Méditation pour le 25 dimanche du Temps Ordinaire. 22 septembre 2013
« Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et
l’argent »
Voilà un slogan qui a le
mérite d’être clair, frères et sœurs !
Difficile de faire plus
« carré » !
Difficile de livrer cette affirmation
à une interprétation doucereuse et édulcorante !
Inutile d’essayer d’arrondir
les angles…
Jésus ne nous l’envoie par
dire : il y a un lien entre notre foi et…notre fric !
Une connexion « 4
G » entre l’autel et le portefeuille, l’oratoire et le compte en banque,
le tabernacle et…le coffre-fort !
Déjà, vers 750 avant Jésus-Christ,
le prophète Amos (notre 1ère lecture) se met en rogne contre les
dirigeants de Samarie.
Le pays connaît alors une
période de prospérité économique…qui devrait profiter à tous. Ce qui, hélas,
est loin d’être le cas !
Déjà à l’époque, l’enrichissement
des uns creuse l’appauvrissement des autres. Pour ne pas crever de faim, les
plus pauvres n’ont pas d’autre solution que de se vendre comme esclaves « pour une paire de sandales ».
Pour s’enrichir un peu plus,
les filous en tous genres trafiquent les instruments de mesure.
Pour s’en mettre un peu plus
dans les poches, ils revendiquent le droit de travailler pendant le sabbat et
la fête de la nouvelle lune.
Pour un peu, ils courraient
tous s’ouvrir un compte en Suisse !
Alors Amos râle et il a
raison : « Vous écrasez les
pauvres, vous anéantissez les humbles du pays ».
Il reviendrait aujourd’hui,
il n’aurait pas à changer beaucoup son discours !
Il lui faudrait juste
rafraichir un peu le vocabulaire : remplacer « blé » par stock-options astronomiques, « froment »
par golden-parachutes invraisemblables,
« balances trafiquées » par fraude
fiscale, « esclaves » par travailleurs
précaires…exploités jusqu’à la corde dans les soutes de notre capitalisme
échevelé et de notre libéralisme déshumanisé !
C’est comme si, frères et
sœurs, l’appât du gain, le « toujours
plus » étaient inscrits dans le code génétique de l’homme depuis la
nuit des temps…
Comme si, depuis toujours,
l’homme se laissait engluer dans le culte sacré du « TPMG » : « Tout
Pour Ma Gueule » !
Et, dans notre Évangile,
Jésus en remet une couche !
Oui, on ne peut pas servir
Dieu et l’argent !
Soit on décide de servir
Dieu, soit on sert le « saint pognon » !
Impossible de concilier les
deux !
Faut-il en conclure, frères
et sœurs, que le Christ – et l’Église à sa suite – sont définitivement contre
l’argent ?
Faut-il en déduire que
l’argent est, pour la morale catholique, toujours mauvais, dangereux,
impur ?
Faut-il ne voir dans l’argent
que nous gagnons qu’un instrument de péché ?
Non.
La doctrine sociale de l’Église
ne condamne pas l’argent.
D’ailleurs Jésus et ses
disciples utilisent l’argent pour leurs échanges, l’un des leurs tient même le
budget.
Alors qu’en est-il ?
Commençons par ne pas faire
de contre-sens.
Dans la phrase : « Vous ne pouvez pas servir Dieu et
l’argent », le mot servir est utilisé dans son sens religieux.
Autrement dit, il s’agit de
ne pas se mettre au service de l’argent comme on se mettrait au service d’un
Dieu.
Ne pas faire de l’argent une
idole mais le laisser à sa juste place : un moyen d’échange.
L’Église n’est pas naïve, ni
irénique : elle sait bien que pour vivre il faut gagner de l’argent.
François de Salles affirme
même que c’est le « devoir d’état » du père de famille…
L’Église ne considère pas non
plus les « riches » systématiquement comme de « mauvais
paroissiens ».
Elle n’est pas contre le
profit, qui est un signe de bonne santé pour les entreprises, à condition que
le profit soit un moyen et non un but en soi.
Elle ne prêche pas une sorte
d’égalitarisme sans nuance, façon « dictature
bolchévique du prolétariat » !
L’argent n’est pas, pour la
morale catholique, intrinsèquement mauvais.
Sauf lorsqu’on le sert comme
un esclave son maître.
Certains sont tellement
obnubilés par ce qu’ils possèdent ou pourraient posséder qu’ils en deviennent eux-mêmes
« possédés » presqu’au sens diabolique du terme.
Si l’argent peut être un bon « serviteur », il est toujours
un mauvais « maître » !
Voilà, en gros, ce que nous dit l’Église.
« Si vous amassez des richesses, n’y mettez pas
votre cœur » nous dit le psaume…
Alors, Frères et Sœurs,
profitons des lectures de ce dimanche pour nous interroger :
1 1)Quel est mon rapport à l’argent ? Est-il pour moi
un simple moyen pour vivre et faire vivre les miens ? Ou bien ai-je avec
l’argent un rapport plus ambiguë, moins clair qu’il n’y paraît ? Qu’est-ce
que j’attends de mon salaire ? De quoi vivre ? Ou autre chose ? Y
a-t-il dans mon rapport à l’argent une quête un peu obscure, une manière
d’évaluer « ce que je vaux », une forme de revanche sociale, une
manière de me rassurer, de me sentir appartenir à un certain milieu, de me
comparer, de me valoriser, parfois au
risque d’écraser les autres ?
2) Lorsque je dépense mon argent, pour des achats ou des
impôts, mon premier élan est-il de systématiquement râler parce « c’est
trop cher » ou bien ai-je – après un éventuel et légitime débat sur le
coût de la vie et la politique fiscale – le réflexe de mettre des visages, des
familles, des vies sur les billets qui quittent mon portefeuille ?
3) Si je gagne plus que ce dont j’ai besoin, que fais-je
du surplus ? Au-delà de l’épargne à laquelle m’incite la prudence et qui
n’est pas moralement condamnable, est-ce que je thésaurise, ou est-ce que je
suis ouvert au don ? Est-ce que j’épargne uniquement pour mes propres
enfants, ma propre famille, uniquement les miens ou est-ce que je suis prêt,
via des associations compétentes, à tendre la main aux lointains plus pauvres
que je ne connais pas ?
Oui, Frères et Sœurs, faire
œuvre de discernement au sujet de ce que nous faisons de notre argent n’est
pas, en christianisme, une option facultative.
Il y a quelques années, les
évêques de France ont incité les chrétiens à réfléchir à de « nouveaux
modes de vie », plus simples, moins dans le « toujours plus », davantage
ouverts au partage et à la solidarité. Leurs questions n’ont cessé de devenir
plus urgentes dans une société où la fracture sociale est profonde.
Nous ne pouvons pas ne pas
nous interroger sur nos propres modes de vie…
Laissons-nous interpeller par le Pape François
lorsqu’avec vigueur il dénonce « le
fétichisme de l’argent », « la
dictature de l’économie sans visage, ni but vraiment humain », une
société où « l’être humain est
considéré comme étant lui-même un bien de consommation qu’on peut utiliser,
puis jeter. » Lorsqu’il dénonce « l’accroissement
exponentiel du revenu d’une minorité, tandis que celui de la majorité
s’affaiblit »…
Oui, Frères et Sœurs, nous ne
pouvons pas nous approcher de cet autel qui est, par excellence, la
« table du pauvre », sans nous demander comment, concrètement, nous
participons au combat contre les « faims humaines » de toutes sortes…
Saint Jean Chrysostome dans
une retentissante homélie n’y allait pas avec le dos de cuillère !
« Ne pas
faire participer les pauvres à ses propres biens, c’est les voler et leur
enlever la vie. Ce ne sont pas nos biens que nous détenons, mais les
leurs » !
Rude, mais plutôt bien
envoyé !
Amen.
(c) Bertrand Révillion 2013
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