Etrange « programmation » que celle de la liturgie de ce dimanche.
Alors que nous nous apprêtons
à entrer joyeusement dans l’Avent, alors que, déjà, se profile la fête de la
Nativité, voici que notre liturgie semble vouloir venir jouer les Cassandre et les
rabat joie !
Curieuse idée, en effet, que
de nous donner à entendre, juste avant le début de notre marche réjouissante
vers Noël, ce sinistre début du récit de la passion où l’on voit Jésus aux
prises avec Pilate.
De quel bois l’Eglise
veut-elle donc nous chauffer ce matin ?
On espère un joli berceau et
elle ne trouve rien de mieux à nous offrir qu’une croix !
Alors, essayons de
comprendre…
Nous fêtons ce dimanche, pour
clore l’année liturgique, la fête du « Christ Roi de l’univers ». Une
solennité relativement récente que nous devons à un pape, Pie XI, qui
l’instaura en 1925, qui fut d’abord célébrée avant la Toussaint et qui, depuis
la Réforme liturgique de 1969, est désormais placée juste avant le 1er
dimanche de l’Avent.
Comme si l’Eglise cherchait, par
ce choc des images - celle de la Nativité et celle de la Passion -, à nous faire
passer un message important.
Comme si elle cherchait,
Frères et Sœurs, à nous éviter de sombrer, une fois encore, dans le malentendu.
Un malentendu qui dura
pendant toute la vie publique de Jésus.
Opprimé, soumis au joug de
l’occupant romain et à la fourberie servile des « collabos » issus de
ses propres rangs, une bonne part du peuple juif attendait un libérateur, un
chef de la résistance, un monarque puissant enfin capable de
« virer » manu militari l’envahisseur.
Et voici que Jésus, celui
dont on murmure qu’il est le Messie, s’avance dans la foule sans arme, ni
légion, sans kalachnikov ni bombe à fragmentation, sans autre pouvoir que
l’extrême douceur de son regard.
Un Christ à mains nues ;
des mains au beau milieu desquelles se dessine déjà l’ombre sanglante des
clous !
Scandale absolu d’un Messie
sans pouvoir temporel, d’un Fils de Dieu bientôt pendu au gibet de la croix
comme un simple malfrat.
Scandale déjà inauguré à Noël
où Dieu naît « sans domicile fixe », pauvre rejeton improbable de
l’illustre lignée royale de David.
Un vrai « looser » aux yeux du monde !
Oui, Frères et Sœurs, juste
avant de nous ouvrir les portes de l’Avent, l’Eglise vient en quelque sorte, ce
matin, nous remettre les idées en place.
Le Christ qui va venir n’est
pas celui que, bien souvent, nous
attendons !
Où, plus exactement, il ne va
pas venir comme nous l’attendons.
Il ne va sans doute pas être
conforme aux idées que nous nous faisons de lui !
Il ne va sans doute pas faire
les gestes que nous attendons.
Il ne va sans doute pas dire
les paroles que nous attendons.
Il ne va pas correspondre à
l’image que nous attendons.
Il ne va pas ressembler à
toutes les projections psychologiques, sociales, politiques dont nous le
fardons si souvent.
Il ne va pas penser comme
nous, voter comme nous, réagir comme nous, juger comme nous…
Le « roi » qui va
naître, va, dès les premières secondes de sa naissance, nous échapper ; échapper
à toutes nos tentatives visant à l’assigner à résidence dans l’étroite
conception que nous nous faisons de lui.
Notre « roi » va
commencer, en naissant sur la paille, par briser l’idée que nous nous faisons
de son royaume.
Le « Très haut » va
naître au plus bas, à raz de terre, à même le sol.
Dans son palais, ça ne va pas
sentir la rose, ni le N° 5 de Chanel mais l’étable, la sueur et la bête de
somme !
La seule manière que notre
« Roi de l’univers » va trouver pour prendre de la hauteur, c’est de
s’enfouir, nouveau né fragile et nu, dans la glaise râpeuse de notre humanité.
Sa seule démonstration de
force va consister à mettre genoux en terre devant l’homme pour, comme un
esclave, lui laver les pieds !
Et les premiers témoins de
son avènement et de son « couronnement » qui ploieront le genou devant lui seront ces mystérieux
mages et leur bien symbolique cadeau, parmi lesquels la Myrrhe qui servait à
embaumer les morts !
Comme si, dès sa naissance,
il fallait déjà annoncer que ce roi-là n’aurait pour trône final que la croix
du supplice.
