27.11.20

UN CHRIST A MAINS NUES

 Méditations pour le dimanche du Christ Roi - 22 novembre 2020



Nous fêtons ce dimanche, pour clore l’année liturgique, la fête du « Christ Roi de l’univers ». Une solennité relativement récente que nous devons à un pape, Pie XI, qui l’instaura en 1925. Elle fut d’abord célébrée avant la Toussaint et, depuis la Réforme liturgique de 1969, se trouve désormais placée juste avant le 1er dimanche de l’Avent.

Mais qui est-il ce « Roi » qu’on nous invite à célébrer ?
Curieuse description, en effet, qui nous est faite de cet étrange monarque sans domicile fixe, qui crève de faim, de soif, de maladie et de froid au coin de la rue de notre propre existence…
Tout se passe comme si, une fois encore, l’Évangile cherchait à nous éviter de sombrer dans le malentendu.
Un malentendu qui dura pendant toute la vie publique de Jésus.
Opprimé, soumis au joug de l’occupant romain et à la fourberie servile des « collabos » issus de ses propres rangs, une bonne part du peuple juif attendait un libérateur, un chef de la résistance, un monarque puissant enfin capable de le débarrasser manu militari de l’envahisseur.
Et voici que le Dieu des armées apparaît… désarmé !
Voici que ce Jésus, dont on murmure qu’il est le Messie, s’avance dans la foule sans munition, ni légion, sans autre pouvoir que l’extrême douceur de son regard.
Un Christ à mains nues ; des mains au beau milieu desquelles se dessine déjà l’ombre sanglante des clous !
Scandale absolu d’un Messie sans pouvoir temporel, d’un Fils de Dieu bientôt pendu nu au gibet de la croix comme un simple malfrat.
Scandale dont nous ferons bientôt mémoire à Noël où Dieu naît sur la paille, pauvre rejeton improbable de l’illustre lignée royale de David.
Oui, Frères et Sœurs, juste avant de nous ouvrir les portes de l’Avent, l’Écriture vient sans trop de ménagement nous remettre les idées en place…
Le Christ qui va venir n’est pas celui que, bien souvent, nous attendons !
Où, plus exactement, il ne va pas venir « comme » nous l’attendons.
Il ne va pas être conforme aux idées que nous nous faisons de lui !
Il ne va pas ressembler à toutes les projections psychologiques, sociales, religieuses, politiques dont nous le fardons si souvent.
Le « roi » qui va naître, va, dès les premières secondes de sa naissance, nous échapper ; échapper à toutes nos tentatives visant à l’assigner à résidence dans l’étroite conception que nous nous faisons de lui.
Notre « roi » va commencer, en naissant dans une étable, par briser l’idée que nous nous faisons de son « Royaume ».
Le « Très haut » va naître au plus bas, à ras de terre, à même le sol terreux de notre condition humaine.
La seule manière que notre « Roi de l’univers » va trouver pour prendre de la hauteur, c’est de s’enfouir, nouveau né fragile et nu, dans la glaise râpeuse de notre humanité.
Sa seule démonstration de force va consister à mettre genou à terre devant l’homme pour, comme un esclave, lui laver les pieds !
Et les premiers témoins de son avènement et de son « couronnement » qui feront révérence devant lui seront ces mystérieux mages et leur bien symboliques cadeaux, parmi lesquels la Myrrhe qui servait à embaumer les morts !
Comme si, dès sa naissance, il fallait déjà annoncer que ce roi-là n’aurait pour trône final que la croix du supplice.
Ah, le voici notre « grand Roi » qui vient briser, comme des idoles d’argile, toutes les fausses images que nous avons de lui.
« Il faut, disait le philosophe Gustave Thibon, marcher vers Dieu, de ruine en ruine, à travers les éboulements successifs des images que nous nous faisons de Lui. »
Alors, vivons cette fête du Christ roi comme un appel à purifier, élaguer, convertir notre regard sur le Christ qui va venir.
Cessons de faire semblant d’avoir des certitudes sur Dieu !
Dieu va venir en nous si nous le laissons naître en nous, comme bon lui semble, et pas comme nous en forgeons le projet.
Dieu va venir en nous si nous le laissons nous surprendre, utiliser des chemins de traverse qui n’étaient pas a priori dans nos plans.
Dieu va exaucer nos prières, mais sans doute pas comme nous attendons qu’il le fasse…
Dieu est toujours autre que ce que nous voudrions qu’il soit pour nous.
A la table d’ Emmaüs, dès que les deux disciples le reconnaissent, il disparaît à leur regard : on ne met pas la main sur l’Éternel !
Pilate lui-même n’y comprendra rien : lorsqu’il demande à Jésus : « Es-tu le Roi des juifs ? », sa question est avant tout politique. Il craint un séditieux, un chef de clan, un agitateur, un zélote qui fomente un soulèvement, une guerre ou une révolte.
Et le Christ lui renvoie une question essentielle, majeure qu’il nous faut à notre tour entendre : « Dis-tu cela de toi-même, ou bien parce que d’autres te l’on dit ? »
Voilà la bonne question !
Que disons-nous de nous-même, par nous-même du Christ ?
Comment passons-nous de ce que d’autres nous en ont dit, transmis, enseigné, à ce que nous en disons nous-même ?
Être disciple, ce n’est pas uniquement adhérer à des dogmes et réciter des articles de catéchisme. C’est oser une parole personnelle, intime sur Jésus. Oser se risquer à répondre par soi-même à la question du Christ : « Et toi, qui dis-tu que je suis ? »
Voyez-vous, Frères et Sœurs, je crois que c’est ce à quoi nous appelle notre baptême : vivre jour après jour avec cette question : « Qui est Jésus ? »
Être baptisé, c’est être plongé dans cette question : « Pour toi, qui est le Christ » ?
Comment s’incarne dans ta vie familiale, conjugale, amicale, professionnelle, ecclésiale, sociale la « royauté » du Christ ?
Comment le laisse-tu faire de ton existence son propre « royaume » ?
Comment le laisses-tu naître dans l’étable encombrée et poussiéreuse de ton propre cœur ?
Comment laisses-tu sa Parole venir briser le malentendu qui si souvent t’empêche de l’écouter vraiment ?
L’Avent qui s’annonce est cette marche qui nous est justement offerte pour sortir du « mal entendu » et de notre surdité spirituelle.
Je songe en évoquant cette fête du Christ Roi, à un grand roi de la Bible : Salomon.
Alors qu’il est encore un tout jeune homme et qu’il va être intronisé roi, Dieu lui dit en substance : « Demande-moi ce que tu veux et je te le donnerai ».
Salomon réfléchit. Il ne réclame pas le pouvoir, la puissance militaire, la gloire, la fortune… Il fait à son Dieu cette demande surprenante :
« Donne-moi un cœur qui écoute ! »
Eh bien Frères et Sœurs, voici un joli programme pour laisser advenir en nous le Royaume du Christ à mains nues !
Oui, demandons au Seigneur de nous donner un cœur qui écoute, qui se laisse surprendre, déplacer, émouvoir, convertir.
Un cœur ouvert aux autres, à commencer par ces affamés, ces assoiffés, ces malades, ces prisonniers, ces étrangers en qui le Christ nous attend et nous espère…
« Alors le roi leur répondra. Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. »
© Bertrand Révillion