18.4.11

Lueur de Pâques

Méditation pour une veillée pascale...


Nous voici, Frères et Sœurs, à nouveau rassemblés pour cette grande et belle nuit de la divine espérance !

J’aime les ténèbres provisoires de cette nuit du grand passage où retentit à nos oreilles la grande épopée biblique.

Nuit de la Genèse, nuit de la création du monde,
nuit qui, soudain, se fend comme un fruit mûr
au feu bienheureux du Buisson ardent ;

Nuit qui renonce à toutes ses noirceurs
sous la poigne invincible du Très-Haut
qui agrippe et retient
le bras sacrificateur d’Abraham
et, avec lui, le nôtre,
toujours si prompt à blesser nos amours…

Nuit de la mémoire, nuit qui avive le souvenir d’un peuple fuyant l’esclavage et marchant vers la Terre promise de sa libération.

J’aime, Frères et Sœurs, la marche crépusculaire
des croyants qui croient,
des croyants joyeux et convaincus,
des croyants qui doutent,
des croyants en deuil de leur propre foi,
des croyants en colère contre le ciel,
des croyants qui ne sont pas en règle
avec nos morales si souvent étriquées,
des mal croyants,
de tous les mécréants que nous sommes
et qui forment le peuple bigarré de l’Exode !

J’aime cette nuit pascale où il nous est donné
de croire que l’obscurité n’aura pas le dernier mot, que l’aube de matin de Pâques viendra,
comme un baume, apaiser les blessures de nos vies
et nous faire sortir de tous nos tombeaux !

Je songe, en vous parlant, à une vieille femme qu’il m’a été donné de rencontrer dans un quartier déshérité de Lille.

J’étais venu rencontrer un ami, ancien avocat issu d’une grande famille bourgeoise devenu prêtre, religieux dominicain et aumônier de prison.

Philippe a choisi de vivre en plein cœur de la misère, dans un quartier déshérité où résistent encore à l’appétit des promoteurs immobiliers
quelques maisons de pauvres.

Une vie rude et solidaire aux cotés de ces hommes et de ces femmes qu’on désigne souvent comme
le « Quart monde »
comme si ils n’avaient droit qu’à un quart de vie !

Nous étions, le Père Philippe et moi, en train de nous réchauffer les doigts autour d’un bol de café noir, lorsque soudain, une main gratta le carreau.

Le visage du vieux prêtre s’illumina et il me dit : Bertrand, je vais te présenter ma « princesse ».

Une vieille femme est entrée, le visage marqué par les rudes coups de l’existence.

J’ai su, plus tard, que ses beaux yeux
s’étaient souvent noyés dans les larmes
et les eaux troubles de l’alcool.

Pour oublier peut-être la rage avec laquelle la vie s’acharne sur certains êtres…

Le Père Philippe m’a présenté sa Princesse qui, très vite, m’a invité à l’accompagner.
Nous avons traversé ensemble ce que les gens du Nord appellent une « courée » et nous sommes entrés dans une sorte de remise.

Petite chapelle envahie par le froid.
Petit havre de chaleur cependant où brûle,
jour et nuit, la fragile flamme d’une Présence.

Princesse s’est plantée devant une icône du Christ puis elle s’est tournée vers moi : « tu vois, c’est Lui qui me guérit ! Je lui parle tous les jours et je sais qu’il m’écoute ».
Et puis la vieille femme s’est éclipsée.

Je venais rencontrer le Père Philippe afin qu’il me dise un peu ce qu’est pour lui le mystère de Pâques et j’avais déjà ma réponse, simple, lumineuse !

Une femme blessée, écrasée, toute « cabossée » par la vie venait de me rappeler le cœur du message de Pâques : la Résurrection mène secrètement, mystérieusement parmi nous , en nous, son lent travail d’enfantement et de relevailles.

Oui, Frères et Sœurs, la grande nouvelle de cette nuit de Pâques est qu’en sortant du tombeau, le Christ va nous tirer, avec lui, vers la lumière, et va nous relever.

Qui que nous soyons,
et quelques soit les itinéraires chaotiques de nos vies, que notre foi soit brûlante ou tiède,
que nous soyons des croyants pratiquants
ou intermittents,
l’aube du matin de Pâques,
le grand lever de soleil de la résurrection est - n’en doutons pas ! – pour nous, pour chacune et chacun d’entre nous
car Dieu vient nous changer le cœur,
vient nous repeindre l’âme,
vient nous ouvrir enfin à la grande fraternité des filles et des fils du Très-Haut !

L’écrivain Georges Bernanos à qui l’ont demandait un jour ce qu’est la foi chrétienne eut cette superbe réponse :

« La foi ? C’est 24 heures de doute moins une minute d’espérance » !

Eh bien, Frères et Sœurs, Pâques, c’est cette bienheureuse « minute d’espérance » où il nous est donné de croire que tout est encore possible,
que nos existences, quelles qu’elles soient, peuvent se remettre debout.

Vivre le grand passage de Pâques, c’est choisir enfin – comme le peuple hébreu fuyant l’esclavage égyptien - la liberté, trouver un sens, une direction à notre vie, sortir des tombeaux meurtriers de notre matérialisme,
briser la course au « fric », au pouvoir, à l’écrasement de l’autre,
à l’exploitation de l’homme par l’homme,
arrêter la lente asphyxie de notre indifférence assassine,
rouler enfin la pierre qui pèse sur notre cœur
et l’empêche de battre aux rythmes de l’amour !
Au rythme même du cœur de Dieu !

Pâques, c’est le temps béni où nous pouvons enfin nous risquer à devenir ce que nous sommes :
des marcheurs, des nomades, des aventuriers de l’âme,
des hommes et des femmes,non pas assis et le cœur rassis comme du pains sec,
mais des filles et des fils du Dieu de la joie et de la tendresse,
les yeux rivés sur la Terre promise de notre propre Résurrection !
Le regard tourné vers un monde, une humanité qui, impatiemment, attend qu’on lui indique une Source !

« Vous tous qui avez soif, venez, voici de l’eau » !

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