Méditation pour ce dimanche 9 février
5ème Dimanche T.0.
A
« Ne te dérobe pas à ton semblable ».
Dans la première lecture que
nous venons d’entendre, le prophète met les choses au point sans trop
s’embarrasser de diplomatie.
On pourrait dire, et avec tout le respect que je lui dois, qu’Isaïe pousse un « sacré
coup de gueule » !
Nous sommes à la fin du 6ème
siècle avant Jésus Christ.
Après une longue et
douloureuse période de déportation à Babylone, le peuple hébreu est enfin de
retour dans sa « terre promise ».
Les gens sont heureux d’être
libérés mais avant tout préoccupés de « refaire leur vie », de retrouver
leur confort, leur place dans la société, de réussir, de « faire
carrière »… Cette fringale ne s’encombre pas trop d’attention aux autres
ni même à Dieu.
Lorsqu’ils étaient déportés à
Babylone, les gens ont beaucoup prié et crié vers le ciel pour leur libération.
Maintenant qu’ils sont libres, leur vigueur spirituelle s’émousse et se
fatigue.
Comme si leur soudaine
liberté les plongeait dans une autre forme de prison, matérielle et
égocentrique.
A Jérusalem, les gens pratiquent
pieusement leur religion, s’inclinent, s’agenouillent, se prosternent, font de
longues prières, pratiquent le jeûne avec l’espoir d’obtenir du ciel un bon
« retour sur investissement » !
Mais dès qu’ils quittent les
liturgies, ils continuent de se déchirer allègrement, de se battre sans
vergogne pour obtenir les meilleures places, un maximum d’argent, écrasent les
autres pour faire triompher leurs idées…
Remarquez, en ce domaine,
l’époque n’a pas vraiment changé !
Alors Isaïe se met en rogne. Il
pique une « sainte colère ».
Quelques lignes avant notre
texte d’aujourd’hui, le prophète n’y va pas de main morte !
Je le cite : « Le jour de votre jeûne, vous savez
tomber sur la bonne affaire, et tous vos gens de peine, vous les
brutalisez ! Vous jeûnez tout en cherchant querelle et dispute, et en
frappant du poing méchamment ».
On pourrait, à première
lecture, se dire qu’Isaïe leur fait la morale, qu’il se contente de leur tirer fortement
les oreilles.
Mais l’enjeu est bien plus
profond que cela.
Il y va, pour le prophète, de
l’identité même du croyant.
Isaïe sait bien que nous
passons notre vie à nous dérober, à nous désister. Nous voudrions, comme il
nous y invite, partager le pain « avec
celui qui a faim », recueillir « le
malheureux sans abri », couvrir « l’homme
sans vêtement », bref, aimer notre semblable mais nous ne le faisons
pas, ou si peu.
Car notre
« semblable » demeure pour nous, le plus souvent, un « autre »,
ce « différent » que nous laissons piétiner à la périphérie de nos
vies.
Quel chemin prends-tu pour faire de l’autre ton
semblable ?
Telle est l’urgente question
que le Christ nous pose aujourd’hui.
Mais qui est mon
« semblable » ?
Un autre moi-même ?
Un autre à qui j’impose
d’être « comme moi » ?
De vivre « comme
moi » ?
De penser « comme
moi » ?
De prier « comme
moi » ?
D’aimer « comme
moi » ?
D’avoir les même valeurs que
moi ?
Un autre à qui je dénie le
droit d’être autre ?
Non ! Mon
« semblable » n’est pas celui qui me ressemble, ma copie narcissique
et rassurante dans le miroir, mais celui qui, comme moi, est à la ressemblance
de Dieu.
Mon « semblable »
est mon « semblable » parce que, comme moi, il est enfant de Dieu, fils
ou fille à chaque fois unique du Père… Sa différence, c’est Dieu qui me la
donne, comme un cadeau fragile…
Parce que l’autre a toujours
quelque chose à me dire de la part de Dieu !
Croire, c’est tenter de se
faire semblable à l’amour de Dieu qui regarde chaque « autre » comme
le lieu de sa présence et de sa transfiguration…
Croire, c’est donc vivre un
perpétuel déplacement, un perpétuel exode qui me sort de moi-même pour me faire
avancer vers la Terre Promise de l’autre. Même si la « terre » de
l’autre me déroute, me met mal à l’aise, suscite un premier réflexe de rejet…
La foi chrétienne ne fait pas
de la main tendue à l’autre une simple « bonne action » ; elle
fait de cette main tendue la condition même de notre identité de chrétien, en
quelque sorte la « carte génétique », le « disque dur » de notre identité de disciple du Christ.
Alors, il faut nous
interroger, Frères et Sœurs : en tant que chrétiens, que donnons-nous à
voir du Christ à nos semblables ?
Quelle image de l’Évangile
faisons-nous, à travers nos vies, voir au monde ?
L’Évangile nous dit que nous
avons à être le « sel de la terre ».
Le sel à cette particularité
que, pour donner du goût, il doit se fondre dans la nourriture, devenir
invisible pour exister vraiment, pour donner toute sa saveur. Un peu comme
cette hostie que nous allons manger dans quelques instants…
N’avons-nous pas parfois,
dans nos sociétés où le christianisme semble un peu essoufflé et parfois
malmené, peur de nous dissoudre, de disparaître ?
N’avons-nous pas parfois la
tentation de nous figer, de rester en bloc de sel, d’avoir peur de nous
mouiller, de refuser notre vocation qui est d’aller justement nous enfouir dans
la pâte humaine ?
Et comment allions-nous notre
vocation à être à la foi la lumière qui se voit sur la montagne et le sel qui
se dissout pour donner du goût au monde ?
Par nos actes, nos paroles,
nos engagements, nous donnons à voir une petite parcelle du visage du Christ, nous
participons à l’incarnation du Christ en ce monde.
Un monde dont il ne nous faut
pas d’abord nous défier, mais aimer. Ce qui, bien évidemment, ne veut pas dire
tout accepter de lui !
Un monde où particulièrement
les pauvres, les blessés de toutes sortes nous attendent et espèrent notre main tendue.
A l’heure où nous nous apprêtons
à fêter le 60ème anniversaire de l’appel de l’Abbé Pierre à
s’insurger contre la misère, à quand, Frères et Sœurs, l’immense, la
gigantesque « Manif pour tous » contre la pauvreté, la précarité, le
mal logement ?
« Nous sommes, vient de déclarer le pape François, appelés à regarder la misère de nos frères, à
la toucher, à la prendre sur nous et à œuvrer concrètement pour la
soulager… »
Oui, nous
sommes le visage du Christ en ce monde.
Quel visage lui
donnons-nous ?
Est-ce celui d’un Dieu de
miséricorde, de compassion, d’écoute, le Jésus de la Samaritaine, du collecteur
d’impôts et de la femme adultère ?
Veillons à ne pas projeter
sur le monde une caricature du visage de Dieu…
François Mauriac écrit
quelque part : « Si vous êtes
un ami du Christ, plusieurs se réchaufferont à ce feu, prendront leur part à
cette lumière. Et le jour où vous ne brûlerez plus d’amour, beaucoup d’autres
mourront de froid ».
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire