23.1.10

Méditation pour le dimanche 24 janvier 2010

3ème dimanche du temps ordinaire (année C)

J’ai d’abord pensé, Frères et Sœurs, vous dire ce matin quelques mots sur la première lecture extraite du livre de Néhémie :
c’est en effet un des grands textes de la Bible qui a notamment permis aux pères de l’Eglise d’Orient et d’Occident, et, à leur suite, à la plupart des moines, d’élaborer une méthode de lecture priante de la Bible. Cette fameuse « lectio divina » dont on reparle aujourd’hui et qui peut être une source abondante de prière pour chacune et chacun d’entre nous…

Et puis, je suis tombé, jeudi soir, à la télévision, sur une édition spéciale de l’émission « Envoyé spécial » en direct d’Haïti.
Images terribles des suites de cet effroyable tremblement de terre.
Hôpitaux dévastés, bondés, totalement désorganisés, sans médecins en nombre suffisant, sans salle d’opération, sans médicaments…
Images d’une ville entière jetée à la rue, dans un total dénuement.
Et puis, encore plus terrible peut-être, ces images d’orphelinats devenus pièges mortels pour de nombreux très jeunes enfants dont certains n’étaient plus qu’à quelques jours d’une adoption en France….

Alors, frères et sœurs, je me suis dit que ma petite présentation de la « lectio divina » pouvait attendre.
Je me suis dit que nous étions, vous et moi, requis par un autre « livre », celui de la vie et de la mort, celui de l’actualité la plus terrible.
Un « livre » qui, lui aussi, a besoin d’être traduit car son message nous semble parfois totalement incompréhensible.
Comment, face à tant de souffrance, ne pas nous reposer l’abyssale question que les hommes se posent depuis la nuit des temps :
« Si Dieu existe, pourquoi permet-il cela ? »
« Pourquoi donc ne fait-il rien ? »
« Pourquoi reste-t-il silencieux ? »…
Nous voici, une fois encore, confrontés à la question du mal. Un mal totalement aveugle, injuste, cruel…

Lorsqu’il s’agit de guerres, d’assassinats, de luttes fratricides, nous pouvons encore trouver un bout d’explication : c’est le cœur de l’homme qui est malade, rempli de haine.
Dieu n’est pour rien dans les guerres. C’est l’homme qui est fou !

Mais lorsqu’il s’agit d’un tremblement terre, d’un tsunami, d’une épidémie, d’une maladie pernicieuse… nous sommes désarmés, sans réponse et, comme Job, nous avons le réflexe bien compréhensible de crier vers le ciel :
« Mais que fais-tu donc toi, la-haut dans ton ciel, à nous laisser ainsi dans la souffrance et la mort ? »

Je ne prétends pas, Frères et Sœurs, répondre ce matin aux questions que nous pose le mystère du mal. Devant le mal, nous ne pouvons que balbutier.

Mais si nous ne pouvons pas répondre à ce grand mystère, nous pouvons au moins essayer d’écarter les fausses pistes, les fausses représentations qu’inévitablement nous nous forgeons…

Evoquons au moins ce matin l’un des points sur lequel nous butons le plus : l’image que nous avons de Dieu. Malgré nos efforts, et notre sincérité, cette image est, la plupart du temps, totalement déformée.
Nous projetons sur Dieu quantité d’obscures besoins, nous l’affublons d’oripeaux, nous le déguisons pour nous rassurer, nous le façonnons comme cela nous arrange !

Notre Dieu ressemble alors à une sorte de Jupiter, sorte de grand démiurge à la toute puissance absolue, sorte de potentat tirant, en coulisse, tel un marionnettiste, tous les fils de notre existence. Nous voudrions que Dieu ait créé un monde parfait, une humanité parfaite…
Nous sommes ainsi faits : en nous se trouve, depuis la nuit des temps, une image archaïque d’un Dieu à qui nous attribuons, comme dans les croyances les plus frustres et les plus ancestrales, la responsabilité de tout, du beau temps comme du mauvais temps, de la joie comme du malheur, un Dieu qui au travers des manifestations terrestres nous exprimerait sa satisfaction ou sa colère.
Une image archaïque qu’il nous faut sans cesse convertir.
Car, bien évidemment un Dieu qui pourrait empêcher que la terre tremble et qui ne le ferait pas serait un Dieu pervers, une épouvantable caricature de Dieu !
Un Dieu qu’il nous faudrait rejeter au plus vite !
Un Dieu qui ne pourrait nous conduire qu’à une forme saine et salutaire d’athéisme !

