Homélie Baptême du Seigneur (C)
Dimanche 13 janvier 2013
Le « Baptême du Seigneur » que nous célébrons
aujourd’hui, Frères et Sœurs, vient
clore le temps liturgique spécifique de Noël et nous prépare à
« replonger », dès la semaine prochaine, dans ce que le calendrier
liturgique appelle le « Temps ordinaire ».
L’évangéliste Luc, dont la tradition dit qu’il fut médecin
mais également peintre, nous décrit, avec talent, cette scène du baptême de
Jésus pour le moins inattendue. Et même vraiment surprenante !
Car, comme un certain nombre de contemporains de Jésus, nous
pouvons légitimement nous poser la question : pourquoi donc le propre « Fils
de Dieu » a-t-il besoin de se faire baptiser ? N’est-il pas réputé
« sans péché » et n’ayant, a priori, pas besoin de se convertir, tout
tourné qu’il est déjà vers le Père ?
Dans les versions
proposées par d’autres évangélistes, on voit la surprise de Jean Baptiste qui
commence par refuser de baptiser Jésus, tant il a l’impression que les rôles
doivent s’inverser, que c’est à lui d’être baptisé par Celui en qui il reconnaît
déjà le Messie.
Mais Jésus tient bon et ne se laisse pas détourner. En
entrant dans l’eau « ordinaire » du Jourdain, il rejoint l’humanité « ordinaire »,
l’humanité « tourbeuse » jusque dans ses blessures et faiblesses. Il
se fait totalement, pleinement homme. Il accepte de se plonger totalement dans
le bain humain, de se laisser submerger par les eaux « glèbeuses » de
la vie et de la mort humaine.
Il confirme ainsi – à l’orée de sa vie publique – sa totale
incarnation débutée à Noël dans « l’étable » de notre pauvre
condition humaine, à raz de paille… Une condition humaine qu’il
« habitera » jusqu’au bout, dans la souffrance et l’agonie !
Le Père André Louf, moine cistercien, qui fut une grande
figure spirituelle de la fin du XXème siècle, que j’ai eu la grâce de
rencontrer, ose une image percutante. Il écrit qu’en traversant les eaux
troubles de l’humanité symbolisées par les eaux du Jourdain, Jésus
« contamine » en quelque sorte l’eau boueuse du baptême humain du
Baptiste et la transforme, la « convertie » en cette eau limpide et
divine du baptême dans l’Esprit.
Ce faisant, il scelle la Nouvelle Alliance, il fait pivoter la
charnière entre l’Ancien et le Nouveau Testament.
Et voici – joli petit coup de pinceau de St Luc ! - que
la colombe de Noé reprend du service, celle qu’il avait envoyée en
« éclaireur » depuis l’arche afin de vérifier que le déluge était
bien terminé… Que le « beau temps » était enfin revenu dans le ciel
et dans les cœurs…
Voici que, dans cette scène saisissante du baptême de Jésus,
cette colombe revient à l’orée du Nouveau Testament, et annonce, d’un coup
d’ailes, le printemps de la Nouvelle alliance, le renouvellement de la grâce…
Luc est décidément un bon peintre ! Voyez la scène,
Frères et Sœurs : qui avons-nous sur notre « toile évangélique » ?
Le Fils qui plonge dans l’eau de son baptême, le Père qui, du haut du ciel,
parle pour nommer Jésus et le reconnaître comme son « Fils » (c’est-à-dire
le désigner comme le « Messie ») et l’Esprit, symbolisé par la colombe…
Pas de doute : ce baptême est bien trinitaire !
Alors, nous dit le texte, le ciel qui était fermé, verrouillé
s’ouvre soudain : la communication entre le ciel et la terre est à nouveau
possible.
Voici que le wifi divin propose… du très très haut
débit !
Notre première lecture évoque bien ce « ciel
fermé », cette absence totale d’horizon et d’espérance.
