Le chanteur populaire vient de mourir. Nous nous étions longuement rencontrés, il y a 2 ans, pour parler essentiellement de Dieu. Pincement au coeur en relisant ses réponses pleines de ferveur à mes questions. Une belle rencontre, de coeur à coeur...
Michel Delpech
« Prier, c’est aider le ciel
à nous aider ! »
Ses
chansons, on les fredonne immédiatement dès qu’on en lit le titre : Pour un flirt, Chez Laurette, Quand j’étais
chanteur… Dans « J’ai osé Dieu » (Presses de la Renaissance), il
livre le témoignage de sa foi au Christ, raconte sa conversion et son
itinéraire spirituel. Une parole pleine d’espérance portée par un artiste
sincère qui a récemment affronté la maladie…
Portrait
Une rencontre avec Michel Delpech n’a rien à
voir avec l’interview d’une « célébrité ». Dans la conversation, la
seule « vedette », c’est le Christ, son compagnon de route rencontré
un jour de voyage en Terre Sainte. L’ex star des années « yé-yé » qui
fête ses 68 ans ce 26 janvier, a poursuivi une belle carrière. L’interprète de
tant de succès populaire – Le Loir-et-Cher,
Wight is Wight… – qui effectua un retour réussi en 2007 avec son album Deplech &… avait déjà évoqué dans « La
jeunesse passe trop lentement » (Plon) sa foi en Dieu. Dans un nouvel
ouvrage « J’ai osé Dieu » (Presses de la Renaissance), il revient sur
sa quête spirituelle, sa conversion, son besoin de prière, ses retraites
monastiques… « Je me sens un faible chrétien » avoue avec humilité cet
artiste attachant, lecteur de Saint Augustin, François de Sales et Gustave Thibon.
Un homme dont la foi lumineuse n’a pas été ébranlée lorsqu’il lui a fallu, il y
a quelques mois, engager le combat contre le cancer… « Dieu ne nous envoie pas d’épreuves, mais quand elles surviennent,
il les traverse avec nous »…
- Bertrand
Révillion : C’est la première fois que vous évoquez
aussi profondément votre vie spirituelle…
- Michel
Delpech : Oui, et
maintenant que ce livre est paru, je me demande si tout cela n’est pas un peu
impudique ! J’ai été gravement malade : un cancer de la langue qui
m’a contraint à des traitements lourds et m’a immobilisé pendant plus d’un an…
Ce sont des moments rudes où l’on se retrouve face à sa vie, à sa vérité. Je
suis croyant. Dieu, Jésus sont mes compagnons de route depuis des années. J’ai
voulu le dire. J’assume ce risque : un chanteur de variété qui avoue son
amour pour le Christ, ce n’est pas très tendance ! Mais je crois que
j’aurais un vrai regret à ne pas avoir dit ce que je crois ; et en qui je
crois…
- « J’ai
probablement toujours été chrétien » dites-vous…
- Oui, avec quelques éclipses ! De mes
parents, j’ai reçu un catholicisme de convention, sans que je me sente vraiment
concerné. Puis j’ai été happé par la vague de la célébrité. C’était l’époque
« yé-yé », mes chansons tournaient en boucle sur les radios. J’étais
une « vedette » et n’avais ni le temps ni le goût de me poser des
questions métaphysiques ! Puis j’ai connu une traversée du désert, un burn out comme on dit pudiquement, un
véritable chaos dans mon existence… Je me suis tourné vers les sagesses et
spiritualités orientales. J’ai lu pas mal de choses sur le bouddhisme,
l’indouisme, le zen, la méditation transcendantale…
- Rien
sur le christianisme ?
- Non. J’avais une image assez négative de l’Église.
Je trouvais qu’on y respirait trop le mauvais air de la culpabilité, du péché…
Tous ces crucifix exaltant la mort du Christ me glaçaient. J’étais aussi assez
anticlérical. J’avais le souvenir de m’être prodigieusement ennuyé à la messe.
Je n’avais, par exemple, aucun souvenir d’avoir entendu une seule fois réciter
le Notre Père de manière
joyeuse !
- Un
jour, pourtant, vous allez revenir vers la source chrétienne. Pourquoi ?
- Je me suis progressivement rendu compte que
les philosophies et spiritualités orientales – si belles soient-elles –
n’étaient pas un chemin fécond pour moi. J’étais en train de me perdre. J’ai
éprouvé le désir d’entrer à nouveau dans les églises. Pas au moment des
célébrations, mais lorsque je savais pouvoir y être seul… J’aimais ces instants
de solitude et de silence. J’ai aussi été discuter avec des chrétiens fervents,
des hommes et des femmes que je sentais habités par la foi. J’ai fait quelques
retraites dans des monastères. Peu à peu, j’ai eu le sentiment d’être rentré
« à la maison », de ne plus être séparé d’une part essentielle de
moi-même.
- Vous
écrivez que, depuis cette période, « la spiritualité, la foi, Dieu sont
l’objet incessant de ma quête… » C’est fort !
- N’allez pas croire que je sois devenu une
sorte de mystique continuellement plongé dans la contemplation ! Si vous
saviez combien je me sens un faible chrétien… Mais il ne se passe pas un jour
sans que je me pose la question de Dieu. Je songe souvent aux moines, à cette
vie qu’ils se sont choisie pour vivre avec cette question. J’aime aller pendant
quelques jours, partager leurs vies…
- Comment
nourrissez-vous cette interrogation spirituelle ?
- Je lis beaucoup. Je traine souvent à La
Procure, au rayon des livres religieux. Je lis des auteurs anciens : St
Augustin, Isaac le Syrien, François de Sales, Maître Eckhart… Quelques contemporains
aussi parmi lesquels Gustave Thibon, que j’ai eu la chance de rencontrer, qui a
l’art de ciseler de courtes pensées fulgurantes… J’ai bien conscience que cela
ne cadre pas tout à fait avec l’image qu’on peut se faire d’un chanteur
populaire !
- Il y
a comme un paradoxe chez vous. Vous dites que la foi, c’est la joie. Et vous
écrivez aussi que, souvent, votre propre foi « est dans la torture… »
- Je n’ai pas la foi tranquille et sereine. Je
suis, selon l’expression populaire, un homme de peu de foi ! La foi, ne se
réduit pas à un ensemble de croyances auxquelles il suffit d’adhérer. La foi,
c’est d’abord cet instant mystérieux où l’on se sent soudain habité par une
force fantastique. Un instant de joie pure ! Avoir la foi, c’est soudain
ne plus avoir peur. Un croyant connaît quelques instants de grâce de ce type
dans sa vie. Mais la plupart du temps, il faut bien avouer que l’on reste dans
le brouillard. Ce n’est pas si facile de discerner quelle est la volonté de
Dieu. Souvent, cela est effectivement « torturant »…
- Dans
votre itinéraire, il y a un jour, une « rencontre » inattendue… Voulez-vous
en parler ?
- C’était en 1980. Je faisais un voyage en
Terre Sainte avec Geneviève, ma femme. Nous venions de nous marier. Nous avons
visité la vieille ville et sommes arrivés au Saint Sépulcre. Un lieu paradoxal :
ce qui devrait être un espace de recueillement, ressemble à une foire d’empoigne
où chaque confession chrétienne tente d’attirer l’attention. J’attendais mon
tour dans le brouhaha incessant. Soudain, je me suis trouvé devant la pierre du
tombeau, avec derrière mois des Portugais qui poussaient pour prendre des
photos. Je me suis agenouillé une fraction de seconde, j’ai embrassé la pierre
et, immédiatement, j’ai été enveloppé d’une présence. J’ai su que Jésus était
là…
- Que
voulez-vous dire ?
- C’est difficile de mettre des mots sur ce qu’il
m’a été donné de vivre ce jour-là. J’ai eu soudain la certitude que Jésus
entrait dans ma vie, qu’il était là, vraiment là, en moi. Avec une infinie
douceur, il venait de me manifester son amour…
- Faut-il
parler de… « conversion » ?
- Oui, je crois que c’est le bon mot. Je n’en
vois pas d’autre.
