23.12.20

NOËL : Voici la nuit qui s'illumine...


Méditation pour la nuit de Noël (Déc. 2020 - Année B)

C’est une jolie crèche peuplée de jolis santons, délicatement peints à la main. 

Une jolie crèche qu’on se transmet de génération en génération…


Rien ne manque. Il y a le bœuf et l’âne, les moutons, la paille, la mangeoire drapée de foin, et là-haut dans son ciel, l’étoile tremblotante qui veille, comme un phare sur la mer. 


Ils sont tous là les santons : les petits, les grands, les neufs, les vieux, les craquelés, les rafistolés; tous modelés de cette belle terre rouge provençale. Ils s’approchent, dans la nuit noire de décembre, aimantés par la lumière et les premiers sourires de ce mystérieux nouveau-né. 


Il y a Joseph qui s’agite et s’inquiète pour sa femme et le petit qui risquent tous deux de prendre froid.


Il grogne dans sa barbe Joseph contre ce fichu aubergiste qui n’a pas voulu les laisser entrer et leur trouver une petite place au chaud. 

Il s’est méfié l’aubergiste : qui étaient donc ces réfugiés ? D’où venaient-ils ? Avaient-ils seulement des papiers en règle ? Partageaient-ils la même religion ?  Et si la police débarquait, ne serait-il pas  lui-même jugé complice de leur avoir accordé le droit d’asile ? Alors, confondant prudence et trouille – vlan ! –, il leur a claqué  la porte au nez, l’aubergiste. À l’heure qu’il est, il regarde « Plus belle la vie » à la télé, ou il dort déjà, sous la couette duveteuse de son indifférence, bien au chaud. 

Peinard l’aubergiste ! 


Il y a les bergers un peu en retrait, hirsutes dans leurs grandes capes noires, qui ne sentent pas franchement la rose. On ne les aime pas beaucoup, les bergers. Ils ont mauvaise réputation, un peu voleurs, un peu picoleurs, un peu louches. Des marginaux sans domicile fixe. Les braves gens - « qui n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux » -  s’en méfient. Mais Joseph leur sourit. Alors ils osent timidement s’approcher. 

Qui aurait dit que les premiers  visiteurs en cette sainte nuit de Noël ce seraient eux, les déclassés, les refoulés, les bafoués ?  


Près de la porte de la grange, il y a cet homme courbé, la cinquantaine grisonnante, qui roule sa casquette dans ses mains et rase les murs, gêné : depuis qu’il pointe à « Pole Emploi », il a les poches vides : même pas de quoi acheter un cadeau au petit. C’est au tour de Marie de lui sourire, alors il s’enhardit et vient s’agenouiller, près d’elle et de l’enfant. 

Comme eux, sur la paille !


Il y a cette jeune femme qui sort de l’hôpital, la tête enturbannée dans un joli foulard. Elle regarde, émue et attendrie, Marie donner le sein au petit. 


Il y a le grand-père blagueur et, perché sur ses épaules, son petit-fils qui se marre en lui chatouillant les oreilles. 


Il y a le jeune couple qui se tient tendrement par le cœur et qui rêve déjà à ce mariage radieux, annoncé pour juillet.


Il y a… la « famille catholique ». Ah, la famille catholique, ses 5 enfants élevés dans les meilleures écoles, tous biens sages à la messe le dimanche ! Elle fait un peu envie, la famille catholique prétendument idéale !  Mais souvent, elle donne le change, et cache derrière ses volets clos, petits tracas ou grandes blessures… Comme tout le monde !


Il y a, un peu dans l’ombre, cette autre femme qui tient la main à sa propre solitude : un méchant divorce dont elle peine à se relever. Mais, ce soir, dans le chaos de sa vie bouleversée, elle a l’intuition que la douce lumière qui émane de la crèche brille pour elle. Oui, pour elle ! Elle hésite un peu, puis, oui, plus de doute, elle y croit à cette lumière : « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; sur les habitants du pays de l’ombre, une lumière a resplendi » ! 