Non, Frères et Sœurs, le Dieu de Jésus-Christ n’est pas ce spectateur pervers qui, du haut du grand balcon du ciel, contemplerait nos souffrances sans lever le petit doigt ! Encore moins ce Dieu épouvantable qui nous enverrait la souffrance pour mieux nous éprouver !

Il nous faut – et c’est difficile ! – convertir l’idée même que nous nous faisons de sa « toute puissance ».

Le philosophe Gustave Thibon a cette formule forte :
« Il nous faut marcher vers Dieu, de ruine en ruine, à travers les éboulements successifs de l’image que nous nous faisons de Lui ».

Oui, Frères et Sœurs, il nous faut cesser de plaquer sur Dieu un modèle de toute puissance qui n’est qu’un modèle politique, celui du tyran qui peut tout ce qu’il veut.
Osons affronter ce grand mystère : « Dieu ne veut pas notre souffrance mais il n’a pas le pouvoir de l’empêcher. Le seul pouvoir de Dieu, c’est l’amour désarmé… » (Paul Ricoeur)

La seule toute puissance de Dieu, c’est la toute puissance de l’amour, dira le jésuite François Varillon. Dieu est tout puissant dans le sens où il est « tout aimant ».
Alors sa place n’est pas tant là-haut dans le ciel, à contempler nos malheurs, elle est, depuis que son fils est mort en croix, au cœur de la souffrance, au milieu des décombres de notre vie.
Un ami, aumônier d’hôpital, à qui on demandait un jour violemment : « Où donc est Dieu face à tant de souffrance », répondit : « Il est là, dans ce lit, dans ces draps trempés de sueur, au cœur même de la souffrance du malade… »

En cette semaine de prière pour l’unité des chrétiens, j’aimerais vous citer un grand philosophe protestant : « Dieu, dit Paul Ricoeur, n’a pas d’autre puissance que celle d’aimer et de nous adresser, lorsque nous sommes dans la souffrance, une parole de secours. Notre difficulté, c’est de pouvoir l’entendre ».

Il nous faut donc changer l’image que nous avons de Dieu, la laisser se modifier sans cesse par la contemplation du Christ, serviteur souffrant, à chaque instant à genoux devant l’homme…

Le pasteur Dietrich Bonhoeffer, exécuté par Hitler en 1945, nous a laissé ces lignes :
« Dieu se laisse déloger du monde et clouer sur la croix. Dieu est impuissant dans le monde, et ainsi seulement, il est avec nous et nous aide. »

Comprenne qui pourra !

Dans le reportage de France 2, il y avait un haïtien, installé avec sa femme et ses enfants sur le trottoir. Il avait tout perdu.
Le journaliste lui demandait s’il avait de la colère dans son cœur.
« De la colère ? Mais contre qui ? a-t-il répondu. Ni les hommes, ni Dieu ne sont responsables de notre malheur ! »
Infinie sagesse de cet homme simple qui, avec ses frères et sœurs d’infortune, sur ce trottoir dévasté de Port au Prince, s’est mis à chanter une prière à son Seigneur.

Face au malheur, face à l’infinie douleur du monde, nous sommes, Frères et Sœurs, tenté par la révolte et la colère.
La foi au Christ, serviteur souffrant, nous invite, comme Job, à transformer la mauvaise énergie de la colère en action, en geste d’amour, en agenouillement devant l’homme.
Osons, face aux drames qui nous laissent sans voix entendre l’appelle du Seigneur, tel que notre évangile de ce jour, nous le fait entendre :
« Il m’a envoyé porter la Bonne nouvelle aux pauvres… »

Et le Christ ajoute, dans la synagogue de Nazareth : « cette parole c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit ».