Lorsque le prophète Isaïe écrit ces lignes, nous sommes
quelques 500 ou 600 ans avant le baptême de Jésus. Le peuple hébreu vit la
déportation à Babylone (comme autrefois ses ancêtres en Égypte sous le joug de
Pharaon).
Ce peuple souffre d’être prisonnier et esclave du roi
Nabuchodonosor ; souffre surtout de ne plus avoir d’espérance.
La scène décrite est intéressante ! Il nous est dit qu’
« une voix proclame : Préparez
à travers le désert le chemin du Seigneur. Tracez dans les terres arides une
route aplanie… Tout ravin sera comblé, toute montagne sera abaissée… »
Des mots que Jean-Baptiste reprend à son compte, un passage
d’Isaïe qu’il à immédiatement en tête lorsqu’il voit Jésus s’approcher du
Jourdain. Une histoire qui, à l’époque, était dans tous les cœurs, des mots qui
faisaient partie de la mémoire collective du peuple juif…
Car cette histoire de « chemins » dans le désert,
de « ravins comblés » et de « collines rabotées » évoque un
fait historique précis et lourd dans la
mémoire des hébreux.
Tous les ans, à Babylone,
on célébrait la fête du dieu local, un certain « Mardouk ». La statue de cette idole était installée sur
un char qui traversait le désert et les esclaves juifs devaient préparer le
chemin, le rendre carrossable. Ils passaient des heures sous le soleil à
aplanir la route, à combler les ornières pour une idole. Ce qui était une
manière pour Nabuchodonosor de les humilier encore davantage.
Et Jean-Baptiste, comme autrefois Isaïe, annonce au peuple
que le temps de l’humiliation est terminé, qu’un libérateur s’est levé, qu’il
est là, devant lui, dans les eaux du Jourdain.
Soudain, le « ciel s’ouvre », l’espérance est
possible, la libération – surtout spirituelle ! – est annoncée.
Comme Isaïe, Jean-Baptiste annonce la venue du grand
libérateur, du « Sauveur » tant espéré.
Alors, oui, Frère et Sœur, rappelons-nous que notre propre
baptême ouvre le ciel de l’espérance et fait de nous des « ouvreurs de
ciel ».
Oui, Frères et Sœur, le baptême est une libération pour nous
et pour celles et ceux auprès de qui le Christ nous envoie.
Oui, comme Jésus nommé « Fils » par son Père, le
baptême nous sort de l’anonymat, nous donne un nom, nous insère dans la grande
filiation divine et nous envoie appeler par leur nom avec tendresse chacune des
femmes, chacun des hommes auprès de qui nous sommes, par notre baptême,
envoyés.
Oui, Frères et Sœurs, le baptême nous réquisitionne d’urgence
auprès de la foule des anonymes, des sans-voix, des « esclaves »,
victimes de « déportation » dans toutes nos « Babylone »
contemporaines.
Oui, notre baptême
nous envoie vers tous les blessés, les cassés, les licenciés, les virés,
les désespérés de notre modernité, toutes les victimes des
« Nabuchodonosor » d’aujourd’hui que sont les « rois » et
les « apprentis » sorciers de notre prétendue
« modernité », de notre capitalisme carnassier, de notre libéralisme
fou, qu’il soit économique, social ou moral, de notre conception suicidaire de
l’égalité dont le seul credo semble être « je veux, donc j’y ai
droit », suprême dictature du désir au mépris de l’intérêt collectif…
Que serait, Frères et Sœurs, cette « Année de la
foi » qu’au nom de notre baptême on nous invite à vivre, si elle nous
laissait « scotchés » bien au chaud devant nos icônes et nos
tabernacles, sourds et aveugles aux appels et aux urgences de ce monde
bouleversé ?
« Dieu n’a que nos
mains pour transformer ce monde » me confiait, quelques jours avant de mourir, la vieille
radieuse et prophétique Sœur Emmanuelle !
Amen.
© Bertrand Révillion/ Janvier 2013
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