Méditation pour le 2ème
dimanche de Carême Année C 17 mars 2019
Comme vous, sans doute, je me suis souvent
demandé ce qu’ont « réellement » bien pu voir Pierre, Jacques et Jean
sur cette montagne que le Christ les a invités à gravir ?
Oui, qu’ont-ils vu qui les a tant bouleversés
?
Mystère !
Ce qui est certain, c’est qu’ils ont fait ce
jour-là une expérience spirituelle tout à fait exceptionnelle.
Contemplons la scène…
L’événement se déroule sur une
« montagne ». Attention, premier indice ! Lorsque la Bible situe
une scène sur une montagne, il ne s’agit pas d’une simple précision
topographique. Il s’agit souvent de nous alerter, de nous prévenir qu’une
parole importante va être prononcée, qu’un geste important va être posé…
Songeons à Moïse sur le mont Sinaï, à Elie
sur l’Oreb, au Christ lui-même sur le mont des Béatitudes…
Notre passage d’Évangile précise également
que les disciples sont « accablés de sommeil ». Attention, deuxième
indice ! C’est souvent de nuit, par des
songes, que Dieu vient murmurer à l’oreille du cœur de grandes vérités et
d’impérieux appels…
Rappelons-nous l’épisode de la vocation du
jeune Samuel, pensons aussi à Joseph à qui l’ange parle…
En donnant tous ces détails, Luc, en bon
pédagogue, nous avertit : ce qui se déroule ici sur cette montagne est
d’une extrême importance.
En « apparaissant » aux côtés de
Jésus, Moïse symbolise la Loi et Elie, les prophètes. Autrement dit, c’est toute
l’histoire de la Révélation qui est donnée à relire, dans un raccourci saisissant.
Cette « vision » vient annoncer aux
disciples ce qu’ils n’osaient espérer : cet homme nommé Jésus, ce Rabbi
avec qui ils cheminent, cet enfant de Nazareth, est bien le Fils de la Divine Promesse,
le Messie tant attendu !
Le cœur brûlant de joie, les disciples sont
pris d’un réflexe bien humain : « dressons trois tentes », lance
Pierre avec ferveur, sans se rendre compte qu’il vient de proférer une grosse
bétise.
« Plantons trois tentes »,
autrement dit restons ici sur cette montagne, près du « ciel », loin
du monde, confortablement éloignés de ses blessures, de ses appels au secours,
et de la Passion qui, déjà, s’annonce…
Oui, tentation bien humaine de nous replier
dans une pratique religieuse qui nous ferait fuir le monde.
La prière comme mol édredon !
La foi vécue comme repli, bien à l’abri des
complexités de la modernité.
Croire pour se « tirer » en douce d’un
monde qui nous inquiète, faire de l’Église une citadelle aux portes
verouillées, une contre-société, une contre-culture, une sorte de château
cathare planté au plus loin de la vie des hommes et des femmes de ce temps, et
de leurs appels…
Mais, notre passage d’Évangile n’y va pas par
quatre chemins et nous alerte clairement :
« Planter trois tentes », c’est… se
planter !
Oui « se planter », se tromper,
s’égarer spirituellement.
Rester sur la montagne, c’est ne rien
comprendre à l’appel du Christ. Car une expérience spirituelle qui nous ferait
rêver d’une vie hors du monde, ne serait tout simplement pas chrétienne !
« La religion n’est pas quelque chose pour jouir d’un petit
coin tranquille » disait Édith Stein…
Il n’y a pas d’agenouillement possible devant
le saint sacrement, sans, du même mouvement, agenouillement devant nos frères
et sœurs, et d’abord celles et ceux qui souffrent.
Dans l’hostie, la présence au monde est
l’autre face de la présence réelle…
La vie spirituelle chrétienne ne peut être
qu’un perpétuel mouvement de montée et de descente, d’ascension et d’enfouissement.
Il nous faut allier « lutte et
contemplation » disait Frère Roger de Taizé.
Le seul chemin qui s’offre à nous pour nous
approcher du « Très Haut » est de marcher à la suite du « Très
Bas », au plus près des combats humains.
Oui, il nous faut allier prière et action,
intériorité et engagement, lutte et contemplation.
En christianisme, on ne monte sur la montagne
que pour mieux en redescendre. L’Église n’est vraiment l’Église, non pas à
l’écart, mais au cœur du monde.
A la fin de la messe, il ne nous est pas
dit : « restez ici, bien au chaud, dans la paix du Christ » mais
« allez porter cette paix au cœur du monde ».
Le premier oratoire où le Christ nous attend,
c’est l’homme !
Certains mystiques décrivent la vie
spirituelle comme une échelle ; non pas une échelle que l’on monte, mais
qu’il nous faut descendre, degré après degré, vers toujours plus d’humilité, à
raz de terre, au plus proche de la vie des hommes, même si l’ombre de la croix
y plane.
C’est sans aucun doute au mont du Golgotha
que le Christ fut le plus haut…
Alors, retenons de cette scène de la
Transfiguration, trois enseignements de carême :
-
Premièrement, prenons, à
l’invitation de Jésus, le temps de nous mettre à l’écart sur la
« montagne ». Ne craignons pas de nous abstraire un peu du quotidien,
pour aller prier avec le Christ.
-
Deuxièmement, laissons le Christ nous
réveiller, comme il l’a fait avec ses disciples, nous tirer de toutes nos
léthargies spirituelles et purifier notre foi, souvent tentée par la peur et le
replis.
-
Enfin, notre foi revivifiée,
écoutons-le nous inviter à ne pas nous installer, mais à redescendre dans les
vallées humaines où nous avons à offrir aux hommes et aux femmes de ce temps, nos
visages transfigurés par la joie de la foi.
Oui soyons persuadés, quelles que soient nos
errances et nos doutes, quelles que soient les « nuits obscures » que
traverse l’Église, qu’elle brille déjà sur nos visages la douce lueur de
Pâques !
© Texte B. Révillion / Image "Christ priant" Arcabas
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire