parfois malgré l’Église, mais jamais sans l’Église !

15.3.09

La citation du jour

"Je marche vers Dieu à reculons, je tomberai en Lui à la renverse..."
Gustave Thibon

13.3.09

Méditation pour le 3ème Dimanche de Carême

Salutaire coup de balai !

Épisode ô combien célèbre que celui des « marchands du Temple » ! Voici que Jésus troque soudain sa divine douceur contre une sainte colère…
Facile de voir d’abord dans cette scène, une charge contre le « vilain » commerce. Pourtant, les marchands ne vendent pas de moches souvenirs en toc, genre saint en plastique avec fausse neige qui tombe ! Non, ils proposent aux pèlerins, venus souvent de loin, les animaux nécessaires au sacrifice ; et les changeurs permettent de laisser à la porte du Temple l’argent impur frappé à l’effigie de l’occupant romain. Ces commerçants ne sont donc que des serviteurs biens utiles aux célébrations juives.
Pourquoi donc alors ce « coup de sang » de Jésus ?
Sans doute veut-il, par ce geste spectaculaire, amener son auditoire à un changement de regard… Est-ce seulement dans un temple de pierre – aussi grandiose soit-il – que se tient la Présence ? Est-ce seulement dans les observances rituelles – aussi pieuses soient-elles – que l’on rencontre Dieu ?
Nos « pratiques religieuses » sont-elles réellement ouverture à la rencontre du Père, ou n’y font-elle pas parfois obstacle ? Combien de messes, combien de liturgies où nous ne faisons que nous prêter, par peur de nous donner ? Combien de fois ne prêtons-nous qu’une oreille distraite à l’Évangile que nous laissons s’affadir en nos vies ?
En usant du fouet sur l’esplanade du Temple, c’est, en fait, en notre cœur que le Christ donne un salutaire coup de balai. Devant l’encombrement de notre âme, il fait « place nette ». Car notre foi a régulièrement besoin de sortir de « la maison d’esclavage » de ses petites certitudes et petites habitudes. Il lui faut retrouver – et le Carême en offre une belle occasion – le grand vent décoiffant du désert, le grand souffle purificateur de l’exode.
Nos manières de croire ont toujours besoin d’être purifiée, et nos pratiques, converties !

Une excommunication de trop !

Au Brésil, une fillette de 9 ans, violée depuis l'âge de 6 ans par son beau-père, se trouve enceinte de jumeaux. Sa mère la conduit à l'hôpital pour des douleurs au ventre. L'équipe médicale découvre la grossesse et décide de procéder à un avortement, en raison d'un risque vitale pour la fillette.
L'archevêque de Récife au nom de "la loi de Dieu" déclare le 5 mars l'excommunication, rapidemment confirmée par un cardinal au Vatican. Le code de droit canon (article 1398) déclare que "qui procure un avortement, si l'effet s'en suit, encourt l'excommunication latae sententiae", autrement dit "automatique". Mais le droit de l'Eglise dit aussi (article 1324) que la peine prévue doit être "tempérée" pour qui a agit forcé par une "crainte grave" (...) ou bien (...) pour éviter un grave inconvénient. Le texte précise qu'alors, le "coupable" n'est pas frappé par la sanction.

Dans le cas de cette toute jeune fille, il semble assez clair que la "sanction" n'est pas applicable, que cette jeune fille est une victime, et pas une "criminelle".
En déclarant publiquement l'exommunication, l'archevêque a totalement manqué à son devoir de compassion, d'écoute de la douleur. L'effet de médiatisation qu'il a provoqué est moralement condamnable...
Ce faisant, il a donné une image détestable de l'Eglise (qui, depuis l'affaire de "levée d'excommunication" pour les intégristes, n'avait vraiment pas besoin de cela !)

