10.4.16

Laissons-nous restaurer par le Christ

Méditation  pour le 3ème dimanche de Pâques C

Il y a des questions qui écrasent et d’autres qui libèrent.

Des questions qui font plier le genou et courber l’échine et d’autres qui, comme des braises dans la nuit, viennent soudain nous réchauffer le cœur et nous remettre debout.

Le Christ ressuscité qui, au petit matin, apparaît à ses disciples sur les rives du lac de Tibériade est porteur d’une de ces interrogations redoutables, une de ces questions de feu :

« Simon, Fils de Jean, m’aimes-tu ? »

Cette question, Simon Pierre commence par la recevoir comme une gigantesque gifle, un grand coup de point dans l’estomac.

Lui, le proche parmi les proches, l’ami des premières heures, sait bien qu’il est devenu en quelques minutes de faiblesse, un renégat, un infidèle, un lâche littéralement bouffé par la trouille…

Trois fois ! Trois fois, il a laissé tomber son Maître ; trois fois, en ce vendredi funeste, il s’est défilé, débiné, carapaté, affirmant qu’il ne connaissait pas cet homme ; trois fois, il a piteusement menti pour sauver sa peau, sa pauvre peau de pécheur, cette vie qui, aujourd’hui, ressemble à ce filet de pêche désespérément vide !

Après avoir, tant de fois, prêché brillamment l’amour, le don de soi, la conversion, il est, au moment décisif, lui aussi retombé dans le bourbier d’une humanité trop humaine, trop étriquée, trop peureuse…

Et Jésus, par trois fois, insiste et repose la même lancinante question : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? »

Interrogation assassine ?
Verdict sans appel ?
Condamnation sans retour ? 
Manière de bien lui maintenir la tête sous l’eau de la culpabilité ou, au contraire, main tendue à un homme qui se noie ?
Lueur de l’aube sur la barque d’une vie qui tangue dangereusement dans la nuit ?

Peu à peu, alors que le jour se lève sur les rives du lac, Pierre comprend que la triple question de Jésus, bien loin de le condamner, vient au contraire laver et pardonner son triple reniement. Briser le venin  de la culpabilité.

En mangeant le pain et les poissons préparés par Jésus, Pierre se restaure, dans tous les sens du terme : il se nourrit et se remet debout.

Voici, donné en quelques gestes, le sens de toute eucharistie, restauration pleine et entière du corps et du cœur.

Et soudain, le reniement de Pierre, sa trahison, deviennent pour les disciples, pour tous les croyants, pour nous toutes et nous tous aujourd’hui, paradoxalement comme une porte qui s’entrebâille, une pierre qu’on roule pour ouvrir un tombeau…

Car, comme Pierre, nous sommes, nous aussi,  si souvent des renégats !

La vérité, la terrible vérité, c’est, en effet, que la plupart du temps, à la question de Jésus, nous répondons, par nos silences, notre mutisme, nos aveuglements, notre narcissisme : « Non, Seigneur, je ne t’aime pas ! » 

Nous avons tellement d’autres choses à faire, tellement d’autres préoccupations, d’autres priorités, d’autres urgences.
Dieu, à la table de notre cœur est, si souvent, le dernier servi !

Avec un peu de lucidité, nous savons bien que nous ne sommes la plupart du temps que des intermittents de la foi, des croyants mal croyant, des mécréants !

La trahison de Pierre, notre trahison sans cesse réitérée, est comme une vive blessure inscrite au plus profond de notre humanité.

Nous voudrions aimer, mais nous refusons si souvent d’en payer le prix !

Nous voudrions donner et nous donner, et nous nous protégeons, nous nous gardons bien à l’abri !

Nous voudrions croire en ce Dieu dont nous avons joyeusement fêté, il y a deux semaines, la Résurrection, mais nous restons si souvent enfermés dans cet entre-deux qui sépare le Vendredi saint et le matin de Pâques, un pied dans le tombeau et l’autre mollement tendu vers les rives de la Vie.

Nous sommes peut-être des pratiquants, nous avons sans doute, comme on dit, un peu de pieuse « religion », mais sommes-nous vraiment ces « aimants » que le Christ nous invite à être ?

Sa question : « m’aimes-tu ? » nous l’entendons en fait toute la journée !

C’est l’enfant, l’adolescent qui la pose à sa mère et à son père.
Ce sont les parents qui la posent à leurs enfants.
C’est l’amoureuse qui la pose à son amoureux, et réciproquement.
C’est ce SDF qui vient me tendre la main, et qui, dans le métro, me dérange.
C’est ce réfugié anonyme dont je regarde la détresse sur mon écran de télévision.
C’est ce collègue de travail dont je sens qu’il aurait peut-être besoin d’aide et d’écoute.
C’est ce couple d’amis dont je perçois que le mariage est en train de tanguer.
C’est ce vieux voisin qui, à deux pas de moi,  crève de solitude.

Oui, à chaque coin de rue de notre journée, le Christ est là qui nous regarde et nous interroge : « m’aimes-tu ? »
« Vas-tu enfin te décentrer pour écouter l’autre, l’entendre vraiment, le rejoindre vraiment, prendre vraiment du temps pour lui, te donner à lui, à elle, sans compter, avec douceur, tendresse et patience ?»

Oui, il faut nous interroger : sommes-nous réellement capables de répondre à Jésus, les yeux dans les yeux, sans ciller : « Oui, Seigneur, je t’aime et tu le sais ! »

Pierre nous ouvre une porte car il nous fait découvrir que, pour oser prononcer cette phrase « Oui, Seigneur, je t’aime ! », il nous faut d’abord passer par l’aveu de notre faiblesse : « Non, Seigneur, je ne t’aime pas assez et c’est en osant te l’avouer que je te donne la possibilité de m’ouvrir  les bras et de me restaurer ».

Oui, il nous faut, à tous les sens du terme, nous laisser « restaurer » par le Christ.  Le laisser venir, au travers des interrogations, des attentes de celles et ceux dont nous partageons l’existence, nous murmurer à l’oreille du cœur : « M’aimes-tu ? »


Alors, le reconnaissant derrière le visage de celles et ceux dont nous partageons la route, nous pourrons, comme les disciples, crier joyeusement : « C’est le Seigneur » et nous jeter à l’eau pour le rejoindre !  Les rejoindre !

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