24 décembre 2016 Année A
C’est une jolie
crèche peuplée de jolis santons de Provence, délicatement peints à la main.
Une jolie
crèche qu’on se transmet de génération en génération…
Rien ne
manque. Il y a le bœuf et l’âne, les moutons, la paille, la mangeoire drapée de
foin, et là-haut dans son ciel, l’étoile tremblotante qui, comme un phare,
veille.
Ils sont
tous là les santons : les petits, les grands, les neufs, les craquelés, les
rafistolés; tous modelés dans cette chaude terre rouge provençale. Ils
s’approchent, dans la nuit noire de décembre, aimantés par les premiers
sourires de ce mystérieux nouveau-né.
Il y a
Joseph qui s’agite et s’inquiète pour sa femme et le petit qui, tous deux,
risquent de prendre froid.
Il grogne
dans sa barbe Joseph contre ce fichu aubergiste qui n’a pas voulu les laisser
entrer, et leur trouver une petite place au chaud.
Il s’est
méfié l’aubergiste : qui était donc ces réfugiés ? D’où venaient-ils ?
Avaient-ils seulement des papiers en règle ? Partageaient-ils la même
religion ? Et si la police
débarquait, ne serait-il pas lui-même
jugé complice de leur avoir accordé le droit d’asile ? Alors, confondant
prudence et trouille, il a fermé sa porte, l’aubergiste. A l’heure qu’il est,
il regarde « Plus belle la vie », à la télé, ou il dort déjà, sous la
couette duveteuse de son indifférence, bien au chaud. Peinard l’aubergiste !
Il y a les
bergers un peu en retrait, hirsutes dans leurs grandes capes noires qui ne sentent
pas vraiment la rose. On ne les aime pas beaucoup, les bergers. Ils ont mauvaise
réputation, un peu voleurs, un peu picoleurs, un peu louches. Des marginaux
sans domicile fixe. Les braves gens - qui
n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux - s’en méfient. Mais Joseph leur sourit. Alors
ils osent timidement s’approcher.
Qui aurait
dit que les premiers visiteurs en cette
sainte nuit de la Nativité ce seraient eux, les déclassés, les refoulés, les
bafoués ?
Près de la
porte de la grange, il y a cet homme courbé, la cinquantaine, qui roule sa
casquette dans ses mains et qui rase un peu les murs, gêné : depuis 3 ans
qu’il pointe à « Pole Emploi », il a les poches vides : même pas
de quoi acheter un cadeau au petit. C’est au tour de Marie de lui sourire,
alors il s’enhardit et vient s’agenouiller, près d’elle et de l’enfant.
Comme eux,
sur la paille !
Il y a cette
jeune femme qui sort de l’hôpital, la tête enturbannée dans un foulard. Elle
regarde, émue et attendrie, Marie donner le sein au petit.
Il y a le
grand-père blagueur et, perché sur ses épaules, son petit-fils qui se mare en
lui chatouillant les oreilles.
Il y a le
jeune couple d’amoureux, qui se tient par le cœur et qui rêvent déjà à ce
mariage radieux, annoncé pour juillet.
Il y a la
« famille catholique ». Ah, la famille catholique, ses 5 enfants
élevés dans les meilleures écoles, tous biens sages à la messe le dimanche. Elle
fait un peu envie, la famille catholique prétendument idéale ! Elle la
ramène même parfois un peu, la famille « bien comme il faut ». Mais
souvent, elle donne le change, et cache derrière ses volets clos, petits
tracas ou grandes blessures… Comme tout le monde !
Il y a, un
peu dans l’ombre, cette autre femme qui tient la main à sa propre
solitude : un méchant divorce dont elle peine à se relever. Mais, ce soir,
dans le chaos de sa vie bouleversée, elle a l’intuition que la douce lumière qui
émane de la crèche brille pour elle.
Oui, elle en
est sûre, « le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une
grande lumière ; sur les habitants du pays de l’ombre, une lumière a
resplendi » !
Ils sont
tous là, les assoiffés de lumière : le SDF frigorifié, le cadre tout juste
sorti du bureau qui desserre sa cravate, l’étudiant encore groggy par la
surchauffe des partiels, la prostituée, le sans-papier, le jeune handicapé dans
son fauteuil, le reporter de retour de l’enfer d’Alep, le taulard en permission
d’espérance…
Au premier
rang, il y a les enfants rieurs et
complices, qui ouvrent leurs grands yeux et n’en loupent pas une miette. Ils
sont ébahis les enfants…
C’est si
simple Noël lorsqu’on l’accueille avec un cœur d’enfant !
Planqués
derrière une botte de foin, il y a aussi quelques jeunes un peu distraits. La
célébration de Noël, ce n’est pas trop leur truc. Il y a bien longtemps qu’ils
ne vont plus à la messe. Mais, ce soir, ils sont venus pour faire plaisir aux
parents : c’est Noël tout de même !
Même s’ils
ne le montrent pas trop, certains parmi eux sont secrètement touchés par la
lumineuse fragilité de ce petit dont, depuis des siècles et des siècles, les
croyants du monde entier disent qu’il serait le propre fils de Dieu. Tant de
gens à y croire, et depuis si longtemps… à cette incroyable nouvelle !
Un Dieu qui se
fait homme, un Tout Puissant qui, loin des images hautaines et sévères dont on
l’affuble, vient naître, nu et fragile, dans les bras tendres d’une femme.
Un Très-Haut
qui choisit de se faire Très-Bas, tout proche, tout aimant !
Un Dieu qui
vient semer sa tendresse en pleine glèbe humaine.
Alors, parmi
les santons, surgit une lancinante question : Et si c’était vrai ?
Et si Noël
était bien plus qu’une jolie histoire emmaillotée dans un gentil folklore empli
de guirlandes multicolores ?
Et si Dieu
avait pris, depuis le premier Noël de l’histoire, vraiment la décision de venir
naître parmi nous pour nous aider, chacune et chacun, à naître à notre propre
vie, marchant à nos côtés vers notre propre joie ?
Et si l’ange
de la Bible, l’envoyé du ciel avait dit vrai : « Ne craignez pas car
voici que je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour
tous. »
Oui, et si
tout cela était vrai ?
Et si Dieu,
l’immense auteur du livre de la vie, le créateur du ciel et de la terre, de la
mer, des montagnes, des arbres et des fleurs, du soleil et de la lune, de
l’homme et de la femme était réellement
venu naître parmi nous, pour nous mettre au monde de sa joie ?
Regardons-le,
blotti entre Marie et Joseph, ce minuscule santon d’argile qui nous tend les bras,
au beau milieu de la crèche brinquebalante de notre propre vie.
Oui, contemplons
cet enfant venu donner souffle à notre rugueuse glaise humaine et se faire
icône, présence aimante, Fils d’un Dieu éperdu d’amour et de tendresse.
Même s’il ne
parle pas encore, déjà Jésus murmure à l’oreille de notre cœur :
« N’aie pas peur, je suis à tes côtés, tu peux t’appuyer sur moi, je
t’offre bien plus que l’or, l’encens et la myrrhe. Je t’offre
l’espérance… »
Même s’il
est encore petit, ce Fils de Dieu déjà est fort qui vient remettre le monde et
nos cœurs à l’endroit.
Un Dieu qui disperse
les superbes.
Un Dieu qui
renverse les puissants de leur trône.
Un Dieu qui élève
les humbles.
Un Dieu qui
comble de bien les affamés.
Un Dieu qui
renvoie les riches les mains vides.
Un Dieu de
bonté qui a besoin de nous, de nos mains et de notre propre bonté pour
consoler, nourrir, loger, aider, pardonner, relever. Tout simplement
aimer ! Car Dieu, c’est l’autre nom de l’amour…
Regardons-la
bien, cette douce lumière de la crèche : c’est une flamme fragile, et
pourtant déjà la promesse d’un feu ardent qui couve et ne demande qu’à grandir,
en vous, en moi, en nous, pour réchauffer toutes les nuits glaciales de nos
frères et de nos sœurs en humanité.
Vivre Noël,
c’est croire que Dieu nous appelle à la joie imprenable. Celle du don, de la
réconciliation, de la paix et de la miséricorde.
Alors
laissons la joie du Christ qui nait venir réchauffer nos cœurs d’argile.
Laissons le
Dieu santonnier venir nous modeler l’âme.
Voici Noël
qui trace son improbable voie au cœur de nos ténèbres,
Noël en
nous, Noël autour de nous, Noël malgré tout.
Noël qui
nait si nous le laissons naître…
(c) Bertrand Révillion
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