3.5.09

Méditation pour le 4ème Dimanche de Pâques

A l'occasion du Dimanche de prière
pour les vocations...

C’est aujourd’hui la Journée mondiale de prière pour les vocations.
Il s’agit, Frères et Sœurs, de prier afin que le Seigneur envoie des ouvrier pour la moisson, et de « bons pasteurs » pour son peuple. Des prêtres, bien sûr, moins nombreux sur notre vieux continent. Mais – le mot vocation étant mis au pluriel – il s’agit aussi de soutenir les autres vocations : religieuses, monastiques, sans oublier que le mariage est lui aussi une vocation chrétienne !
Aujourd’hui, on m’a demandé de vous parler du diaconat permanent.

- Ministère qui a existé dans les tous premiers temps de l’Eglise… Les Actes des Apôtres évoquent l’imposition des mains à des hommes pour le service des tables et l’aide aux veuves… Et le premier martyre de l’Eglise, Etienne, qui fut lapidé parce qu’il prêchait et annonçait la Bonne nouvelle, était un diacre.

- Après avoir disparu pendant plusieurs siècles, ce ministère a été « restauré » par le Concile de Vatican II.

Je vais donc évoquer ce ministère pour lequel j’ai été ordonné il y aura tout juste 10 ans, en septembre prochain.

Je ne le fais pas sans une certaine réticence et même une certaine pudeur. Car d’autres pourraient être aujourd’hui à ce micro. Je pense à tant de belles figures du diaconat en France, à ces frères diacres qui osent, dans les banlieues de notre libéralisme échevelé, tendre la main aux laissés-pour-compte de notre société, je pense à ces frères diacres qui, dans les prisons, les hôpitaux, dans les centres de soins palliatifs, offrent un visage de compassion, je pense à ceux qui se battent, dans les entreprises, les syndicats pour que, dans la course au profit, l’homme, le salarié reste un homme debout…

Au travers de mon itinéraire personnel, je voudrais. vous dire, ce qu’est, à mes yeux, le diaconat, et en quoi sa restauration est prophétique !

La question du diaconat m’est « tombé dessus », il y a maintenant près de quinze ans. Je ne m’y attendais pas.

Et pour être tout à fait franc, je n’avais pas – à quelques rares exceptions près – une très bonne image des diacres. Mon métier de journaliste m’avait amené à côtoyer certains diacres chez qui je percevais une sorte de « retour de flamme », certes respectable, mais un peu ambigu.

A 20 ans, ils avaient songé devenir prêtres et, contraints par la loi du célibat, ils y avaient finalement renoncé pour se marier. Trente ou quarante ans plus tard, certains se mettaient à rêver de pouvoir enfin jouer les « vicaires ». Leur impatience à enfiler une aube et leur colère dans les coulisses de la sacristie lorsque le pauvre célébrant avait oublié de leur laisser dire « Allez dans la paix du Christ » me faisait tristement sourire !

En clair, je percevais, chez certains diacres, une dérive « cléricale » et un risque de confusion . Comme disait mon ami le théologien Bruno Chenu :
« Si le diaconat permanent a été restauré, ce n’est pas pour lancer un test
grandeur nature en vue de l’ordination presbytérale d’homme mariés ».

J’avais appris de mes aumôniers de lycée et des textes du Concile que le rôle des laïcs est de rester des laïcs, bien plantés en pleine pâte humaine…

Lorsqu’un ami, alors porte-parole de l’épiscopat français, m’a un soir demandé si, un jour, j’avais songé à la possibilité de devenir diacre, je me suis dit que l’adage avait du vrai : il faut toujours se méfier de ses amis !

Je partageais à l’époque mon temps professionnel entre le journal « La Croix » et « France 2 » où je travaillais notamment pour le « Jour du Seigneur » mais aussi pour le « Téléthon ». Mon métier m’amenait donc à rencontrer autant les croyants que les « non croyants ».

La question de mon ami est sans doute venue d’un mouvement d’humeur de ma part : je ne sais plus quel « très saint texte » ou « petite phrase » en provenance de Rome avait, une fois encore, suscité l’ironie grinçante des grands médias, mais j’étais, ce soir-là, doublement furieux : furieux que l’Eglise s’y prenne décidément si mal pour communiquer ; furieux que les médias déforment à ce point le message de l’Eglise.

Je n’ai pas volé la question de mon ami qui, en substance, m’a dit : « au lieu de râler, tu ne pourrais pas t’y coller un peu ? ».

J’étais abasourdi : le père de famille et le journaliste que j’étais ne s’imaginait pas une seconde dans la peau d’un futur diacre. Je n’avais jamais été enfant de chœur et je ne voyais aucune raison de le devenir à bientôt 40 ans !

Et puis je me suis dit que je ne pouvais pas rester sur mon « quant-à-soi journalistique », refuser de plonger dans la mêlée.
Depuis quinze ans, j’étais un observateur professionnel de l’Eglise, je ne pouvais pas ne pas accepter d’au moins réfléchir à la question qu’elle me posait.

Et je voudrais, de manière plus générale, dire combien, dans l’expérience française du diaconat, cette manière d’interpeller les gens est féconde. C’est une tout autre manière d’envisager la « vocation », qui me semble prometteuse : ne pas nécessairement attendre que Dieu passe son « coup de téléphone » ou envoie son « SMS » dans le secret d’un cœur, mais, au nom des besoins de la mission, oser interpeller, oser dire à quelqu’un : « tu es engagé dans un milieu professionnel, un environnement spécifique (quartier, associations…), tu as certaines compétences, accepterais-tu que l’Eglise t’envoie là où tu portes déjà une certaine fécondité, là où, par ton expérience, tu pourrais être témoin du Christ ? »

Je crois qu’il faut oser cette interpellation, et même l’intensifier. Et bien souvent, ceux qui interpellent constateront, après coup, qu’ils n’ont été que de modestes instruments dans les mains de Dieu qui, déjà, secrètement, préparait un cœur, à entendre cette question…


En ce qui me concerne, bien vite, dès les premières réunions de discernement auxquelles j’avais accepté de participer après avoir rencontré le responsable diocésain du diaconat ainsi que mon évêque (Jean-Charles Thomas, à l’époque), j’ai pu constater que je n’étais pas en train de rejoindre le club de « bedeaux en chef » !

Tous les hommes (mariés) qui étaient rassemblés au sein de ce petit groupe étaient vraiment engagés dans la « vraie vie », dans le monde médical, celui de l’entreprise, celui des combats sociaux. Bien vite, il m’a fallu reconnaître que l’image que j’avais des diacres était fausse.

J’ajoute – c’est un point important – que mon cheminement vers le diaconat s’est fait avec ma femme qui n’a pas manqué une réunion ! Beaucoup de diacres pourraient vous confirmer combien cette marche vers l’ordination et ce ministère peut être une grâce pour un couple, combien les deux sacrements se fécondent mutuellement (sans cependant se confondre car, bien entendu, ce n’est pas le couple qui est ordonné !).

Je voudrais aussi dire qu’on ne mesure peut-être pas encore la formidable nouveauté que constitue l’ouverture d’un ministère ordonné à des hommes mariés.


Voici qu’une mauvaise conception du « sacré » qui consiste à associer de manière exclusive ministère ordonné et célibat est heureusement battue en brèche, voici que l’homme des sacrements n’est pas moins « pur » parce qu’il est marié, voici qu’un membre à part entière du « clergé » ramène dans le sanctuaire, près de l’autel, les préoccupations, les joies, les blessures d’un mari, d’un père de famille, d’un travailleur…

Voici l’heureuse nouveauté d’un ministère complémentaire qui ne vient pas disqualifier le célibat, bien au contraire, mais qui vient dire, au cœur même de l’Eglise, que les expériences humaines sont multiples. En ouvrant le diaconat à des hommes mariés, l’Eglise a fait un pas anthropologique important, une grande ouverture symbolique.

En attendant l’étape suivante que je me risque à espérer devant vous : l’ordination de diaconesses dont on trouve trace dans la Bible et dont l’hypothèse n’a, à ma connaissance, pas été fermée par Rome. A mes yeux, rien ne s’y oppose doctrinalement et ce serait, pastoralement, une vraie chance pour l’Eglise.



Imaginez un instant que ce soit, non pas un homme, mais une femme qui vous parle aujourd’hui, qui vous partage sa manière de femme d’entendre la Parole de Dieu , sa manière de femme de s’approcher du Seigneur ! Quelle richesse ce serait !

Revenons à mon propre parcours. En réfléchissant avec d’autres, en marchant pas à pas vers ma propre ordination, j’ai compris que, en recréant le diaconat et en l’ouvrant à des hommes mariés, l’Eglise a ouvert une nouvelle porte sur le monde.

J’insiste sur ce point car pour moi il est essentiel : le diaconat est « pour l’Eglise » dans la mesure, et dans la mesure où, essentiellement, il est « pour le monde ».