Voici la salutaire réaction de Francis Deniau, évêque de Nevers, que je vous invite à méditer:

"Je dois dire à mon frère l'évêque de Recife - et au cardinal qui l'a soutenu - que je ne comprends pas leur intervention. Devant un tel drame, devant la blessure d'une enfant violée et incapable, même physiquement, de mener à terme une grossesse, il y avait autre chose à dire, et surtout des questions à se poser : comment accompagner, encourager, permettre de sortir de l'horreur, de retrouver sens et goût à la vie ? Comment aider la fille et la mère à se reconstruire ? Nous balbutions, surtout nous les hommes, et devons compter sur les femmes pour être là avec plus de présence que de paroles. Mais des paroles de condamnation, un rappel de la loi, aussi juste soit-elle : c'est ce qu'il ne faut pas faire.
(...) Je crois que l'Église catholique assume sa responsabilité sociale en insistant, à temps et à contre-temps, sur le respect de la vie humaine « depuis la conception jusqu'à la mort naturelle ». Nous manquerions à notre responsabilité en taisant cet appel, qui relève de la défense des plus petits et des plus faibles. Après, il s'agit d'accompagner chaque personne, dans des situations où je ne voudrais pas être, et où chacun essaie de faire au mieux de ce qu'il ou elle peut. Dieu nous appelle à des décisions qui peuvent être exigeantes, mais d'abord il nous enveloppe de sa tendresse, et il nous accueille dans les obscurités et les drames de la vie. J'attends des hommes d'Église, mes frères, qu'ils n'utilisent pas son nom pour condamner des personnes ou les enfermer dans la culpabilité."


Comment le message de l'Evangile peut-il être à ce point perverti ? On ne demande pas, évidemment, à l'Eglise de défendre l'avortement. Mais on attendait d'elle d'abord des paroles de compassion, une proximité, une main tendue.en direction de cette fillette déjà douloureusement blessée. "Faut-il punir les femmes pour la faute des hommes ?" s'interoge avec raison ma consoeur de La Croix, Dominique Quinio.

Inutile d'en rajouter : méditons ce passage de l'Evangile de Matthieu ( 23, 1-12) offert à notre méditation cette semaine:

"Ils lient de pesants fardeaux et en chargent les épaules des gens; mais
eux-mêmes ne veulent pas les remuer des doigts..."

7.3.09

Méditation pour le 2ème Dimanche de Carême

Commençons, Frères et Sœurs, par « tordre le cou » à une mauvaise interprétation de cette scène biblique dramatique dont notre première lecture fait le récit…

Moi, je vous le dis sans détours : je n’ai absolument, mais alors vraiment absolument aucun désir de croire en un Dieu qui, soi-disant, demanderait à un père de tuer son enfant !

Vis à vis de ce « Dieu pervers », j’opte résolument, et sans aucune hésitation, pour l’athéisme le plus borné !

Et j’espère bien que vous aussi !

Gare au contresens !

Évidemment, nous sommes tenté de ne retenir de ce passage de la Genèse, que cet ordre abjecte, prétendument formulé par Dieu :

« Prends ton fils, ton fils unique, celui que tu aimes,
(il insiste
lourdement, le bougre !), et tu l’offriras en sacrifice sur la montagne que
je t’indiquerai. »


Au risque d’oublier la seule phrase vraiment importante de ce célèbre récit qui a tant inspiré les peintres :
« Ne porte pas ta main sur l’enfant ! »

Que se passe-t-il dans cette histoire ?

Les sacrifices humains existaient sans doute encore à l’époque, chez certains peuples du bassin méditerranéen.
Il y avait cette croyance obscure qu’il est possible de calmer le courroux divin par un bain de sang…
Par contre, chez les juifs, le refus de tels sacrifices est une constante clairement affirmée par plusieurs prophètes…
Jérémie notamment, fait dire à Dieu :
« Cela, je ne l’ai jamais demandé et je n’ai jamais eu l’idée de faire
commettre de telles horreurs. »

Le récit de ce que nous appelons improprement « le sacrifice d’Isaac » est donc, non pas un appel au meurtre, mais au contraire, une condamnation absolue des sacrifices humains…

Mais, malgré ces mises en garde, la tentation peut resurgir.

Dans des situations de détresse peut s’insinuer la vilaine croyance qu’on pourra s’attirer les bonnes grâces du Dieu tout puissant en lui offrant la vie de ce qu’on a le plus cher. En sacrifiant son bonheur !

