17.6.18

Il suffit d'aimer !

Homélie 17 juin 2018 - 11ème TO B

Une fois encore, Frères et Sœurs, Jésus tente d’expliquer à la foule, ce qu’est ce mystérieux « Royaume de Dieu » qu’il annonce.
Et une fois encore, face à un auditoire majoritairement inséré dans une société rurale, il va, avec pédagogie, puiser ses images dans la nature et le monde agricole.

Avec la graine de moutarde, il trouve une métaphore qui frappe son auditoire.
Tout le monde sait, à l’époque, qu’il s’agit d’une minuscule graine, tellement petite qu’elle vous file entre les doigts.
Une semence étonnante qui une fois germée donne vie à l’une des plus grandes plantes du potager.
Genre « baobab » au rayon légumes !

Voilà une image qui parle immédiatement à la foule, quitte à heurter une part de l’assistance. Car, avec cette parabole, le Christ va à contre courant de la mentalité ambiante.

Quelle est la situation ?

Le peuple juif vit depuis des années sous occupation romaine.
Il est humilié et attend un libérateur, une sorte de chef de la résistance qui va enfin écraser l’ennemi et bouter l’envahisseur hors des frontières.
Ce Messie tant espéré doit selon eux enfiler le costume d’un chef de guerre.
Et voilà que ce Jésus de Nazareth surgit à pieds avec son minuscule bataillon de disciples non violents et prêche l’amour et le pardon des ennemis !
Voici qu’il évoque un combat plus spirituel que militaire et qu’il refuse de prendre la tête de la sédition contre Rome.

Le Dieu des armées s’avère n’être qu’un Dieu désarmé !
Un Dieu à mains nues…
Un Dieu non pas tout puissant mais apparemment fragile comme cette fameuse graine de moutarde.
Un « sauveur » qui – scandale absolu – finira par mourir comme un malfrat cloué au gibet de la croix.

Voilà qui choque une partie de l’assistance.

Ce n’est pas la première fois qu’existe ce quiproquo entre Dieu et le peuple.
Vous vous souvenez de l’épisode d’Elie sur la montagne de l’Horeb.
L’idée que ce grand prophète se fait alors de son Dieu, lui fait penser qu’il va se révéler à lui de manière éclatante.
La Bible nous raconte qu’Elie pense que Dieu se manifeste d’abord par un vent violent mais, nous dit le texte, « le Seigneur n’était pas dans le vent ».
Puis Elie croit saisir la présence de Dieu dans un tremblement de terre ; mais, nous dit encore le texte, « le Seigneur n’était pas dans le tremblement de terre ».
Puis surgit le feu où Dieu n’est pas non plus.

Alors le prophète Elie opère une conversion du regard et du cœur. Il modifie sa conception même de Dieu. La Bible précise que surgit alors « le souffle d’une brise légère » et immédiatement Elie comprend que cette fois, il se trouve en présence de son Seigneur.

Oui, l’image qu’il se fait de Dieu est soudain modifiée, convertie. Non plus un Dieu tonitruant, écrasant et vengeur, mais un Dieu discret, doux qui se manifeste dans « une voix de fin silence ».

Avec sa parabole de la graine de moutarde Jésus amène la foule à opérer la même conversion.
Et il nous invite, nous aussi aujourd’hui, à purifier l’image que nous nous faisons de Dieu.

Nous aimerions tant croire en un Dieu « magicien » qui nous dispenserait d’avoir à traverser les douloureuses blessures de l’existence, un Dieu « jupitérien » qui s’imposerait une bonne fois pour toutes et nous dispenserait des détours sinueux du doute, un Dieu fort dont l’existence s’imposerait à tous comme une évidence quasi scientifique, un Dieu en tête de manif écrasant les scores de l’audimat !

Mais Dieu ne s’impose pas.
Voici que le « Très Haut » se fait « Très Bas ».
Un Dieu qui se révèle dans la faiblesse.
Un Dieu qui choisit Moïse, un homme bègue, comme porte-parole ! Un Dieu qui choisit un couple stérile, Abraham et Sara, pour porter l’espoir d’une descendance nombreuse.
Un Dieu qui fait naître son propre Fils dans l’obscurité d’une étable…

Un Dieu qui décidément ne correspond pas à l’idée qu’on se fait de lui !

Oui, Frères et Sœurs, nous sommes sans cesse invités à convertir notre image de Dieu.
Un Dieu qui se révèle à nous lentement, avec patience, dans l’humilité et la discrétion.
Comme cette graine de moutarde qui, secrètement, se prépare à faire germer l’arbre du Royaume en notre cœur.
La foi consiste à croire  que Jésus est à la fois le semeur et la graine et que sa Parole va lentement germer en nous.
La foi consiste à ne pas faire obstacle à cette lente germination spirituelle commencée en nous le jour de notre baptême.

Cette graine de moutarde m’a fait penser à la belle aventure menée par sœur Emmanuelle dont nous ferons mémoire du 10ème anniversaire de la mort le 20 octobre prochain.

A l’heure où d’autres prennent le chemin de la retraite, cette religieuse de caractère a entendu, un peu comme le prophète Elie, Dieu l’appeler discrètement à s’engager dans un pari fou :
aller vivre en plein cœur d’un bidonville au Caire, aux côtés des chiffonniers.
Renonçant au confort de son couvent où elle avait enseigné aux jeunes filles de la bourgeoisie pendant des années, elle s’est installée, à 60 ans, dans une minuscule cabane sans eau ni électricité.  
Comme une graine fragile, elle a accepté de s’enfouir dans le terreau de la misère. Elle n’est pas arrivée avec un projet, des plans, une solution occidentale toute prête : elle s’est mise à vivre simplement, fraternellement aux côtés des chiffonniers.
Et cet enfouissement à germé et donné du fruit au delà de toute espérance.

J’ai eu la grâce de bien connaître sœur Emmanuelle. Je crois que nous étions amis. Quelques temps avant sa mort, j’ai été la voir dans sa maison de retraite à Calian, dans le sud de la France. Elle était dans l’extrême fatigue du grand âge mais gardait intacte sa formidable joie. Elle me raconta à nouveau combien c’est au cœur de ce bidonville qu’elle avait été la plus heureuse découvrant au cœur de la pauvreté une immense fraternité.

Elle me confia que la vie spirituelle ressemble à une échelle et m’avoua qu’elle avait longtemps cru que cette échelle, il fallait la gravir, degrés après degrés. Comme on passerait des diplômes pour devenir un bon chrétien.  « Et puis un jour j’ai compris que j’avais tout faux ! Cette échelle, il faut, non pas la monter, mais la descendre pour s’enfoncer un peu plus chaque jour dans l’humilité, se rendre enfin docile à l’action de l’Esprit en nous, laisser la grâce de notre baptême agir ».

Juste avant de repartir, je lui ai demandé le secret de sa joie.
Elle m’a pris les mains, m’a fait un large sourire et m’a dit : « C’est tout simple, Bertrand. Il suffit d’aimer ! »


Yallha !

(c) Bertrand Révillion

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