22.3.15

Courte vue...


Méditation pour le 5ème Dimanche de Carême. Année B


« Nous voulons voir Jésus » disent les Grecs aux disciples.

Les Grecs sont des étrangers, des non juifs qui ne partagent pas la foi des juifs.

La scène se déroule à Jérusalem, le lendemain des Rameaux où le Christ, monté sur un ânon, a été acclamé pour la foule…

On pourrait voir dans cette scène qui se déroule juste avant Pâques comme une saisissante répétition d’une autre scène qui nous a été proposée au début du récit évangélique : celle de la Nativité.

Là aussi,  d’autres étrangers, les Mages venus d’Orient, cherchent à « voir » Jésus.
Là aussi, l’image déroutante d’un Dieu pauvre et sans pouvoir est mis en avant :

-       l’étable et la crèche pour la Nativité
-       l’ânon pour l’entrée à Jérusalem à la veille de la Pâque

Dans les 2 scènes, des étrangers veulent « voir » cet étrange Dieu sans armée ni fortune.

Ils sont comme nous, ces étrangers, ils sont surpris, intrigués.
Quel est donc ce Dieu sans puissance ?

Alors ils veulent voir.

Voir, c’est s’approcher, c’est vérifier, se faire sa propre idée.

Voir, c’est « toucher du doigt », comme saint Thomas voudra voir les blessures du Ressuscité.

Voir, c’est, comme les femmes au tombeau le matin de Pâques, se rassurer joyeusement  sur la véracité de l’incroyable événement.

Oui, ils sont comme nous, ces étrangers : comme eux nous voulons voir pour croire,  voir pour être sûr et certain de ce qu’on nous raconte.

Nous voulons d’autant plus « voir » que nous vivons dans une société où l’image est omniprésente.

Ce qui est vrai, c’est ce que je vois.

Ce qui existe vraiment, c’est ce qui est vu, ce qui est « en vue », ce qui est mis en image, médiatisé, ce qui passe à la télé, ce qui fait la « Une » des magazines, ce qui s’affiche au compteur des « like » sur Facebook !

Il faut être en vue, apprendre à « gérer son image », avoir une bonne image pour se sentir exister !

Et voici que le Christ vient casser l’image qu’on se fait de lui, briser les écrans qui font écran !

Dans la Bible, les prophètes luttent contre les idoles, c’est à dire, très étymologiquement, contre les fausses représentations, les fausses images de Dieu.

Les grecs, dans notre texte d’évangile, représentent métaphoriquement les « étrangers » à la foi. Ils nous ressemblent, nous qui sommes si souvent « étrangers » à la foi chrétienne que nous professons.

Nous qui, pas plus que les étrangers, ne comprenons grand chose à la langue, au langage de Dieu…

Comme les Grecs, comme les disciples, nous sommes désarçonnés  par ce Christ qui, volontairement, casse l’image que nous nous faisons de Lui…

-       Aux Rameaux, la foule veut acclamer un « Roi » puissant : mais c’est un condamné, un crucifié, que, quelques jours plus tard, elle va voir…

-       Les juifs attendent un « Messie », un sauveur, un libérateur : mais ils vont « voir » un perdant et un agonisant sur la croix. « Ecce Homo » !

-       Nous aussi, dans la fragilité de nos vies, nous rêvons d’un Dieu revêtu d’une toute puissance qui nous arrangerait bien. Une toute-puissance qui ferait bien notre affaire, qui nous protégerait magiquement des blessures de l’existence, de la souffrance, de la maladie.

Un Dieu qui, continuellement, comme une sorte de super Jupiter,  volerait à notre secours, non pas comme Lui veut, mais comme nous, nous voulons.

Et voici que le Christ casse l’image que nous nous forgeons de Lui. Un Christ qui se laisse condamner, bafouer, crucifier.
Un Dieu dont la seule force semble résider dans une extrême faiblesse…
« Si le grain tombé en terre ne meurt pas, il ne porte pas de fruit »…

Et voici que Jésus nous offre  l’image saisissante, scandaleuse d’un Messie à genoux, lavant, comme un esclave, les pieds de ses disciples.

Piètre image de Dieu : « Circulez, y a rien à voir » ! Rien a mettre en « Une », rien qui mérite de passer la télé ou sur Tweeter !

A quelques courtes encablures de la Semaine Sainte, nous voici invités à contempler « l’humilité de Dieu ».

Il nous faut pour cela convertir notre regard sur Lui, casser toutes les fausses images que nous nous faisons de Lui, les fausses attentes, les faux désirs dans lesquels nous tentons de l’enfermer.

« Le Dieu qui nous respecte n’est pas celui que nous voudrions qu’il soit » écrivait le jésuite François Varillon

Dans le récit de la conversion de Paul sur le chemin de Damas, il nous est raconté que l’Apôtre a été terrassé, qu’il est littéralement tombé du cheval de ses certitudes. Pendant plusieurs jours, il n’y verra plus rien, traversera de longs jours d’aveuglement.
Comme s’il fallait du temps à la pédagogie divine pour nous sortir de notre cécité spirituelle et nous débarrasser de nos « courtes vues » sur Dieu !

Oui, la seule toute-puissance de Dieu c’est son humilité !

L’Évangile est, décidemment,  un monde à l’envers 
qui nous remet le cœur à l’endroit !


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