17.4.16

VocationS

4ème dimanche de Pâques C/17 avril 2016

Traditionnellement, le 4ème dimanche après Pâques est consacré aux vocations.

Nous sommes invités à prier pour celles et ceux qui cheminent vers une vocation particulière, celles et ceux qui s’interrogent sur le fait de, peut-être un jour, devenir prêtre, religieux, religieuse, moine, moniale, diacre…

Il s’agit pour nous de les aider, par notre prière et notre proximité fraternelle,  à mûrir leur décision, à discerner l’appel qu’ils reçoivent…

Depuis les origines, l’Église du Christ appelle certains d’entre nous non pas d’abord à des « fonctions », ni à des rôles à occuper dans un organigramme (l’Église n’est pas une administration qui emploierait des « fonctionnaires de Dieu » !), mais à être, de façon particulière, des témoins de la Bonne nouvelle.

Si nous regardons notre propre histoire, nous pouvons souvent reconnaître que si nous sommes chrétiens aujourd’hui, nous le devons à une rencontre particulière, personnelle, avec l’un de ces témoins : un prêtre ou une religieuse, un moine ou un diacre qui nous a, un jour, par son engagement, par sa parole mis en route, conforté sur le sentier de notre foi.

Cette fécondité spirituelle est souvent mystérieuse.
Il est souvent bouleversant de constater combien Dieu se sert des autres pour venir murmurer sa Parole à l’oreille de notre cœur.

Ces témoins plus particuliers reçoivent un appel (ce qui est, étymologiquement, le sens du mot vocation, du latin « vocare »/appeler).

C’est parfois un appel radical, presque tonitruant, comme Paul, littéralement renversé par la foi sur le chemin de Damas.

C’est sans doute plus souvent un lent et patient dévoilement, d’abord plein de doutes et puis qui, progressivement, s’éclaire.

Parfois Dieu appelle en direct live, toutes affaires cessantes, sur le portable de notre cœur.

Le plus souvent, il se sert des autres, de vous, de moi pour transmettre son message.

La vocation n’est, en effet par une démarche solitaire : non pas « moi seul et mon Dieu » mais plutôt une réponse à un appel communautaire.

Je ne m’appelle pas moi-même, je me laisse appeler par l’Église.

Je ne deviens pas prêtre ou diacre ou religieuse parce que simplement j’en ai envie, mais parce que l’Église à besoin de moi pour annoncer l’Évangile.

Une annonce qui ne se cantonne pas aux frontières de la communauté chrétienne mais qui s’ouvre au monde.

Un prêtre n’est pas prêtre pour les seuls paroissiens pratiquants plus ou moins réguliers.
Il est d’abord prêtre pour le monde, pour celles et ceux qui croient au ciel, certes, mais aussi, et peut-être d’abord pour celles et ceux qui n’y croient pas, ou bien qui ont des doutes et qui cherchent…

Pour s’enraciner et grandir, une vocation a besoin de trouver un bon terreau.
Et le premier de ces terreaux, c’est sans nul doute la famille.

Oh, pas une famille prétendument idéale, parfaite et confite en dévotion, mais une famille humaine, avec ses limites, ses coups de gueule, ses réconciliations, ses joies et ses pleurs…

« Le bien de la famille est déterminant pour l’avenir du monde et de l’Église » affirme le pape dans sa très belle exhortation  sur la famille qu’il vient de publier et que je vous invite vivement à lire. Un texte magnifique et très accessible !
 Un texte qui fait écho au jubilé avec comme grand mot d’ordre, celui de « miséricorde ».
Car c’est au cœur d’une famille miséricordieuse que les couples peuvent grandir, que les enfants peuvent, eux-aussi grandir.

Le Pape François rappelle combien le mariage, lui aussi, est une vocation, un appel à vivre, dans le don réciproque et le pardon indispensable, la miséricorde divine.
La famille est sans doute la première et la plus belle école de miséricorde, où il ne s’agit pas de commencer  par juger ou exclure au nom d’un code moral mais de toujours d’abord chercher à accueillir.

Dans le mariage, la famille ou la vie consacrée, c’est, avant les spécificités de tel ou tel engagement ou vocation particulière,  la même vocation commune que nous avons à vivre.

Une vocation qui puise son énergie à la source de notre baptême : être, en ce monde, des témoins de l’amour et de la tendresse infinie du Père.

Réentendons saint Paul qui,  dans notre première lecture de ce matin, cite le prophète Isaïe :

« J’ai fait de toi la lumière des nations pour que, grâce à toi, le salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. »


Amen.

10.4.16

Laissons-nous restaurer par le Christ

Méditation  pour le 3ème dimanche de Pâques C

Il y a des questions qui écrasent et d’autres qui libèrent.

Des questions qui font plier le genou et courber l’échine et d’autres qui, comme des braises dans la nuit, viennent soudain nous réchauffer le cœur et nous remettre debout.

Le Christ ressuscité qui, au petit matin, apparaît à ses disciples sur les rives du lac de Tibériade est porteur d’une de ces interrogations redoutables, une de ces questions de feu :

« Simon, Fils de Jean, m’aimes-tu ? »

Cette question, Simon Pierre commence par la recevoir comme une gigantesque gifle, un grand coup de point dans l’estomac.