On « achète » en quelque sorte une meilleur relation à Dieu au prix du sang versé…

On pourrait dire que, dans cette sombre histoire, Abraham entend successivement 2 voix qu’il attribue à Dieu :

- la première - qui lui réclame la vie d’Isaac - Abraham commence par croire sincèrement qu’elle vient réellement de Dieu. Mais il se trompe !
Cet ordre épouvantable ne surgit que des profondeurs les plus obscures, les plus rustres, les plus violentes de l’âme humaine…

- la seconde voix, elle, est véritablement « parole de Dieu », parce que « parole de vie » :
« Ne fais aucun mal à l’enfant »…

Il faudra un bon moment, peut-être le temps de cette marche purificatrice vers la montagne, pour que le cœur d’Abraham s’ouvre peu à peu et passe d’une mauvaise conception du désir de Dieu à une compréhension purifiée de ce désir…

Voici, Frères et Sœur, une indication précieuse pour notre Carême :

Tout d’abord, notons que le sacrifice qui plaît à Dieu n’a rien à voir avec la souffrance et la mort…

Dieu ne nous demande jamais de sacrifier notre bonheur !
Bien au contraire, Dieu veut notre bonheur.

« La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant ! »
disait Saint Irénée…

Ainsi, le Carême n’est pas un temps pour se faire du mal, mais du bien !
Non pas un temps de tristesse, mais de joie !
Saint Benoît, qui n’avait rien contre les vertus du jeûne, mettait en garde ses moines : l’important, pendant le Carême, ce n’est pas tant ce qu’on a, ou ce qu’on n’a pas, dans son assiettes !
L’important c’est de savoir si la manière dont nous pratiquons le Carême va nous mener à « la joie du désir spirituel», disait St Benoît

Ainsi, Frères et Soeurs, le Carême est, non pas un temps d’affliction mais une marche vers une joyeuse libération.
Et il nous faut effectivement commencer par nous libérer des mauvaises images que nous avons de Dieu.
Car trop souvent, nous lui faisons porter un « chapeau » qui n’est pas le sien !
Souvent notre conception de Dieu est « trop étroite », comme on dit d’un costume trop petit, qui gêne aux entournures, et que nous voudrions Le voir revêtir…

Comme Abraham, nous commençons par attribuer à Dieu des désirs qui ne sont pas les siens, nous le coiffons d’images qui ne lui ressemblent pas, nous lui faisons même parfois dire n’importe quoi !

Combien de « guerres saintes », combien d’anathèmes, combien de rejet de l’autre n’a-t-on pas formulé, au cours de l’histoire, « au nom de Dieu » ?
L’actualité nous montre malheureusement que c’est encore le cas aujourd’hui…

Dieu nous a fait à son image et nous lui rendons tristement la pareille !


Alors, Frères et Sœurs, peut-être que l’une des tâches, l’un des labeur de ce Carême, consiste pour nous à essayer de « casser les idoles »,
toutes ces fausses images de Dieu qui nous arrangent bien,
qui nous préservent de tout changement,
qui confortent notre confort, notre pouvoir,
notre conception étriquée de la morale
et de l’ordre sociales auquel nous appartenons…

La Bible, c’est l’histoire d’une lente et progressive purification de l’idée que l’homme se fait de Dieu :

l’obscure Dieu vengeur cède progressivement la place au Dieu de tendresse de Jésus Christ, « lent à la colère et plein d’amour», nous dit un psaume…

Cette purification, nous avons, nous aussi à la mener dans notre vie…

Sur le mont de la Transfiguration, les disciples « voient » le Christ tel qu’il est. Mais cette « vision », au lieu de les mettre en route, les « scotchent » sur place.

Ils n’ont pas compris : ils veulent « planter trois tentes », autrement dit rester sur place, faire du sur place, s’immobiliser, faire ce qu’on appelle en télévision un « arrêt sur image ».

Mais Dieu ne reste jamais bien longtemps dans les images et les conceptions dans lesquelles nous prétendons le retenir, il est déjà « ailleurs ».