Oui, Frères et Sœurs, la Bonne Nouvelle, même au cœur des drames humains, n’est par renvoyer à demain, ou à après-demain. C’est aujourd’hui, au cœur de notre condition humaine blessée, qu’elle vient commencer à tisser le jour…

Dans son bidonville de la banlieue du Caire où elle avait été témoin de tant et tant de souffrance, Sœur Emmanuelle répétait inlassablement :

« Dieu n’a que nos mains pour transformer le monde et y habiter » !

Amen

18.1.10

Prier pour l'unité des chrétiens

« Les murs de la séparation ne montent pas jusqu’au ciel ! »

Au lendemain de la Révolution russe de 1917, un prêtre de Lyon, l’abbé Paul Couturier, rencontra des immigrés orthodoxes, et, convaincu de partager la même foi, il fut touché par le «scandale » de la division entre les confessions chrétiennes. Il méditait en son cœur la prière du Christ pour l’unité de ses disciples : « Père, que tous soient un, comme nous sommes un, afin que le monde croie. » (Evangile de Jean, 17, 21). Ce prêtre eut alors l’idée de promouvoir, à partir de 1933, une « Semaine de prière universelle pour l’unité chrétienne ». Cette initiative se poursuit encore aujourd’hui : du 18 au 25 janvier, les croyants de toutes les Eglises chrétiennes sont invités à prier pour l’unité.
Un événement qui risque fort cependant de passer inaperçu dans nombre de communautés. En ces temps de replis communautaristes et de réaffirmations parfois musclées de la doctrine, il est vrai que la belle aventure œcuménique perd un peu de son souffle. Localement, ici ou là, des « centre œcuméniques » nés des grandes espérances des années 70, se voient discrètement rogner les ailes ; le souhait incontestable du Pape de marcher vers l’unité se trouve parfois encore mis à mal par ceux qui continuent d’affirmer, sans sourciller, qu’on peut discuter de tout avec nos frères orthodoxes ou protestants, sauf de la primauté pontificale !
Un recul qui, à des degrés divers, se constate également dans les autres Eglises chrétiennes.
« Vouloir l’œcuménisme, c’est en prendre les moyens, affirmait le Père Bruno Chenu, théologien, membre du groupe œcuménique des Dombes fondé par l’abbé Couturier. Pas simplement battre la coulpe de l’autre, mais passer au peigne fin sa propre attitude ! »
Il est grand temps de réamorcer la source du dialogue œcuménique : les jeunes générations chrétiennes, celles de Taizé et d’ailleurs, qui expérimentent une fraternité internationale avec des jeunes orthodoxes et protestants, ne comprendraient pas que la marche vers l’unité continue de marquer le pas. C’est le Christ lui-même qui demande cette unité à ses disciples. L’œcuménisme n’est donc pas matière à option. L’oublier serait faire le jeu du « Diviseur », (le « diabolos » en grec…)
Nous ne devons avoir de cesse de pouvoir –enfin !–boire ensemble à cette coupe et partager ensemble le pain de l’unité. Unité des Eglises, unité des cœurs également. Car l’œcuménisme n’est pas qu’une question réservée aux théologiens, c’est d’abord une voie spirituelle.
« Chacun doit apprendre la part de vérité dont témoigne son frère chrétien et qui manque à la plénitude de sa propre confession de foi », disait encore Bruno Chenu.
Enzo Bianchi, fondateur du monastère de Bose, en Italie, communauté prophétique qui rassemble des catholiques, des protestants et des orthodoxes, l’affirme : « Le chemin de l’œcuménisme sera long et difficile, mais je crois qu’il est possible, à condition que les Eglises se soumettent les unes aux autres comme le font des frères et des sœurs dans une famille. »
Alors, n’attendons pas que l’unité se fasse « par le haut ». Vivons-là, sans peur ni replis, dans la fraternité de nos rencontres, à l’écoute du trésor de l’autre…
« Afin que le monde croie… »