Lui, le proche parmi les proches, l’ami des premières heures, sait bien qu’il est devenu en quelques minutes de faiblesse, un renégat, un infidèle, un lâche littéralement bouffé par la trouille…

Trois fois ! Trois fois, il a laissé tomber son Maître ; trois fois, en ce vendredi funeste, il s’est défilé, débiné, carapaté, affirmant qu’il ne connaissait pas cet homme ; trois fois, il a piteusement menti pour sauver sa peau, sa pauvre peau de pécheur, cette vie qui, aujourd’hui, ressemble à ce filet de pêche désespérément vide !

Après avoir, tant de fois, prêché brillamment l’amour, le don de soi, la conversion, il est, au moment décisif, lui aussi retombé dans le bourbier d’une humanité trop humaine, trop étriquée, trop peureuse…

Et Jésus, par trois fois, insiste et repose la même lancinante question : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? »

Interrogation assassine ?
Verdict sans appel ?
Condamnation sans retour ? 
Manière de bien lui maintenir la tête sous l’eau de la culpabilité ou, au contraire, main tendue à un homme qui se noie ?
Lueur de l’aube sur la barque d’une vie qui tangue dangereusement dans la nuit ?

Peu à peu, alors que le jour se lève sur les rives du lac, Pierre comprend que la triple question de Jésus, bien loin de le condamner, vient au contraire laver et pardonner son triple reniement. Briser le venin  de la culpabilité.

En mangeant le pain et les poissons préparés par Jésus, Pierre se restaure, dans tous les sens du terme : il se nourrit et se remet debout.

Voici, donné en quelques gestes, le sens de toute eucharistie, restauration pleine et entière du corps et du cœur.

Et soudain, le reniement de Pierre, sa trahison, deviennent pour les disciples, pour tous les croyants, pour nous toutes et nous tous aujourd’hui, paradoxalement comme une porte qui s’entrebâille, une pierre qu’on roule pour ouvrir un tombeau…

Car, comme Pierre, nous sommes, nous aussi,  si souvent des renégats !

La vérité, la terrible vérité, c’est, en effet, que la plupart du temps, à la question de Jésus, nous répondons, par nos silences, notre mutisme, nos aveuglements, notre narcissisme : « Non, Seigneur, je ne t’aime pas ! » 

Nous avons tellement d’autres choses à faire, tellement d’autres préoccupations, d’autres priorités, d’autres urgences.
Dieu, à la table de notre cœur est, si souvent, le dernier servi !

Avec un peu de lucidité, nous savons bien que nous ne sommes la plupart du temps que des intermittents de la foi, des croyants mal croyant, des mécréants !

La trahison de Pierre, notre trahison sans cesse réitérée, est comme une vive blessure inscrite au plus profond de notre humanité.

Nous voudrions aimer, mais nous refusons si souvent d’en payer le prix !

Nous voudrions donner et nous donner, et nous nous protégeons, nous nous gardons bien à l’abri !

Nous voudrions croire en ce Dieu dont nous avons joyeusement fêté, il y a deux semaines, la Résurrection, mais nous restons si souvent enfermés dans cet entre-deux qui sépare le Vendredi saint et le matin de Pâques, un pied dans le tombeau et l’autre mollement tendu vers les rives de la Vie.

Nous sommes peut-être des pratiquants, nous avons sans doute, comme on dit, un peu de pieuse « religion », mais sommes-nous vraiment ces « aimants » que le Christ nous invite à être ?

Sa question : « m’aimes-tu ? » nous l’entendons en fait toute la journée !

C’est l’enfant, l’adolescent qui la pose à sa mère et à son père.
Ce sont les parents qui la posent à leurs enfants.
C’est l’amoureuse qui la pose à son amoureux, et réciproquement.
C’est ce SDF qui vient me tendre la main, et qui, dans le métro, me dérange.
C’est ce réfugié anonyme dont je regarde la détresse sur mon écran de télévision.
C’est ce collègue de travail dont je sens qu’il aurait peut-être besoin d’aide et d’écoute.
C’est ce couple d’amis dont je perçois que le mariage est en train de tanguer.
C’est ce vieux voisin qui, à deux pas de moi,  crève de solitude.

Oui, à chaque coin de rue de notre journée, le Christ est là qui nous regarde et nous interroge : « m’aimes-tu ? »
« Vas-tu enfin te décentrer pour écouter l’autre, l’entendre vraiment, le rejoindre vraiment, prendre vraiment du temps pour lui, te donner à lui, à elle, sans compter, avec douceur, tendresse et patience ?»

Oui, il faut nous interroger : sommes-nous réellement capables de répondre à Jésus, les yeux dans les yeux, sans ciller : « Oui, Seigneur, je t’aime et tu le sais ! »

Pierre nous ouvre une porte car il nous fait découvrir que, pour oser prononcer cette phrase « Oui, Seigneur, je t’aime ! », il nous faut d’abord passer par l’aveu de notre faiblesse : « Non, Seigneur, je ne t’aime pas assez et c’est en osant te l’avouer que je te donne la possibilité de m’ouvrir  les bras et de me restaurer ».

Oui, il nous faut, à tous les sens du terme, nous laisser « restaurer » par le Christ.  Le laisser venir, au travers des interrogations, des attentes de celles et ceux dont nous partageons l’existence, nous murmurer à l’oreille du cœur : « M’aimes-tu ? »


Alors, le reconnaissant derrière le visage de celles et ceux dont nous partageons la route, nous pourrons, comme les disciples, crier joyeusement : « C’est le Seigneur » et nous jeter à l’eau pour le rejoindre !  Les rejoindre !