 

Ils sont tous là, les assoiffés de lumière : le SDF frigorifié, le convalescent essoufflé, à peine remis des attaques sournoises de ce méchant virus, le cadre tout juste sorti du bureau qui desserre sa cravate, l’étudiant encore groggy par la surchauffe des partiels, la prostituée qui se demande si elle a le droit d’être là, le boulanger qui songe à sa prochaine fournée, le sans-papier qui tente de ne pas se faire repérer, la jeune handicapée un peu gênée dans son fauteuil qui encombre le passage, le marin-pécheur à peine débarqué qui refait, inquiet, le compte des traites à payer,  le médecin urgentiste harassé par ses nuits de garde et le taulard, comme tous les autres, en permission d’espérance…


Au premier rang,  il y a les enfants rieurs et complices, qui ouvrent leurs grands yeux et n’en loupent pas une miette. Ils sont ébahis les enfants… C’est si simple Noël lorsqu’on l’accueille avec un cœur d’enfant !


Planqués derrière une botte de foin, il y a aussi quelques jeunes un peu distraits. Noël, ce n’est pas trop leur truc. Belle lurette qu’ils ne vont plus à la messe. Mais, ce soir, ils sont venus pour faire plaisir un peu aux parents, beaucoup aux grands-parents : c’est Noël tout de même ! 


Même s’ils ne le montrent pas, ils sont touchés par la lumineuse fragilité de ce petit, dont, depuis des siècles, les croyants disent qu’il serait le propre fils de Dieu. 


Mais y croient-ils vraiment les « croyants » à cette incroyable nouvelle ? Devant l’immensité du mystère, ne faudrait-il pas, plus humblement, plus simplement, plus justement, les appeler, plus modestement, les…« espérants » ? Oui, pourquoi ne pas plutôt les nommer les « espérants » ? Car « l’espérant » espère : il ne « sait » pas. Il tâtonne « l’espérant » et ne brandit pas de certitudes sur un Dieu que, franchement, il connait à peine.  Il marche si souvent à la lisière du jour, « l’espérant », toujours un peu à la frontière du doute, « l’espérant », tant sa foi est hésitante, tremblotante comme une flammèche à l’orée d’une crèche à Noël, où la foule bigarrée des santons se presse et s’incline devant l’insondable mystère d’un Dieu qui se fait homme. 


Un Tout Puissant qui, loin des images hautaines et sévères dont on l’affuble, vient naître, nu et fragile, dans les bras tendres d’une femme. 


Alors, parmi les santons, surgit une lancinante question, une « espérante » question : et si, malgré l’âpreté du dur métier de vivre, tout cela était vrai ? 


Et si Noël était bien plus qu’une jolie histoire emmaillotée dans un folklore empli de guirlandes multicolores ? 


Et si Dieu avait vraiment choisi, depuis le premier Noël de l’histoire, de venir naître dans la pénombre de nos vies, marchant devant, en éclaireur, vers notre propre joie ? 


Et si l’ange de la Bible, l’envoyé du ciel avait dit vrai : « Ne craignez pas car voici que je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tous. » 


Et si l’Éternel, l’immense auteur du livre de la vie  était  réellement venu naître parmi nous, avec ce projet fou de… nous mettre au monde ?


Regardons-le, blotti entre Marie et Joseph, ce minuscule santon d’argile qui nous tend les bras, au beau milieu de la crèche brinquebalante de notre vie.


Oui, contemplons-le cet enfant venu donner souffle à notre rugueuse glaise humaine et donner visage à ce Dieu très haut soudain si proche. 


Même s’il ne parle pas encore, Jésus, déjà, nous murmure à l’oreille : « N’aie pas peur, je suis à tes côtés, tu peux t’appuyer sur moi, je t’offre bien plus que l’or, l’encens et la myrrhe. Je t’offre l’espérance… »


Même s’il est encore petit, ce Fils de Dieu est déjà fort et solide, qui vient remettre notre cœur et le monde à l’endroit. 


Un Dieu qui disperse les superbes.

Un Dieu qui renverse les puissants de leur trône.

Un Dieu qui élève les humbles. 

Un Dieu qui comble de bien les affamés. 

Un Dieu qui renvoie les riches les mains vides. 


Regarde-la bien, ami, cette douce lumière de la crèche : c’est une flamme fragile qui pourtant déjà  se fait promesse d’un feu ardent. Lumière pascale qui, déjà à Noël, vient  réchauffer les nuits obscures des hommes et des femmes de ces temps bouleversés.


Oui, ami, laisse-toi guider par cette flamme furtive qui tremblote en cette nuit de Noël où, toi et moi, nous avons rendez-vous avec la joie. 


Une joie imprenable. 

Une joie plus forte que la peur. 

Une joie« malgré tout ». 


Oui, ami, « Voici la nuit,
La sainte nuit qui s’illumine… »

Voici l’Amour qui vient… si nous le laissons naître…



(c) Bertrand Révillion

19.12.20

NOËL MALGRÉ TOUT


 Méditation pour le 4ème dimanche de l'Avent

Voici que, dans un contexte particulièrement blessé cette année, notre « traversée » vers Noël déjà  s’achève. 

Dieu va surgir et les textes de ce dernier dimanche de l’Avent viennent nous rappeler une vérité spirituelle fondamentale : c’est Lui qui vient vers nous, c’est Lui qui choisit de nous rejoindre, c’est toujours Lui qui fait le premier pas vers nous. 

Le roi David est fier d’avoir bâti un temple pour le Seigneur, mais Dieu lui rappelle que c’est Lui qui construit le véritable temple du Royaume. 


Souvent, dans notre vie spirituelle, nous voudrions faire des projets, tenir la carte routière de notre propre itinéraire de croyant. Nous rêvons que les choses se passent comme nous les avons imaginées, confondant notre propre désir avec celui du Très Haut. Et Dieu, toujours, nous déroute : Il surgit là où nous ne l’attendons pas, Il nous propose un chemin que nous n’aurions pas spontanément choisi. Parfois plus ensablée…


L’attitude spirituelle féconde est alors celle de Marie. Sans doute est-elle surprise par l’annonce de l’ange qui ne correspond pas à ses projets. Mais elle accepte de se décentrer de son propre désir pour laisser grandir en elle le désir de Dieu. Elle se rend disponible : « Voici la servante du Seigneur. »

Faire, moi-aussi, en marchant vers Noël, ce fécond travail spirituel : me décentrer de moi-même pour laisser le désir de Dieu s’enfanter en moi ; laisser le Seigneur me  mettre au monde selon « Sa » Parole. 

Même si cet enfantement est – particulièrement en ces temps troublés – difficile. 


« Il nous faut réconcilier quête du bonheur et rudesse du chemin, confie le prêtre et écrivain, Gabriel Ringlet. La blessure ne s’oppose pas à la joie ».


(c) Bertrand Révillion

 

12.12.20

LA JOIE MALGRÉ TOUT...

 Méditation  pour le 3ème Dimanche de l' Avent (B) - 13 novembre 2020



Ce 3ème dimanche de l’Avent est traditionellement appelé le « dimanche de la joie », « gaudete » en latin. 


« Soyez toujours dans la joie », exhorte Paul dans sa lettre aux Thessaloniciens.


Cette invitation n’est pas toujours simple à entendre car la vie n’est elle-même pas simple, qui traîne dans son sillage son inévitable lot de blessures…


Cette année, sans doute plus que d’autres, la demande de l’Apôtre est rude à entendre, peut-être même inaudible à beaucoup d’entre nous en raison du caractère particulièrement dramatique de la crise sanitaire qui frappe tant d’hommes et de femmes sur notre planète.


Alors, oui, la question se pose, dans toute son arridité : 


Comment oser proclamer « Réjouis-toi ! » à un monde comme le nôtre, dans le contexte qui est le nôtre actuellement ?


Quelle est donc cette « joie » à laquelle nous convoque l’Évangile ? 

Une joie qui résisterait à la dimension tragique de l’existence ? 

Une joie imprenable ?


Dans son désert, Jean-Bapstiste a peut être trouvé la voie étroite qui mène, malgré tout, à cette joie.


Sa propre vie est blessée, il souffre de crier dans le désert, de ne pas être entendu. Il aimerait tant  sortir ses contemporains de la superficialité et des infidélités dans lesquelles ils s’embourbent. Son désir ardent de faire découvrir Celui qui doit venir, va le mener d’abord en prison, puis à la mort…


Destin tragique que celui du Baptiste.