- Avec
le recul, vous auriez pu mettre en doute cet « événement », y
décrypter l’action de votre imagination, de votre affectivité…
- Je n’ai pas un instant douté que Jésus
m’avait fait signe. Cette « rencontre » est-elle pour une part le
fruit de mon désir, de mon inconscient ? Peut-être. Je n’en sais rien et
peu importe. La vie spirituelle s’enracine dans ce que nous sommes. Cela
n’enlève rien à la vérité de cet instant unique et bouleversant qui m’a
transformé pour toute mon existence… C’est comme si je célébrais mes
« retrouvailles » avec le Christ, comme si un ami me revenait de
manière définitive.
- Qu’est-ce
qui change alors dans votre vie…
- Cette rencontre me convertit en ce sens
qu’elle m’oblige désormais à une conversion de tous les instants. Désormais, je
ne peux plus vivre comme si Jésus ne m’avait pas fait signe. Le
« travail » de conversion se met en route, sans ne plus jamais devoir
s’arrêter… La grâce de cette rencontre me contraint désormais à avancer dans la
foi…
- Une
foi dont vous ne doutez jamais ?
- Non. Si je doute, c’est de moi ; pas de
Dieu.
- Même
lorsque un médecin vous annonce que vous êtes malade ?
- Je n’ai pas un tempérament de révolté. Je ne
me suis pas brusquement mis à gueuler contre le ciel parce que j’étais malade.
J’ai accepté. Dieu ne nous envoie pas le cancer pour nous éprouver. Il
n’intervient pas de manière magique pour empêcher la maladie, mais il est à nos
côtés pour vivre l’épreuve. Il nous donne sa force. « Ta foi t’as sauvée »…
- L’épreuve
peut aussi devenir… chemin ?
- Oui, je le crois, même si cela est difficile.
C’est le sens du Vendredi Saint qu’il faut vivre comme un passage… Une prière
copte que j’aime dit ceci : « Merci
de nous avoir amené à cette heure ». Autrement dit, merci pour la vie
qui est là ; malgré tout.
- Dans
votre vie, il y a des rencontres lumineuses. Un moine bénédictin vous a
particulièrement marqué…
- Une de mes amis possède une maison en
Normandie, pas très loin de l’abbaye de St Wandrille. J’ai voulu y passer
quelques jours et j’y ai effectivement rencontré un moine avec lequel j’ai lié
amitié. Nous étions alors tous deux trentenaires. Avant d’entrer au monastère,
il avait « vécu », comme on dit : l’alcool, les filles… Cela me
le rendait plutôt sympathique ! Il s’occupait de la boulangerie de la
communauté et j’allais l’aider. Nous avons beaucoup parlé et beaucoup rit. Il
m’a guidé dans mes lectures, m’a aussi donné quelques conseils pour apprendre à
prier…
- Un
jour, dans le parc de ce monastère, vous faites une autre rencontre…
- En marchant, j’ai discuté avec un
ecclésiastique dont j’ai découvert qu’il était évêque. Je me suis confié longuement,
j’ai évoqué mes erreurs, mes doutes… Cet homme m’a écouté et notre échange
s’est peu à peu transformé en « confession ». J’ai reçu ce jour-là de
cet homme le sacrement de réconciliation. Et j’ai découvert que cet acte qui,
dans l’enfance, me semblait lourd et triste, pouvait être joyeux et source
d’une grande paix…
- Vous
évoquez votre initiation à la prière… C’est quoi, la prière ?
- Je pense que c’est avant tout le silence.
Faire taire en soi le bruit. Nous n’avons pas besoin de demander quoi que ce
soit à Dieu : il sait ce dont nous avons besoin. Se mettre en présence de
la Présence. La prière se résume à dire au Seigneur : « Que ta volonté soit faite »… Prier, c’est aider le ciel
à nous aider. La prière est un don que Dieu nous fait, n’importe où et
n’importe quand. Parfois nous sommes capables de recevoir ce cadeau…
- Vous
avez un rapport particulier à l’eucharistie. Vous confessez vous autoriser « rarement à recevoir le corps
du Christ : j’ai toujours peur de le blesser. »
- Je trouve mon « intérieur » trop en
friche pour accueillir le Christ.
- Il a
pourtant accepté de naître dans une étable…
- La paille de l’âne était bien plus propre que
mon jardin intérieur !
c
(c) Bertrand Révillion
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