La mission principale du diacre est, en effet, à mes yeux de rappeler qu’une Eglise « entre soi » n’est pas l’Eglise du Christ. Rappeler que construire l’Eglise, c’est d’abord et avant tout aider l’homme, quel qu’il soit, à se construire. Qu’il n’y a pas d’Eucharistie possible sans lavement des pieds, pas d’agenouillement devant l’autel sans agenouillement devant le frère.

Les diacres ne sont donc pas d’abord là pour suppléer la pénurie de prêtres, même si, bien sûr, ils peuvent et ils doivent apporter leur aide concrète à des pasteurs de plus en plus débordés.

Leur mission n’est pas d’abord d’être dans le « sanctuaire » mais sur le « seuil ». Car, comme le dit si bien Mgr Albert Rouet :

« La question urgente n’est pas tant de savoir où va l’Eglise, ou bien qui vient
encore dans nos Eglise, mais VERS QUI va l’Eglise » ?

Le Concile l’a d’ailleurs fort bien précisé : les diacres sont ordonnés « non en vue du sacerdoce, mais en vue du service ».

Ce n’est qu’après cet engagement au plus près du cri des hommes que le diacre pourra alors s’approcher de l’autel pour y faire retentir, dans une prière sur le monde, les appels des hommes et des femmes de ce temps, alors seulement qu’il pourra élever la coupe pour porter toutes les blessures de ce monde, pour laisser le Christ les endosser sur son épaule…

Je vais vous faire un aveu : souvent, je fais l’expérience que mon diaconat est mieux compris à l’extérieur qu’à l’intérieur de l’Eglise, que mon ministère est davantage perçu par celles et ceux qui sont loin de l’Eglise que par certains catholiques pratiquants qui ont parfois du mal à me ranger dans une case et à me coller une étiquette : « super-laïc ? sous-prêtre ? ».


Et ce constat, ne m’attriste pas, bien au contraire il me réjouit : le soir de mon ordination, un ami journaliste de la télévision qui avait tenu à être présent, m’a fait cette confidence : « je ne suis pas certain de croire en Dieu mais je suis heureux que l’Eglise te délègue auprès de nous. »

Depuis, par mon métier de journaliste, rédacteur en chef d’un mensuel chrétien, par la grâce de ma mission diaconale dans le monde des médias et les milieux artistiques, j’ai rencontré bon nombre d’hommes et de femmes qui, comme lui, se posent des questions souvent essentielles. Leur vies personnelles, affectives, familiales leur font parfois penser qu’ils n’ont peut-être pas le droit de franchir la porte des églises car ils ont le sentiment de ne pas être dans la norme et dans la bonne morale.

Collègues de la presse écrite avec qui une conversation intime s’engage à la suite d’un deuil…
Comédien célèbre touché par un méchant cancer qui m’interroge sur le Christ…
Présentatrice d’une émission phare de la télévision qui m’avoue son désir de lire la Bible…
Chanteur qui me demande des conseils pour entreprendre, incognito, le chemin de Compostelle…
Michel Serrault qui, à la fin d’un déjeuner chez lui, évoque avec émotion son désir de contemplation, de silence, ses haltes régulières dans un monastère…

Tant et tant d’anonymes aussi, qu’on dit parfois un peu vite « loin de l’Eglise », avec leur poids de vie et leur question si souvent spirituelles…

Depuis 10 ans les rencontres imprévues n’ont pas manquées !

Eh bien, Frères et Sœurs, le diaconat se joue justement là : l’Eglise n’attend pas que ces hommes et ces femmes viennent frapper à la porte de nos paroisses. Elle leur envoie, elle leur délègue des croyants qui ne sont en rien des « super-chrétiens » mais à qui elle impose les mains et leur donne la force de l’Esprit.

Etre diacre, voyez-vous, je crois que c’est être « bilingue », c’est accepter de parler la langue de la culture contemporaine et la langue de l’Eglise, c’est assumer l’inévitable risque qu’il y a à être un « passeur » entre des « planètes » qui ne se parlent pas beaucoup et qui, parfois même, se suspectent. L’actualité récente nous le confirme…

Le diacre doit vivre « aux frontières », compagnon de « ceux qui croient au ciel et de ceux qui n’y croient pas » !

Oui, le diacre est un « passeur » :

- au monde, il essaie de dire l’Eglise ;
- à l’Eglise, il tente de dire le monde.

Je vous laisse le soin de deviner laquelle de ces deux missions est la plus délicate !

Amen !