Mais, étrangement, malgré sa « sainte colère », et son échec apparent, Jean-Baptiste est un homme profondément heureux, habité d’un bonheur qui rend libre, d’un bonheur qui n’efface certes pas le malheur, mais qui voit, par delà la douleur de vivre, l’horizon d’une Promesse.


Comme tous les grands prophètes d’Israël, Jean sait que Dieu est fidèle et que si l’espoir semble impossible à envisager à hauteur d’homme, l’Espérance est malgré tout promise.


Et, dans la solitude de son « désert », Jean découvre progressivement que cette Promesse est déjà réalisée, que l’Espérance est déjà là. 


Il l’affirme à la foule : « Au milieu de vous se tient Celui que vous ne connaissez pas… »


Réfléchissons un peu à cette affirmation qui remplit Jean d’une joie secrète : « Au milieu de vous se tient Celui que vous ne connaissez pas ».

 

C’est comme si le Baptiste voulait nous indiquer l’adresse du vrai bonheur, de la joie authentique ! 


Il y a peut-être trois manières d’entendre cette phrase. Peut-être Jean est-il en train de nous indiquer trois « adresses » du bonheur ? 


Trois grandes joies à redécouvrir en ce temps de l’Avent, si particulier cette année ? 


- La première joie, c’est la joie de l’intériorité. 


Lorsqu’il affirme qu’il y a « au milieu » de nous, quelqu’un que nous ne connaissons pas, le Baptiste nous convie à « l’aventure intérieure », au secret dialogue avec nous-même, à la méditation. 


Au milieu de nous, c’est à dire au plus profond de notre cœur, se tient le secret de la joie. 


Car nous sommes – ne l’oublions pas – le temple de l’Esprit : c’est en nous que Dieu a dressé sa tente. 


Un grand mystique du 17ème siècle, Angélus Silésius, l’écrivait déjà : 


« Arrête, où cours-tu donc ? Le ciel est en toi ; et chercher Dieu ailleurs, c’est le manquer toujours… »


Vivre l’Avent, c’est donc nous donner les moyens et le temps de l’écoute intérieure. 


Nous faisons habituellement tellement de bruit avec nous-même, nous sommes tellement habités de confusions, tiraillés par des désirs contradictoires, tenaillés par tant de peur et de tristesse que Dieu, en nous, n’a plus la parole, il est comme bâillonné, muselé. 


L’Avent, c’est l’art de s’asseoir, l’art de s’arrêter pour écouter l’Esprit qui, tel le secret murmure d’une brise légère, parle en nous. 


Si, dans quelques jours, nous voulons réellement voir naître – malgré tout – le Christ dans nos vies, nous avons à pratiquer l’art de l’écoute intérieure. 


Il nous faut, en ce temps de l’Avent, entendre le conseil que Saint Bernard donnait à ses moines : 


« Tu désires voir ? Ecoute d’abord ! »


- La seconde joie, dont le Baptiste nous donne l’adresse, c’est la  joie de la communauté. 


Lorsque Jean affirme que se tient « au milieu de nous » Celui que nous ne connaissons pas, il nous dit aussi que le Christ se trouve « parmi nous », c’est-à-dire au beau milieu de notre communauté chrétienne. 


L’Eglise n’est pas une simple réunion d’adhérents à une association ; l’Eglise, en formant communauté, révèle le visage de Dieu. 


C’est au beau milieu de la foule des disciples de Jean le Baptiste que, soudain, Jésus apparaît. 


Comme si cette communauté d’hommes et de femmes en attente et en désir de conversion permettait soudain la révélation du fils de Dieu, comme si la communauté donnait soudain, par le simple fait de son rassemblement, visage au Christ ! 


Autrement dit, nous avons, dans notre marche vers Noël, impérativement besoin les uns des autres. 


Car l’autre que je rencontre dans la communauté chrétienne est l’icône vivante, le livre ouvert où je peux lire la trace de Dieu en ce monde. 


Vivre l’Avent, c’est se nourrir de cette grâce de la communauté – même si la situation actuelle limite et blesse notre désir de rencontre – dans laquelle Dieu nous parle à travers l’autre.


Cherchons les voies, inventons les sentiers pour vivre, malgré tout, cette grâce d’une communauté qui, quelques soient les techniques utilisées, n’est jamais « virtuelle »…


- La troisième joie, c’est la joie de la solidarité. 


