Méditation pour le 5ème Dimanche de Carême. Année B
« Nous voulons voir Jésus » disent les Grecs aux disciples.
Les Grecs
sont des étrangers, des non juifs qui ne partagent pas la foi des juifs.
La scène se
déroule à Jérusalem, le lendemain des Rameaux où le Christ, monté sur un ânon,
a été acclamé pour la foule…
On pourrait
voir dans cette scène qui se déroule juste avant Pâques comme une saisissante
répétition d’une autre scène qui nous a été proposée au début du récit
évangélique : celle de la Nativité.
Là
aussi, d’autres étrangers, les Mages
venus d’Orient, cherchent à « voir » Jésus.
Là aussi,
l’image déroutante d’un Dieu pauvre et sans pouvoir est mis en avant :
-
l’étable et
la crèche pour la Nativité
-
l’ânon pour
l’entrée à Jérusalem à la veille de la Pâque
Dans les 2
scènes, des étrangers veulent « voir » cet étrange Dieu sans armée ni
fortune.
Ils sont
comme nous, ces étrangers, ils sont surpris, intrigués.
Quel est
donc ce Dieu sans puissance ?
Alors ils
veulent voir.
Voir, c’est
s’approcher, c’est vérifier, se faire sa propre idée.
Voir, c’est
« toucher du doigt », comme saint Thomas voudra voir les blessures du
Ressuscité.
Voir, c’est,
comme les femmes au tombeau le matin de Pâques, se rassurer joyeusement sur la véracité de l’incroyable événement.
Oui, ils
sont comme nous, ces étrangers : comme eux nous voulons voir pour croire, voir pour être sûr et certain de ce qu’on nous
raconte.
Nous voulons
d’autant plus « voir » que nous vivons dans une société où l’image
est omniprésente.
Ce qui est
vrai, c’est ce que je vois.
Ce qui
existe vraiment, c’est ce qui est vu, ce qui est « en vue », ce qui est
mis en image, médiatisé, ce qui passe à la télé, ce qui fait la
« Une » des magazines, ce qui s’affiche au compteur des « like »
sur Facebook !
Il faut être
en vue, apprendre à « gérer son image », avoir une bonne image pour
se sentir exister !
Et voici que
le Christ vient casser l’image qu’on se fait de lui, briser les écrans qui font
écran !
Dans la
Bible, les prophètes luttent contre les idoles, c’est à dire, très
étymologiquement, contre les fausses représentations, les fausses images de
Dieu.
Les grecs,
dans notre texte d’évangile, représentent métaphoriquement les
« étrangers » à la foi. Ils nous ressemblent, nous qui sommes si
souvent « étrangers » à la foi chrétienne que nous professons.
Nous qui,
pas plus que les étrangers, ne comprenons grand chose à la langue, au langage
de Dieu…
Comme les
Grecs, comme les disciples, nous sommes désarçonnés par ce Christ qui, volontairement, casse
l’image que nous nous faisons de Lui…
-
Aux Rameaux,
la foule veut acclamer un « Roi » puissant : mais c’est un
condamné, un crucifié, que, quelques jours plus tard, elle va voir…
-
Les juifs
attendent un « Messie », un sauveur, un libérateur : mais ils
vont « voir » un perdant et un agonisant sur la croix. « Ecce Homo » !
-
Nous aussi,
dans la fragilité de nos vies, nous rêvons d’un Dieu revêtu d’une toute puissance
qui nous arrangerait bien. Une toute-puissance qui ferait bien notre affaire, qui
nous protégerait magiquement des blessures de l’existence, de la souffrance, de
la maladie.
Un Dieu qui,
continuellement, comme une sorte de super Jupiter, volerait à notre secours, non pas comme Lui
veut, mais comme nous, nous voulons.
Et voici que
le Christ casse l’image que nous nous forgeons de Lui. Un Christ qui se laisse
condamner, bafouer, crucifier.
Un Dieu dont
la seule force semble résider dans une extrême faiblesse…
« Si le grain tombé en terre ne meurt
pas, il ne porte pas de fruit »…
Et voici que
Jésus nous offre l’image saisissante,
scandaleuse d’un Messie à genoux, lavant, comme un esclave, les pieds de ses
disciples.
Piètre image
de Dieu : « Circulez, y a rien à voir » ! Rien a mettre en
« Une », rien qui mérite de passer la télé ou sur Tweeter !
A quelques
courtes encablures de la Semaine Sainte, nous voici invités à contempler
« l’humilité de Dieu ».
Il nous faut
pour cela convertir notre regard sur Lui, casser toutes les fausses images que
nous nous faisons de Lui, les fausses attentes, les faux désirs dans lesquels
nous tentons de l’enfermer.
« Le
Dieu qui nous respecte n’est pas celui que nous voudrions qu’il soit »
écrivait le jésuite François Varillon
Dans le
récit de la conversion de Paul sur le chemin de Damas, il nous est raconté que
l’Apôtre a été terrassé, qu’il est littéralement tombé du cheval de ses
certitudes. Pendant plusieurs jours, il n’y verra plus rien, traversera de
longs jours d’aveuglement.
Comme s’il
fallait du temps à la pédagogie divine pour nous sortir de notre cécité
spirituelle et nous débarrasser de nos « courtes vues » sur Dieu !
Oui, la
seule toute-puissance de Dieu c’est son humilité !
L’Évangile est,
décidemment, un monde à l’envers
qui
nous remet le cœur à l’endroit !
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