1ère
Dimanche de Carême. 14 février 2016.
Année C
Quel est donc ce « désert » auquel nous convie le Carême ?
A quelle
« traversée » sommes-nous donc invités ?
Quel « combat »
avons-nous à mener et contre « qui » ?
L’épisode que nous venons
d’entendre se situe juste après le baptême de Jésus par Jean dans les eaux du
Jourdain.
Géographiquement, les deux
lieux sont voisins.
Comme si, au seuil de sa vie
publique, avant de se mettre à parler et à guérir, Jésus devait faire un
détour, traverser les eaux rêches et sèches d’un autre « baptême ».
Un baptême du feu, de lutte,
de faim et de soif.
Comme si la fécondité de sa
parole dépendait de cette traversée brûlante.
Comme si, pour murir, sa
vocation devait d’abord s’enfouir dans l’aridité rude du désert… « Si le grain ne meurt… »
Luc nous dit que Jésus fut, « pendant 40 jours, tenté par le
diable ».
En grec,
« diabolos » se traduit par « diviseur ». Le
« diabolos » est ce qui nous divise.
Il y a bien sûr, les
divisions entre nous, dans nos vies sociales, familiales, conjugales, amicales,
professionnelles, ecclésiales…
Mais il y a peut-être d’abord
ces « divisions » à l’intérieur de nous, ce cœur divisé, partagé,
blessé qui nous fait dire, si souvent, avec saint Paul :
« Ce que je veux, je ne la fais
pas ; et ce que je ne veux pas, je le fais ».
Oui, notre
cœur est si souvent divisé, partagé entre des désirs contradictoires :
- - nous voudrions
aimer mieux, mais nous ne nous donnons pas les moyens de changer.
- - nous voudrions
être davantage solidaires des plus fragiles, mais nous ne bougeons pas, ou si
peu.
- - nous voudrions prier
plus souvent, mais ne laissons pas de place à Dieu dans notre quotidien.
C’est à cela que nous convie
le désert de Carême : lutter contre nos divisions et tiraillements
intérieurs, ce « diviseur » qui nous sépare de nous-même, essayer
d’unifier notre désir, purifier nos faims et nos soifs si souvent cantonnées
dans l’avoir, si peu ouvertes à l’être.
Oui, le temps du désert,
c’est le temps du désir. Un temps où nous prenons le temps d’écouter enfin cette
« voix de fin silence » qui, en nous, nous appelle à devenir qui nous
sommes. A répondre enfin à la vocation de notre baptême.
Le temps du Carême, c’est le
temps où nous avons à travailler à notre libération et à notre unification.
On dit d’un homme sous
l’emprise du diable, qu’il est « possédé ».
Eh bien, le Carême, c’est le
temps de la dépossession où nous avons à couper, élaguer, émonder tout ces
chaînes qui nous empêchent de faire en nous l’unité.
Nous voici invités par
l’Esprit à purifier notre désir :
-
Qu’est-ce que je
veux vraiment faire de ma vie ?
-
Qu’est-ce qui est
vraiment essentiel pour moi ?
-
Qu’est-ce qui
entrave ma marche vers cet essentiel ?
-
Que me faut-il
changer pour répondre mieux, plus fort, plus vrai, à l’appel de
l’Évangile ?
L’appel du désert est en fait
un triple appel :
-
D’abord appel à la solitude. Impossible de mener un fécond discernement spirituel
si nous ne prenons pas régulièrement des temps de solitude. Des moments où nous
abandonnons notre personnage social, où nous ne nous définissons plus par notre
métier, nos engagements, notre CV… Un temps où nous nous confrontons à la
nudité de notre être. Le désert du Carême nous invite à cette solitude qui nous
permettra, au sens fort de l’expression de « nous retrouver », de
nous trouver à nouveau. Alors nous pourrons découvrir que cette solitude est
« habitée ». Qu’en fait, nous ne sommes pas seul, mais sous le regard
de la Divine Présence et que seul, ce regard de Dieu peut nous offrir notre
identité véritable.
-
Le désert est aussi appel au silence. Impossible d’entrer en secret dialogue avec
nous-même, impossible d’entendre, en nous, les murmures de l’Esprit, si nous ne
plongeons par régulièrement dans le silence. Il nous faut rompre chaque jour
avec le bruit du quotidien, refermer un instant la porte sur le vacarme
trépidant de notre « modernité », fermer le poste, couper le wifi
permanent de nos préoccupations, pour laisser Dieu nous parler à l’oreille du cœur.
Car Dieu ne parle que si nous commençons par nous taire devant Lui. « Se
taire, disait Madeleine Delbrêl, ce n’est pas ne rien dire, c’est mettre toutes
les puissances de son âme à écouter… »
-
Le désert est enfin appel à la faim et à la soif. Impossible de
laisser se creuser en nous la faim de Dieu, si nous sommes sans cesse comblés
et repus par cette consommation frénétique dont le Pape François dit dans son
encyclique combien elle nous conduit droit dans le mur. Comme dit la chanson de
Souchon : « On nous fait croire, que le bonheur c’est d’avoir, de l’avoir
plein nos armoires, dérisions de nous, dérisoires… » Oui, frères
et sœurs, le désert du Carême est aussi appel à la dépossession, à la sobriété bienheureuse
sans laquelle ne renaîtra pas en nous la faim d’avoir faim du seul pain qui
rassasie et met en route vers toutes les faims et les urgences humaines.
A l’entrée du Carême, saint
Bernard ne formulait qu’un vœu à ses moines : « Retrouvez la joie du désir
spirituel ».
Je vous souhaite, je nous souhaite
de nous laisser envahir par cette joie ! Entrons dans ce temps du désir qu’est le désert du Carême
avec comme horizon de laisser l’Esprit unifier notre cœur. Et d’y semer la
miséricorde.
Laissons Dieu devenir Dieu en
nous.
Alors le monde, autour de
nous, se réchauffera.
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