Pour le suivre, il faut « se bouger » ( !), sortir de ses certitudes, vivre la foi chrétienne, non pas comme une « installation » mais comme une dés installation.

La foi nous veut « nomade », en exode, toujours en marche vers un visage de Dieu qui, comme à l’auberge d’Emmaüs, s’efface, à l’instant même où il se dévoile…


Le philosophe Gustave Thibon disait :

« Il faut courir après Dieu, de ruine en ruine, à travers les éboulements
successifs des images et des idées que nous nous faisons de Lui ».

Amen !

2.3.09

Carême: Lève-toi et mange !

Dans un épisode célèbre, la Bible (au 1er livre des Rois, chapitre 19) nous donne d’assister à cette scène émouvante : blotti et recroquevillé sous un genêt isolé, le prophète Elie n’en peut plus et sombre dans la dépression. Il n’est pas bien fier de sa vie. Lucide, il est conscient de ses limites, de ses infidélités, de ses égarements…« Je ne vaux pas mieux que mes pères ! » Alors, il fuit au désert où il voudrait bien entrer dans la grand sommeil du « dès-être », se défaire de lui-même, cesser d’être lui.

Elie se fuit mais, où qu’il aille, Elie s’emporte avec lui ! Impossible, en effet, de se fausser compagnie à soi-même ! D’où la colère d’Elie : il « s’emporte » contre lui parce qu’il ne peut pas faire autrement que de « s’emporter » avec lui !

Le sentiment qu’éprouve le prophète, nous est bien connu. Qui d’entre nous n’est pas parfois gagné par la fatigue d’être soi ? Comme si, tout à coup, notre cœur sonnait le creux, comme si notre âme n’habitait plus à l’adresse indiquée ! Temps de désert rugueux, aride… Temps d’émondage…

Elie, sous son arbre chétif, pourrait se laisser aller à rester à terre, à raz de sol, le nez et le cœur dans les poussières de sa vie passée, écrasé par son mal-être et rongé par la culpabilité. Mais ce serait compter sans la petite flammèche qui vacille encore en lui. Voici que l’ange, l’envoyé de l’Eternel, lui murmure à l’oreille : « Lève-toi et mange… »
Elie n’a plus faim de rien, Elie, au désert, n’a plus de désir, mais demeure, tout de même, dans un replis de son âme, une petite lueur de confiance. Alors, Elie écoute la voix de l’ange et mange la galette mystérieusement déposée à son chevet. Mais… se recouche !
Elie n’a pas compris, il n’est pas encore « éveillé » ! Alors l’ange revient à la charge : « Lève-toi et mange, car autrement, le chemin serait trop long pour toi… »
Précieuse injonction de l’envoyé !

Ainsi donc, toute vie spirituelle inévitablement confrontée un jour ou l’autre au « désert », au « non désir » passe par une décision : « Lève-toi ! » Autrement dit, quelle qu’ait été jusqu’à présent ton existence, quelles que soient tes blessures, décide-toi à vivre ! Malgré tout ! Jésus dira au paralytique : « Prend ton grabat ! » Autrement dit, ose prendre à pleine main la mauvaise civière où gîssent tes faiblesses, tes fragilités, tes blessures. Ose porter le poids de ta vie, ose te supporter, ose surtout te laisser porter par un Autre...
Oui, « Lève-toi », profite de ce temps béni du carême pour te relever, car ce n’est que lorsque tu auras décidé toi-même de te mettre debout, en marche, en chemin, en « itinérance », en exode fécond, que l’Eternel pourra venir pétrir la pauvre farine de ta vie pour en faire le pain savoureux de ta résurrection.

« Lève-toi » car le voici Celui qui vient, sur tes sommeils, ouvrir les volets du matin de Pâques.
« Lève-toi » car le voici Celui qui vient raviver la faim d’avoir faim et la soif d’avoir soif.
« Lève-toi » car le voici Celui qui, au travers du « bruissement d’un souffle ténu », vient te murmurer à l’oreille du coeur : « Tu as du prix à mes yeux… »Oui, « Lève-toi, et mange » car le voici le Maître du désir qui fera pour toi « toutes choses nouvelles !»