Car, en annonçant que Dieu vient « au milieu de nous », le Baptiste affirme une autre vérité : le Christ se tient aussi « au milieu de ce monde », au milieu de notre société, même si celle-ci l’ignore ou le rejette. 


Voilà la grande nouvelle de Noël : Jésus n’est pas assigné à résidence dans nos églises, bien protégé par nos tabernacles ! 


La grande nouvelle de Noël, c’est que Dieu n’est pas réservé aux seuls « pratiquants » plus ou moins réguliers mais qu’il vient naître en pleine humanité, en plein cœur des pauvretés et des fragilités de ce monde. 


Le lieu de sa révélation, c’est ce monde-ci, tel qu’il est. Même blessé. Surtout blessé. 


L’incarnation, c’est un Dieu qui se fait pauvrement homme parmi les hommes pauvres, c’est un Dieu fragile qui vient habiter les fragilités humaines. 


La grande joie de Noël, c’est que Dieu vient habiter pleinement notre condition humaine blessée, qu’il vient, comme un baume, soigner et consoler. 


La grande, l’immense joie de Noël, c’est que Dieu vient naître sur la paille de nos fragilités, c’est que Dieu vient s’immiscer dans le précaire de nos vies pour mieux être « Notre Père ».


Il nous faut d’urgence mettre en pratique cette grâce de la solidarité, il nous faut, comme nous y invite le prophète Isaïe, « porter la bonne nouvelle aux pauvres, guérir ceux qui ont le cœur brisé, annoncer aux prisonniers la délivrancse, et aux captifs la liberté ».


Voilà, les trois grandes joies, les trois grandes grâces à vivre en ce temps de l’Avent. 


« La seule vraie preuve de l’existence de Dieu, c’est la preuve par la joie », disait  l’écrivain Gilbert Cesbron. 


© Bertrand Révillion

Illustration : ange souriant cathédrale de Reims

27.11.20

UN CHRIST A MAINS NUES

 Méditations pour le dimanche du Christ Roi - 22 novembre 2020



Nous fêtons ce dimanche, pour clore l’année liturgique, la fête du « Christ Roi de l’univers ». Une solennité relativement récente que nous devons à un pape, Pie XI, qui l’instaura en 1925. Elle fut d’abord célébrée avant la Toussaint et, depuis la Réforme liturgique de 1969, se trouve désormais placée juste avant le 1er dimanche de l’Avent.

Mais qui est-il ce « Roi » qu’on nous invite à célébrer ?
Curieuse description, en effet, qui nous est faite de cet étrange monarque sans domicile fixe, qui crève de faim, de soif, de maladie et de froid au coin de la rue de notre propre existence…
Tout se passe comme si, une fois encore, l’Évangile cherchait à nous éviter de sombrer dans le malentendu.
Un malentendu qui dura pendant toute la vie publique de Jésus.
Opprimé, soumis au joug de l’occupant romain et à la fourberie servile des « collabos » issus de ses propres rangs, une bonne part du peuple juif attendait un libérateur, un chef de la résistance, un monarque puissant enfin capable de le débarrasser manu militari de l’envahisseur.
Et voici que le Dieu des armées apparaît… désarmé !
Voici que ce Jésus, dont on murmure qu’il est le Messie, s’avance dans la foule sans munition, ni légion, sans autre pouvoir que l’extrême douceur de son regard.
Un Christ à mains nues ; des mains au beau milieu desquelles se dessine déjà l’ombre sanglante des clous !
Scandale absolu d’un Messie sans pouvoir temporel, d’un Fils de Dieu bientôt pendu nu au gibet de la croix comme un simple malfrat.
Scandale dont nous ferons bientôt mémoire à Noël où Dieu naît sur la paille, pauvre rejeton improbable de l’illustre lignée royale de David.
Oui, Frères et Sœurs, juste avant de nous ouvrir les portes de l’Avent, l’Écriture vient sans trop de ménagement nous remettre les idées en place…
Le Christ qui va venir n’est pas celui que, bien souvent, nous attendons !
Où, plus exactement, il ne va pas venir « comme » nous l’attendons.
Il ne va pas être conforme aux idées que nous nous faisons de lui !
Il ne va pas ressembler à toutes les projections psychologiques, sociales, religieuses, politiques dont nous le fardons si souvent.
Le « roi » qui va naître, va, dès les premières secondes de sa naissance, nous échapper ; échapper à toutes nos tentatives visant à l’assigner à résidence dans l’étroite conception que nous nous faisons de lui.
Notre « roi » va commencer, en naissant dans une étable, par briser l’idée que nous nous faisons de son « Royaume ».
Le « Très haut » va naître au plus bas, à ras de terre, à même le sol terreux de notre condition humaine.
La seule manière que notre « Roi de l’univers » va trouver pour prendre de la hauteur, c’est de s’enfouir, nouveau né fragile et nu, dans la glaise râpeuse de notre humanité.
Sa seule démonstration de force va consister à mettre genou à terre devant l’homme pour, comme un esclave, lui laver les pieds !
Et les premiers témoins de son avènement et de son « couronnement » qui feront révérence devant lui seront ces mystérieux mages et leur bien symboliques cadeaux, parmi lesquels la Myrrhe qui servait à embaumer les morts !
Comme si, dès sa naissance, il fallait déjà annoncer que ce roi-là n’aurait pour trône final que la croix du supplice.
Ah, le voici notre « grand Roi » qui vient briser, comme des idoles d’argile, toutes les fausses images que nous avons de lui.
« Il faut, disait le philosophe Gustave Thibon, marcher vers Dieu, de ruine en ruine, à travers les éboulements successifs des images que nous nous faisons de Lui. »
Alors, vivons cette fête du Christ roi comme un appel à purifier, élaguer, convertir notre regard sur le Christ qui va venir.
Cessons de faire semblant d’avoir des certitudes sur Dieu !
Dieu va venir en nous si nous le laissons naître en nous, comme bon lui semble, et pas comme nous en forgeons le projet.
Dieu va venir en nous si nous le laissons nous surprendre, utiliser des chemins de traverse qui n’étaient pas a priori dans nos plans.
Dieu va exaucer nos prières, mais sans doute pas comme nous attendons qu’il le fasse…
Dieu est toujours autre que ce que nous voudrions qu’il soit pour nous.
A la table d’ Emmaüs, dès que les deux disciples le reconnaissent, il disparaît à leur regard : on ne met pas la main sur l’Éternel !
Pilate lui-même n’y comprendra rien : lorsqu’il demande à Jésus : « Es-tu le Roi des juifs ? », sa question est avant tout politique. Il craint un séditieux, un chef de clan, un agitateur, un zélote qui fomente un soulèvement, une guerre ou une révolte.
Et le Christ lui renvoie une question essentielle, majeure qu’il nous faut à notre tour entendre : « Dis-tu cela de toi-même, ou bien parce que d’autres te l’on dit ? »
Voilà la bonne question !
Que disons-nous de nous-même, par nous-même du Christ ?
Comment passons-nous de ce que d’autres nous en ont dit, transmis, enseigné, à ce que nous en disons nous-même ?
Être disciple, ce n’est pas uniquement adhérer à des dogmes et réciter des articles de catéchisme. C’est oser une parole personnelle, intime sur Jésus. Oser se risquer à répondre par soi-même à la question du Christ : « Et toi, qui dis-tu que je suis ? »
Voyez-vous, Frères et Sœurs, je crois que c’est ce à quoi nous appelle notre baptême : vivre jour après jour avec cette question : « Qui est Jésus ? »
Être baptisé, c’est être plongé dans cette question : « Pour toi, qui est le Christ » ?
Comment s’incarne dans ta vie familiale, conjugale, amicale, professionnelle, ecclésiale, sociale la « royauté » du Christ ?
Comment le laisse-tu faire de ton existence son propre « royaume » ?
Comment le laisses-tu naître dans l’étable encombrée et poussiéreuse de ton propre cœur ?
Comment laisses-tu sa Parole venir briser le malentendu qui si souvent t’empêche de l’écouter vraiment ?
L’Avent qui s’annonce est cette marche qui nous est justement offerte pour sortir du « mal entendu » et de notre surdité spirituelle.
Je songe en évoquant cette fête du Christ Roi, à un grand roi de la Bible : Salomon.
Alors qu’il est encore un tout jeune homme et qu’il va être intronisé roi, Dieu lui dit en substance : « Demande-moi ce que tu veux et je te le donnerai ».
Salomon réfléchit. Il ne réclame pas le pouvoir, la puissance militaire, la gloire, la fortune… Il fait à son Dieu cette demande surprenante :
« Donne-moi un cœur qui écoute ! »
Eh bien Frères et Sœurs, voici un joli programme pour laisser advenir en nous le Royaume du Christ à mains nues !
Oui, demandons au Seigneur de nous donner un cœur qui écoute, qui se laisse surprendre, déplacer, émouvoir, convertir.
Un cœur ouvert aux autres, à commencer par ces affamés, ces assoiffés, ces malades, ces prisonniers, ces étrangers en qui le Christ nous attend et nous espère…
« Alors le roi leur répondra. Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. »
© Bertrand Révillion

9.8.20

UNE VOIX DE FIN SILENCE...

Méditation pour le 19ème Dimanche TO A / 9 Août 2020


Nous ne savons pas ce qui s’est réellement passé durant cette nuit de tempête sur le lac de Tibériade.

Au soir de la multiplication des pains, Jésus, après avoir renvoyé la foule, invite ses disciples à aller sur l’autre rive du lac tandis que lui ira prier, seul, sur la montagne. Il les rejoindra plus tard…

Par ce passage sur « l’autre rive », il s’agit d’abord de se soustraire à la foule galvanisée par ce spectaculaire miracle (que nous évoquions dimanche dernier) par lequel Jésus a nourri plus de 5.000 hommes.

Une foule qui, une fois encore, se trompe sur Jésus, croyant voir en lui un leader politique aux pouvoirs terrestres qui pourra enfin restaurer la dignité perdue d’Israël.

C’est dans ce contexte de méprise sur l’identité du Christ que se déroule l’épisode que nous venons d’entendre.

Jésus, défiant les lois les plus élémentaires de la physique apparaît aux disciples en marchant sur les flots déchainés alors qu’ils se terrent, tétanisés, au fond de leur barque, littéralement submergés par une gigantesque trouille !

S’agit-il d’une « vision » comme la Bible en compte de nombreuses ?
S’agit-il d’une scène « réelle » ?
Jésus a-t-il vraiment marché sur l’eau ?
Nous ne le savons pas…

Et, très franchement, je crois que là n’est pas la question.

Matthieu ne nous invite pas à prendre ce récit au pied de la lettre mais d’abord à en comprendre la portée symbolique.

Un juif pieu de l’époque de Jésus, pétri de culture biblique, lorsqu’il entend cette histoire, fait immédiatement le lien avec d’autres récits. À commencer par cet épisode de l’Exode où le peuple hébreux, poursuivi par l’armée de Pharaon voit, à l’invitation de Moïse, la mer s’ouvrir devant lui avant que les flots ne se referment et engloutissent les poursuivants égyptiens.

L’homme de l’époque, façonné par la Bible, comprend que la mer déchainée symbolise la mort et qu’en nous racontant que Jésus « marche » sur les flots, Matthieu cherche d’abord à nous faire comprendre que Jésus est plus fort que la mort, qu’il n’a même pas besoin, comme dans l’épisode de la mer rouge, que les flots s’écartent mais qu’il peut marcher directement sur eux, c’est à dire fouler au pied la mort, ne pas se laisser engloutir par elle.

Ultime précision, au cas ou nous n’aurions pas encore bien compris, le texte mentionne que c’est « à la fin de la nuit » que Jésus rejoint ses disciples apeurés.
Plus de doute possible : il s’agit d’une claire allusion au matin de Pâques où Jésus a gagné le combat contre le naufrage de la croix.

Comme souvent dans l’Évangile, ce récit de miracle invite donc les disciples – et nous avec eux ! –, à « passer sur l’autre rive… », c’est-à-dire à littéralement changer de point de vue, à ne pas rester enfermés dans une conception figée d’un Dieu qui ressemblerait trop à nos propres désirs.

Un Dieu dont la toute puissance se plierait aux injonctions de notre propre volonté…

Ce Dieu « roue de secours » auquel nous ne pensons qu’en cas de « crevaison » et que nous ne sollicitons que pour tenter d’échapper aux tempêtes de notre condition humaine.