Ah, le voici, Frères et Sœurs,
notre « grand Roi » qui vient briser, comme des idoles d’argile, toutes
les fausses images que nous avons de lui.
« Il faut, disait le philosophe Gustave Thibon, marcher vers Dieu, de ruine en ruine, à travers les éboulements
successifs des images que nous nous faisons de Lui. »
Alors, Frères et Sœurs,
vivons cette fête du Christ roi comme un appel à purifier, élaguer, convertir
notre regard sur le Christ qui va venir.
Vivons cette fête comme un
appel au dessaisissement, au « lâcher-prise ».
Cessons donc de faire
semblant d’avoir des certitudes sur Dieu !
Dieu va venir en nous si nous
le laissons naître en nous, comme bon lui semble, et pas comme nous en forgeons
le projet.
Dieu va venir en nous si nous
le laissons nous surprendre, utiliser des chemins de traverse qui n’étaient pas
a priori dans nos plans.
Dieu va exaucer nos prières,
mais sans doute pas comme nous attendons qu’il le fasse…
Dieu est toujours autre que
ce que nous voudrions qu’il soit pour nous.
A la table d’ Emmaüs, dès que
les deux disciples le reconnaissent, il disparaît à leur regard : on ne
met pas la main sur l’Eternel !
Et c’est justement dans la
mesure où le Christ demeure Autre, qu’il nous aide à devenir nous-même, à
accéder à notre vérité, à dire enfin « Je » !
Oui, Frères et sœurs, le plan de Dieu n’obéit pas à notre propre GPS !
Pilate lui-même n’y comprend
rien : lorsque qu’il demande à Jésus : « Es-tu le Roi des juifs ? », sa question est avant tout politique.
Il craint un séditieux, un chef de clan, un agitateur, un zélote qui fomente un
soulèvement, une guerre ou une révolte.
Et le Christ lui renvoie une
question essentielle, majeure qu’il nous faut à notre tour entendre : « Dis-tu cela de toi-même, ou bien
parce que d’autres te l’on dit ? »
Voilà la bonne
question !
Que disons-nous de nous-même,
par nous-même du Christ, Frères et Sœurs ?
Comment passons-nous de ce
que d’autres nous en ont dit, transmis, enseigné, à ce que nous en disons
nous-même, à la première personne, au « je » ?
Etre disciple, ce n’est pas
uniquement adhérer à un catéchisme, si bon soit-il. C’est oser une parole
personnelle, intime sur Jésus. Oser ce risquer à répondre par soi-même à la
question du Christ : « Et toi,
qui dis-tu que je suis ? »
Voyez-vous, Frères et Sœurs,
je crois que c’est ce à quoi nous appelle notre baptême : vivre jour après
jour avec cette question : « Qui est Jésus ? »
Etre baptisé, c’est être
plongé dans cette question : « Pour toi, qui est le
Christ » ?
Comment s’incarne dans notre
propre vie familiale, conjugale, professionnelle, ecclésiale la
« royauté » du Christ ?
Comment le laissons-nous
faire de nos existences son propre royaume ?
Comment le laissons-nous
naître dans l’étable encombrée et poussiéreuse de notre propre cœur ?
Comment laissons-nous notre
Dieu venir briser le malentendu qui si souvent nous empêche de le
rencontrer ?
L’Avent qui s’annonce est
cette marche qui nous est justement offerte pour sortir du « mal entendu »,
de notre surdité spirituelle, pour,
comme les musiciens, prendre le temps de
« travailler l’oreille ».
Je songe, Frères et Sœurs, en
évoquant avec vous ce matin la fête du Christ Roi, à un grand roi de la
Bible : Salomon.
Alors qu’il est encore un
tout jeune homme et qu’il va être intronisée roi, Dieu lui dit en
substance : « Demande-moi tout
ce que tu veux et je te le donnerai ».
Salomon réfléchit. Il ne
demande pas le pouvoir, l’armée, la gloire, l’argent, le sexe, l’audimat, des stocks options ou une « retraite
chapeau » !
Il fait à son Dieu cette
réponse surprenante :
« Donne-moi un cœur qui écoute ! »
Eh, bien Frères et Sœurs,
voici un joli programme pour laisser
advenir en nous le Royaume du Christ à mains nues !
Demandons au Seigneur de nous
donner un cœur qui écoute, qui se laisse surprendre, déplacer.
Laissons le faire de nos
pauvres et fragiles « étables
intérieures » le seul « palais » où il entend régner…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire