Méditation du Jeudi Saint
Le geste de
Jésus que nous raconte l’évangile de ce Jeudi Saint est, aux yeux des
disciples, choquant, scandaleux, intolérable !
Qu’un
« Rabbi », un « maître » s’agenouille ainsi devant eux pour
leur laver les pieds est tout simplement inimaginable, totalement inconvenant
dans le contexte du monde sémitique et gréco-romain dans lequel ils évoluent.
A l’époque,
on voyageait la plupart du temps à pied, parfois avec des sandales mais le plus
souvent pieds nus. Après de longues heures de marche, les pieds étaient
couverts de poussière…
La coutume
voulait que l’hôte honore ses invités en leur faisant laver les pieds à
l’entrée de sa maison. Mais ce geste d’accueil n’était pas fait par un proche,
ni même par un serviteur affranchi.
Seul un
esclave, taillable et corvéable à merci, pouvait « jouer les paillassons »
et procéder à ce geste perçu comme impur par les juifs.
Alors,
lorsque Jésus commence à leur laver les pieds, c’est comme un coup de tonnerre
qui vient secouer les mentalités, la culture, le mode de pensée, la « bonne
morale » des disciples.
Comment le
Messie tant attendu, celui qui vient rétablir la liberté bafouée d’Israël,
peut-il se comporter ainsi ?
On attend un
roi, et on trouve… un esclave !
Pas étonnant
que Pierre se récrie et dise : « Non,
tu ne me laveras pas les pieds, non jamais ! »
Par ce geste
spectaculaire et provocateur, Jésus annonce déjà, un autre scandale encore plus
terrible : celui qui, aujourd’hui, choisit la condition d’esclave, mourra,
demain, crucifié comme un malfrat.
Renversement
absolu des valeurs déjà annoncées à Noël : le propre fils de Dieu choisit,
pour rejoindre notre humanité, non la puissance, mais la pauvreté, non la
force, mais la faiblesse.
Le fils de « Dieu, le Père tout puissant, créateur
du ciel et de la terre, de l’univers visible et invisible » est né nu
sur la paille d’une étable et va mourir nu sur le bois de la croix.
Folie
absolue !
Depuis ce
premier « Jeudi Saint » de l’histoire chrétienne, nous savons que le
service du frère n’est pas une simple conséquence morale de la foi en Dieu mais
qu’il en est le cœur !
Croire,
c’est aimer ; en parole et en acte.
Depuis ce
premier « Jeudi Saint », nous savons qu’il n’y a pas d’Eucharistie
possible sans lavement des pieds, par d’agenouillement possible devant le Saint
Sacrement, sans agenouillement devant l’homme !
C’est un
signe fort, frères et sœurs, qu’on ne trouve pas, dans l’évangile de Jean, de
récit de l’institution de l’Eucharistie mais, en lieu et place, ce récit où nous
contemplons un Christ à genoux, un Christ à terre, un Christ à raz de sol, un
Christ qui se fait « Très Bas » pour venir laver, panser, masser,
caresser, soigner toutes nos marches humaines, nos itinéraires chaotiques
d’hommes et de femmes qui tentent de vivre la vie qu’ils ont à vivre, en se
blessant si souvent les pieds de l’âme sur les ronces et les cailloux acérés de
l’existence…
A l’heure où
je vous parle, un homme en blanc, plus très jeune, s’agenouille, dans une
banlieue déshéritée de Rome, devant des handicapés et des personnes âgées
pauvres, comme il l’a fait il y a un an, devant des prisonniers et des
prisonnières.
Et cet homme
ne fait pas de la communication, il ne fait pas un bon coup médiatique devant
les caméras du monde entier ! Il
donne à voir simplement, humblement la posture chrétienne la plus juste et la
plus authentique.
Et ce pape
ne nous fait pas non plus la morale : en lavant les pieds de ces hommes et
de ces femmes, il nous montre la joie qu’a le Christ à accueillir le pauvre, le
blessé, le différent, le « pas comme il faut », tous ces prétendus « mauvais
paroissiens » que nous sommes parfois si prompts à juger, et à qui nous
voudrions, en raison de leurs idées, de leur vie sociale, affective, de leurs
choix humains, promptement retirer le « label » catholique…
Regardons,
frères et sœurs, ce pape à genoux, dévêtu des ornements de la puissance :
il nous donne une indication précieuse sur la posture que l’Église, toute l’Église,
le pape, les cardinaux, les évêques, les prêtres, les diacres, l’ensemble du
Peuple de Dieu doit prendre au cœur de ce monde.
Non pas
regarder ce monde d’en haut, non pas lui parler d’en haut, non pas lui faire la
morale et le juger d’en haut, non pas décider d’en haut et à sa place ce qui
est bon pour lui, mais se mettre à sa hauteur.
Ou mieux,
s’incliner encore et encore, pour le servir, le toucher et l’écouter, entendre
ses cris, mesurer ses faims et ses soifs…
Aimons,
frères et sœurs, une Église qui a mal aux
reins et aux articulations à force de se lever de table pour venir
s’agenouiller devant l’homme !
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