Lisons attentivement notre passage d’Évangile. Il ne nous est pas dit que Jésus, d’un claquement de doigt, fait cesser la tempête et se lever immédiatement le jour.

Il ne vient pas supprimer la trouille des disciples confinés dans le fond le leur barque en leur épargnant d’avoir à traverser les nuits et les bourrasques inévitables de leurs existences fragiles.

Le Christ n’est pas un magicien qui supprime la peur et la douleur. Il vient se situer, solidaire des disciples – solidaire de chacune et chacun d’entre nous ! –, au cœur des éléments déchaînés…

Pierre est courageux : en sortant de la barque, il prend un risque certain et témoigne d’une vraie confiance en Jésus. Mais peut-être que, lui-aussi, se méprend sur le Christ et se trompe de Dieu. Il est persuadé que Jésus va immédiatement supprimer la tempête et le préserver de la peur.

Il veut un Christ qui ressemble à son désir. Un Dieu fort qui le sauve à la manière dont lui, Pierre, souhaite être sauvé.

Mais « les pensées de Dieu ne sont pas nos pensées » !

Il faut que Pierre commence à s’enfoncer dans la vase du doute pour qu’il prenne enfin conscience qu’il lui faut accepter le bras fort et secourable d’un Dieu « sauveur » mais pas « magicien ». Un Dieu qui ne le sort pas de sa condition humaine fragile et blessée. Mais qui vient au contraire la rejoindre et l’habiter. Jusqu’à la croix…

Joie indicible de Pierre qui laisse enfin le Christ monter à bord de sa vie pour en tenir doucement le gouvernail ! Alors, mais alors seulement « le vent tombe »…

***

C’est aussi la forte expérience spirituelle que fait, comme nous le raconte notre première lecture, le prophète Elie.

Lui aussi s’est d’abord mépris sur Dieu, l’enfermant dans l’image d’un Dieu vainqueur, tout puissant et omnipotent.

Emporté par son zèle à défendre le Dieu unique et à combattre le paganisme de la reine Jézabel, il vient de faire massacrer pas moins de 400 prêtres de ce culte païen. Poursuivi, épuisé, déboussolé, il s’envase dans la culpabilité et la déprime. Et fait l’expérience d’une grande désolation intérieure.

Comme Pierre, il lui faut, lui aussi passer sur une « autre rive » de la foi.

Dans la solitude de sa caverne de l’Horeb, relisant ses errements passés, il voit sombrer un à un les oripeaux des fausses images d’un Dieu vengeur qu’il s’est forgé.

Passe un ouragan, mais Dieu n’est pas dans l’ouragan.
Passe un tremblement de terre, mais Dieu n’est pas dans le tremblement de terre.
Passe un grand feu, mais Dieu n’est pas dans le feu.

Alors que le silence revient, Dieu se manifeste dans « le murmure d’une brise légère », une « voix de fin silence » dirait une autre traduction plus poétique...

Voici que se manifeste un Dieu discret, déshabillé des accoutrements de la toute puissance.

Pour Élie c’est « le monde à l’envers » !

Mais – pourrait-on dire – Dieu enfin à l’endroit !

Voici que le grand prophète ne « sait » plus qui est Dieu…

C’est, paradoxalement, ce « non savoir » sur Dieu enfin accepté qui va ouvrir le chemin de la rencontre.

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En conclusion de notre méditation, retenons, Frères et Sœurs, au moins 3 enseignements de nos lectures de ce matin :


1- Dieu vient à notre rencontre, par des chemins qui souvent nous échappent si, enfin conscient de notre fragilité, nous osons, comme Pierre, crier vers lui : « Seigneur, sauve moi ! »

2- Dieu se donne à « entendre » à l’oreille de notre cœur, si nous luttons contre le vacarme incessant qui nous empêche d’entendre en nous sa « voix de fin silence ». Prier, c’est d’abord se taire !

3- Dieu se dévoile si, pour une part, nous acceptons de le laisser briser les fausses images que nous nous forgeons de Lui. La foi devient alors cette « ignorance lumineuse » magnifiquement évoquée par l’écrivain Jean Sulivan.

© Bertrand Révillion